Jeudi matin, le Liban a lancé la huitième vague de retours volontaires de déplacés syriens. Au total, 448 personnes ont quitté la Foire internationale Rachid Karamé à Tripoli pour rejoindre le point de passage d’Al-Abboudiyé, dans le Akkar. Les rapatriés ont voyagé en cinq groupes, à bord de 14 bus et 14 camions, dans le cadre d’un programme de retour organisé en coordination avec la Sûreté générale libanaise, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Des agents de la Sûreté générale ont supervisé l’ensemble de l’opération, gérant les formalités administratives et facilitant le départ. Selon les autorités libanaises, l’objectif est d’assurer un processus respectueux, sûr et bien encadré pour tous les déplacés concernés.
Alors que les retours organisés se poursuivent, les responsables libanais sont de plus en plus confrontés aux graves dégâts environnementaux causés par des années de déplacement massif, notamment dans des régions comme Arsal et le long du Litani.
Catastrophe environnementale
Lors d’une récente visite à Arsal, la ministre de l’Environnement Tamara el-Zein a reconnu que «les dégâts sont considérables et la pollution, très grave». Elle a indiqué que la question serait soumise au Conseil des ministres et a promis de veiller à ce que les organismes responsables du dossier des déplacés prennent en compte les conséquences environnementales qui en résultent.
«Nous faisons aujourd’hui face à une crise sanitaire, une crise des déchets et à des décharges où se mêlent gravats et ordures abandonnées», a déclaré Tamara el-Zein. «Un plan est nécessaire pour remédier à la situation, mais le cas d’Arsal est particulièrement préoccupant, car ni la municipalité ni l’État ne disposent des moyens suffisants pour la résoudre seuls.»
La ministre a souligné la forte pression démographique que subit la ville. Arsal compte environ 50.000 habitants, alors que le nombre de déplacés syriens y avait atteint près de 150.000 au paroxysme de la crise.
«Ceux qui polluent doivent réparer les dégâts», a-t-elle ajouté. «Environ 140.000 déplacés ont aujourd’hui quitté la région, et les organisations qui avaient soutenu ces camps doivent désormais assumer leur part de responsabilité dans la réhabilitation de l’environnement.»
Aujourd’hui, il ne reste des 180 anciens camps d’Arsal que des ruelles désertes, des fondations éparses, des gravats et des déchets non ramassés, autant de traces d’une crise qui, pendant des années, a dépassé les capacités des infrastructures locales et les mécanismes de protection de l’environnement.
Litani: un combat de longue haleine contre la pollution
Plus au sud, l’Autorité nationale du Litani poursuit sa campagne visant à démanteler les camps informels de déplacés syriens installés le long des berges. Soutenue par les forces de sécurité, l’Autorité mène depuis plusieurs années des opérations de déblaiement, la plus récente ayant eu lieu dans la région de Sarafand.
Dans un entretien avec Ici Beyrouth, le député Ghayyath Yazbeck, membre de la Commission parlementaire de l’Environnement, a déploré «la faille laissée depuis la décision du gouvernement, il y a quelques années, d’allouer 800 millions de dollars au nettoyage du Litani. Puis la guerre est survenue, l’argent s’est volatilisé et nous ignorons ce qu’est devenu le plan de dépollution».
Le député a souligné que ce dossier relève de la responsabilité du pouvoir exécutif, précisant que «toute législation nécessaire de notre part sera pleinement soutenue». Il a également ajouté que la situation politique au Liban et les tensions persistantes dans le sud ont empêché la Commission de l’Environnement de se réunir au sein du gouvernement.
Sami Alaouiyé, directeur général de l’Autorité du Litani, estime que ces opérations sont cruciales face aux risques considérables que représentent les camps informels pour les écosystèmes du fleuve.
Depuis 2018, l’Autorité mène des études de terrain qui ont mis en évidence de nombreuses sources de pollution, notamment l’implantation de camps non réglementés sur des terrains publics.
Selon M. Alaouiyé, «ces camps ont provoqué une pollution directe de l’eau et des sols, faute d’infrastructures adaptées, avec des fosses septiques non conformes et le déversement d’eaux usées ainsi que de déchets domestiques et agricoles dans le fleuve».
L’ampleur de la pollution qui frappe le plus grand bassin d’eau douce du Liban est préoccupante:
• Environ 50 millions de mètres cubes d’eaux usées domestiques se déversent chaque année dans le lac Qaraoun.
• Deux millions de mètres cubes d’eaux industrielles viennent s’y ajouter.
• Les déchets issus des camps de déplacés voisins aggravent encore la contamination du fleuve.
Seuls 20% des ressources en eau disponibles au Liban sont correctement exploités, le reste étant perdu à cause de la pollution et de la mauvaise gestion. Malgré quelques progrès réalisés grâce à l’intervention de la Banque mondiale et à la création de l’Autorité nationale de régulation de l’eau, les experts tirent la sonnette d’alarme: sans réformes profondes, ce sont les générations futures qui subiront les conséquences.
Vide réglementaire: aucun camp syrien officiel au Liban
Malgré leur multiplication au fil des années, le Liban ne compte aucun camp officiel pour les déplacés syriens, a rappelé Lisa Abou Khaled, porte-parole du HCR. Les installations existantes sont en réalité des camps informels, créés à la suite d’accords privés entre déplacés et propriétaires de terrains, les premiers versant généralement un loyer pour occuper les lieux.
En l’absence d’un recensement global mené par les ministères concernés, le nombre exact de ces camps demeure inconnu.
L’Autorité du Litani a, à elle seule, démantelé 34 sites et engagé des poursuites judiciaires contre les propriétaires et bénéficiaires ayant exploité illégalement des terrains publics situés le long du fleuve. Dans la Békaa, plusieurs installations informelles ont également été démantelées après être devenues des foyers d’activités illégales.
Malgré la complexité du dossier, le dernier groupe de déplacés ayant regagné la Syrie s’est dit satisfait de l’organisation et de la coopération entre les autorités libanaises et les agences internationales.
À ce jour, plus de 320.000 Syriens sont déjà rentrés après avoir été retirés des registres du HCR. Par ailleurs, plus de 110.000 autres ont formellement exprimé leur souhait de rentrer, portant le nombre total attendu à près d’un demi-million de retours d'ici à la fin de l’année.
Les autorités affirment que le programme, en place depuis le 1er juillet, vient compléter le rythme croissant des retours spontanés et s’accompagne de mesures de régulation du travail pour les Syriens demeurant au Liban. L’aide apportée aux rapatriés comprend une assistance logistique et juridique, des exemptions d’amendes et de frais, ainsi que des incitations financières de 100 dollars par personne au Liban et de 400 dollars par famille à leur arrivée en Syrie, en coordination avec les autorités syriennes.
Alors que le Liban tente de concilier les défis liés au déplacement aux dégâts environnementaux et à la gestion de ses ressources, les responsables insistent sur l’importance de mener de front le retour organisé, la responsabilité légale et la réhabilitation environnementale, avant que les conséquences ne deviennent irréversibles.




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