Le meurtre d’Élio Abou Hanna, un jeune Libanais de 24 ans tué dans la nuit de samedi à dimanche à Chatila par des membres d’une faction palestinienne, a ravivé un débat que le pays n’a jamais vraiment clos: celui des zones où l’État n’a plus prise.
Abattu alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture, Élio a été victime d’une «erreur tragique», selon un responsable du camp, qui a reconnu la responsabilité de ses hommes. Mais cette reconnaissance n’a pas suffi à apaiser la douleur de la famille ni la colère de l’opinion publique. Dans un pays habitué à l’impunité, beaucoup ont vu dans ce drame le symptôme d’un mal plus profond: l’effacement progressif de l’État sur certaines portions de son territoire.
Les appels au désarmement des factions palestiniennes se sont alors multipliés : certains réclament une reprise en main ferme des camps par l’armée, d’autres prônent une approche graduelle fondée sur la coordination et la confiance. C’est dire que l’incident de Chatila n’est pas un fait divers isolé. Il met à nu une question de fond: comment un pays peut-il tolérer, au cœur même de sa capitale, des enclaves où sa souveraineté s’arrête aux murs d’un camp ?
Des enclaves ni tout à fait intégrées, ni totalement exclues
À première vue, Aïn el-Héloué, près de Saïda, ressemble à n’importe quel quartier populaire du Liban: ruelles étroites, immeubles vétustes, échoppes débordant sur les trottoirs. Mais, à peine franchi le seuil du camp, l’atmosphère change.
«Ici, l’État libanais est une présence fantomatique», confie une source militaire à Ici Beyrouth. Les patrouilles de l’armée sont rares, la police absente. Les lois qui régissent le quotidien ne sont pas celles de la République, mais celles des factions palestiniennes qui dominent les lieux depuis des décennies.
Le camp est un dédale de ruelles, un univers clos où la survie s’organise à l’écart du reste du pays. La justice, la sécurité, la gestion sociale… tout dépend d’une administration interne: comités locaux, patrouilles communautaires, tribunaux de factions. L’économie parallèle prospère et les jeunes grandissent avec la certitude d’appartenir à un État qu’ils ne voient jamais.
Les écoles et cliniques, souvent soutenues par des organisations non gouvernementales (ONG), pallient tant bien que mal l’absence des institutions publiques, tout en soulignant la nature autonome de ces territoires.
«Soyons réalistes, admet-on de même source. Nulle armée au monde ne peut contrôler à cent pour cent son territoire. Au Liban, le problème est toutefois plus grave. Certains camps fermés, comme Aïn el-Héloué, échappent par nature à tout contrôle militaire. L’armée n’y entre pas», poursuit-on.
À l’inverse, dans d’autres camps dits «ouverts» ou «semi-ouverts», l’armée peut intervenir en cas d’affrontement majeur, mais toujours après coordination avec les comités palestiniens, pour éviter tout embrasement. Ces incursions demeurent l’exception, non la règle, signale le responsable militaire interrogé par Ici Beyrouth.
Le tournant du désarmement
Cette autonomie tolérée depuis des décennies est aujourd’hui – presque – remise en question. En mai 2025, un accord inédit entre le président Joseph Aoun et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a posé le principe du monopole des armes au profit de l’État libanais, et donc de la démilitarisation des camps palestiniens.
Début août, un premier pas concret a été franchi: des factions palestiniennes ont entamé une remise symbolique de leurs armes à l’armée libanaise, à commencer par le camp de Bourj el-Barajné à Beyrouth, en passant par ceux de Mar Elias et de Chatila, ainsi que les camps de Rachidiyé, Bass et de Bourj Chemali, dans le Sud-Liban.
Les images avaient fait le tour du monde: des soldats escortant des camions remplis de fusils, de munitions et de grenades remis par des combattants palestiniens. Un geste salué comme historique, bien qu’accueilli avec prudence.
«Aïn el-Héloué reste un cas à part», nuance une source sécuritaire. «C’est le seul camp où subsistent encore des groupes armés considérés comme radicaux.»
Si les factions proches de Mahmoud Abbas ont accepté le principe du désarmement, d’autres, comme le Hamas, ont exprimé des réserves, insistant sur la nécessité d’une décision collective entre toutes les factions. Dans les camps, les réactions oscillent entre espoir et inquiétude: certains y voient la promesse d’une normalisation, d’autres redoutent un nouveau cycle de tensions internes.
L’armée libanaise, prudente, mise sur une stratégie de sécurité «intelligente», privilégiant la médiation et la coopération aux opérations militaires. «La force n’est utilisée qu’en dernier recours», explique-t-on de même source. Or, ce processus, aussi progressif soit-il, met en lumière une question centrale: quelle souveraineté pour un État qui ne contrôle pas tout son territoire?




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