Hezbollah : un arsenal qui renaît entre frontières, ports et ateliers secrets
©Ici Beyrouth

Les avertissements se multiplient sur le réarmement du Hezbollah. Après avoir longtemps mis en avant les flux financiers en provenance d’Iran, Washington et Tel-Aviv s’inquiètent désormais du rythme auquel la formation chiite libanaise reconstitue son arsenal.

Selon une enquête publiée jeudi par le Wall Street Journal, la milice, loin de respecter les termes du cessez-le-feu conclu en novembre 2024 avec Israël, renforcerait discrètement ses capacités militaires à travers plusieurs canaux: les passages frontaliers avec la Syrie, certains ports libanais et même une production locale d’armes.

Pour le général à la retraite et directeur général du Forum régional de consultation et d'études (RFSC) Khaled Hamadé, interrogé par Ici Beyrouth, «de nombreux médias internationaux – américains, français et israéliens – ont récemment traité des tentatives du Hezbollah de reconstituer ses capacités militaires et logistiques». D’après lui, le sujet ne se limite plus à la presse: plusieurs responsables de la formation, dont le député Ali Fayad et le vice-président du Conseil politique du Hezbollah, Mahmoud Qomati, ont publiquement affirmé que le mouvement a retrouvé ses capacités et se dit prêt à la confrontation. Des déclarations iraniennes ont également souligné que le Hezbollah dispose désormais de moyens pouvant «renverser la donne».

Ces annonces relancent donc nécessairement le débat sur les circuits d’approvisionnement du Hezbollah. La question centrale demeure: d’où proviennent les armements ? Le Hezbollah a-t-il conservé des infrastructures intactes, ou utilise-t-il de nouveaux circuits et méthodes pour réapprovisionner ses stocks ? 

Des passages frontaliers toujours actifs

Officiellement, la plupart des routes de contrebande reliant la Syrie au Liban devaient être fermées dans le cadre du plan de sécurisation mené par l’armée libanaise, avec le soutien de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul). En réalité, plusieurs itinéraires restent actifs, notamment dans la région du Qalamoun et le nord de la Békaa, entre Qoussayr, Hermel et Ersal, confie, à Ici Beyrouth, un militaire proche du dossier. Ces zones montagneuses, difficiles à contrôler, servent depuis des années de couloirs logistiques au Hezbollah.

Malgré les opérations conjointes avec la Sûreté générale et les patrouilles de l’armée, «les trafics continuent sous une forme plus discrète», confie-t-on de source sécuritaire libanaise. Les cargaisons franchiraient la frontière de nuit, souvent dissimulées dans des convois civils ou agricoles.

Selon Riad Kahwaji, analyste militaire libanais et fondateur du centre INEGMA à Dubaï, interrogé par Ici Beyrouth, le Hezbollah continue de tenter d’acheminer des armes vers le Liban, «principalement depuis les dépôts qu’il possédait en Syrie», en recourant à des filières de contrebande ou à des passeurs. «Nous avons vu les autorités syriennes intercepter plusieurs cargaisons, mais du côté libanais, il n’y a eu aucun rapport officiel à ce sujet», précise-t-il.

Une partie de ces armes (roquettes, missiles antichars, obus d’artillerie) proviendrait d’entrepôts syriens sous supervision iranienne, tandis qu’une autre transiterait via des milices alliées opérant à la frontière, peut-on lire dans l’article du Wall Street Journal. Le réseau serait coordonné depuis Baalbeck, bastion historique du Hezbollah, où sont entreposés les stocks avant leur redistribution vers le Liban-Sud.

Les ports libanais: vecteurs de transfert d’armes

Le quotidien américain évoque également le rôle de certains ports libanais dans l’acheminement de matériel militaire. Si aucune preuve directe n’incrimine les autorités portuaires, plusieurs sources occidentales pointent le manque de contrôle effectif dans certains terminaux secondaires.

Le port de Beyrouth, dont la reconstruction reste inachevée, mais aussi celui de Tyr, seraient donc utilisés ponctuellement pour introduire des pièces détachées ou du matériel logistique à double usage. Le port de Tripoli, plus proche de la frontière syrienne et moins surveillé, inquiète particulièrement les services occidentaux. Des cargaisons en provenance d’Iran transiteraient parfois par des ports syriens comme Tartous avant d’être redirigées vers le Liban via de petites embarcations, brouillant la traçabilité douanière.

