Sous les cieux du Liban-sud, les oliviers se dressent comme les ultimes gardiens d’une paix blessée. Entre zones minées, terres confisquées et champs déserts, la vie s’accroche encore – silencieuse, mais tenace.
Après une spirale de violence qui a ravagé villages et terres agricoles, les cicatrices de la guerre demeurent visibles à Deir Mimes, Khiam, Houla, Blida ou encore Mays El Jabal.
Plus de 60 000 oliviers ont été détruits. «Cette année, nous avons tout perdu», raconte Rose, de Deir Mimes. «Les arbres ne sont plus taillés, les olives sèchent sur les branches, et personne n’ose s’y aventurer à cause des mines.»

L’accès aux vergers, proches de la Ligne bleue, nécessite une autorisation spéciale délivrée par l’armée libanaise en coordination avec la Force intérimaire des Nations-unies (Finul) – © Katia Kahil / Ici Beyrouth
Même sous un cessez-le-feu fragile, les restrictions étouffent toute reprise. L’accès aux vergers, proches de la Ligne bleue, nécessite une autorisation spéciale délivrée par l’armée libanaise en coordination avec la Force intérimaire des Nations-unies (Finul) – le tout sous l’œil constant de l’armée israélienne.
«Nous avons droit à seulement six jours pour cueillir, labourer et tailler, un travail qui nécessite normalement un mois», explique Nabil. «Et même pendant cette courte période, un drone israélien a lancé une bombe sur des cultivateurs à Khiam.»
Une procédure absurde, un fardeau quotidien
Dans plusieurs villages frontaliers, certaines zones sont désormais classées « rouges » – interdites, même à l’armée.
«De nombreuses terres ont été rasées ou brûlées, d’autres sont tout simplement inaccessibles. Cette année, il n’y a presque pas de récolte», explique le maire de Kfar Kila, Hassan Sheet.
Les agriculteurs, eux, s’épuisent à maintenir un semblant d’activité. «Se rendre dans les champs coûte trop cher et met nos vies en danger. Alors, comme beaucoup, nous préférons acheter les olives ou l’huile (au lieu d’en produire)», confie Abbas Fakih, propriétaire.
Abou Fadi, de Deir Mimes, déplore la perte de vastes oliveraies familiales détruites par les bulldozers : «Même les routes d’accès ont été rasées. La route vers nos terres est littéralement semée d’embûches.»
Une saison fantôme
Autrefois, l’automne était synonyme de fête et de partage. C’est comme si la guerre avait rompu le fil d’une tradition millénaire. «C’était la saison de l’huile, le moment où l’on se retrouvait en famille, les enfants apprenaient les gestes de leurs grands-parents», se souvient Em Khalil, une habitante de Marjeyoun. «Aujourd’hui, mes plus beaux arbres sont derrière une barrière invisible. Je les vois, mais je ne peux plus les toucher. C’est comme voir son enfant prisonnier.»
La rupture est à la fois économique et spirituelle. Les pressoirs sont à l’arrêt, les familles privées de revenus. Le litre d’huile dépasse désormais les 20 dollars – un luxe pour une région autrefois autosuffisante.
«Avant la guerre, tout le village vivait de la récolte. Aujourd’hui, c’est une saison fantôme», confie Linda, productrice de Khiam.
«Nous avons récolté seulement 250 kilos cette année», raconte Khaled, cultivateur à Blida. «En 2022, notre verger de 150 oliviers produisait dix fois plus.»

© Katia Kahil / Ici Beyrouth
Une terre blessée, mais vivante
La guerre n’a pas uniquement déplacé les hommes, elle a blessé la terre. Des hectares d’oliveraies incendiés, des sols appauvris, des racines asphyxiées sous les éclats d’obus. Pourtant, au milieu des ruines, certains arbres refleurissent.
Des associations locales tentent de soutenir les agriculteurs en déminant les terrains et en relançant la taille et la culture. «Nous recommençons à tailler les arbres, à préparer la terre. C’est un début, un souffle nouveau», explique Linda, productrice à Klayaa.
Malgré les dangers, certaines familles franchissent encore discrètement les zones interdites pour cueillir quelques olives.
«C’est notre manière de dire que nous existons toujours», confie Abdallah, une olive verte dans la main.
L’arbre de la foi
Dans la religion chrétienne, comme dans l’islam, l’olivier est un symbole de paix, de sagesse et de lumière. Il est le témoin d’une coexistence fragile, d’une lumière que l’on protège malgré tout. Son huile, utilisée dans les rites sacrés, incarne la bénédiction et la guérison.
«Même brûlé, l’olivier vit encore», murmure Jamil, agriculteur à Houla. «Il attend la paix pour refleurir. Comme nous.»


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