«Les voies maritimes constituent un canal sensible. La densité des flux de navires vers les ports libanais et certaines lacunes administratives compliquent la détection d’envois illicites», note le général Khaled Hamadé. Bien que la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul) dispose de prérogatives pour inspecter certains navires, la réalité opérationnelle laisse subsister des marges de manœuvre pour le passage de cargaisons, estime-t-il.

Néanmoins et selon M. Kahwaji, «la situation n’est plus du tout la même qu’avant. Avec la chute du régime syrien, la capacité du Hezbollah à importer ou à faire passer des armes a considérablement diminué. Lorsqu’il parvient encore à en acheminer, il s’agit généralement d’armes de petit calibre, comme des roquettes GRAD ou des missiles antichars Kornet».

Une production locale en plein essor

L’autre volet du réarmement du Hezbollah réside dans la fabrication locale d’armes. Selon le journal américain, la milice a développé au Liban plusieurs ateliers de maintenance et d’assemblage de roquettes et de drones. Ces infrastructures, souvent dissimulées dans des zones rurales ou industrielles, permettraient de réparer et de modifier des missiles importés de Syrie ou d’Iran, ainsi que d’assembler des roquettes Katyusha, des GRAD et des drones artisanaux.

Ces installations seraient actives notamment dans la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth. Selon le général Hamadé, «la production locale représente un volet important du réarmement». Le Hezbollah dispose bel et bien, suggère-t-il «d’ateliers de maintenance et d’assemblage capables de réparer, modifier ou fabriquer des roquettes de courte portée, des obus et des composants de drones, ainsi que des systèmes de guidage».

L’essor de cette production locale s’explique donc par les difficultés logistiques imposées par les frappes israéliennes et les restrictions frontalières. En fabriquant ou en assemblant ses propres armes, le Hezbollah réduit sa dépendance vis-à-vis de l’Iran tout en maintenant ses capacités de dissuasion.

Il n’en demeure pas moins qu’un tel dispositif nécessite d’importants moyens financiers et techniques. Or, selon plusieurs rapports occidentaux, l’Iran continue de financer le parti à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars par an, une partie de ces fonds étant désormais consacrée à la production et à la maintenance du matériel militaire.

Un équilibre fragile

Pour les autorités libanaises, la situation est explosive. Le cessez-le-feu de novembre 2024, censé amorcer le désarmement progressif du Hezbollah au sud du Litani, est aujourd’hui fragilisé. Israël, qui affirme avoir mené plus d’un millier de frappes contre les positions de la formation depuis un an, multiplie les avertissements.

Tom Barrack, émissaire américain pour le Liban et la Syrie, a déclaré que «le problème n’est plus le désarmement du Hezbollah, mais son réarmement», ajoutant qu’en l’absence de mesures concrètes, Israël pourrait «agir unilatéralement».

Beyrouth, de son côté, tente de gagner du temps. Le Premier ministre Nawaf Salam et le président Joseph Aoun assurent vouloir renforcer la coordination sécuritaire, mais l’armée libanaise, sous-financée et politiquement exposée, peine à contrôler un territoire où le Hezbollah reste dominant.

Alors que les drones israéliens continuent de survoler le territoire libanais et que des dizaines de milliers de déplacés n’ont toujours pas regagné le Sud, l’équilibre reste précaire.

Le Hezbollah, selon l’analyse de la chercheuse Randa Slim, citée par le Wall Street Journal, «ne se considère pas comme vaincu» et s’emploie à reconstituer son potentiel militaire, persuadé qu’il pourra encore compter sur le soutien indéfectible de Téhéran. Pour Riad Kahwaji, s’agissant du respect des résolutions internationales, «selon la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU et l’accord de cessez-le-feu signé en novembre 2024, le Hezbollah n’est pas censé introduire de nouvelles armes au Liban ni en conserver». «Il devrait, en théorie, remettre tout son arsenal à l’État, et cela sur l’ensemble du territoire libanais, pas uniquement au sud du Litani», souligne-t-il. «En poursuivant la fabrication, la dissimulation et la contrebande d’armes, le Hezbollah viole donc à la fois la résolution 1701 et l’accord de cessez-le-feu».

À mesure que se confirment les informations sur les filières d’approvisionnement du Hezbollah et ses capacités de production, la question du réarmement devient non seulement un enjeu sécuritaire régional, mais aussi un test crucial pour la souveraineté de l’État libanais.

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