Les péripéties s’accélèrent dans un Liban qui marche désormais sur une lame de rasoir. En l’espace de quarante-huit heures, une lettre ouverte du Hezbollah, des raids israéliens de plus en plus intenses dans le sud du pays, de nouvelles sanctions américaines et des réactions titubantes au sein même de l’État ravivent les craintes d’une «reprise» de la guerre.
Tout a (re)commencé jeudi matin, lorsque la direction du Hezbollah a rendu publique une lettre adressée aux plus hautes autorités de l’État, à savoir le président Joseph Aoun, le Premier ministre, Nawaf Salam et le président du Parlement, Nabih Berry. Dans ce texte, la formation chiite affirme avec force son refus de toute négociation avec Israël et réaffirme ce qu’il appelle le «droit légitime de la résistance» à porter les armes. Derrière cette rhétorique bien rodée se cache un message politique limpide: le Hezbollah rejette toute décision gouvernementale qui viserait à restreindre ou à encadrer son arsenal, estimant qu’une telle démarche répondrait à un «chantage occidental» imposé sous couvert de sécurité.
Le timing de cette lettre n’avait rien d’anodin. Sa publication est intervenue alors que le gouvernement devait débattre, dans l’après-midi de jeudi, de l’avancement du plan présenté par l’armée pour désarmer le Hezbollah et reprendre progressivement le contrôle sécuritaire du Liban-Sud. L’objectif pour la milice ? Rappeler publiquement qu’elle n’a aucune intention de se soumettre au processus de désarmement qu’elle juge unilatéral.
Pressions croisées : Washington, Tel-Aviv et Beyrouth à bout de souffle
À Washington, la réponse n’a pas tardé. Le département du Trésor américain a annoncé de nouvelles sanctions visant des individus et des sociétés soupçonnés de financer le Hezbollah, dans le cadre d’un réseau qualifié de «transfrontalier et clandestin». Dans un message publié vendredi sur la plateforme X, l’ambassade américaine à Beyrouth a souligné que ces mesures visent à empêcher la formation «d’imposer par la force sa volonté au peuple libanais». Derrière ces mots, un message politique clair: les États-Unis entendent lier tout soutien économique au Liban à la mise en œuvre effective du monopole des armes par l’État. En d’autres termes, le temps des compromis tacites semble toucher à sa fin.
De son côté, Tel-Aviv multiplie les signaux de nervosité. Des responsables israéliens ont averti que si Beyrouth ne parvient pas à contenir le réarmement du Hezbollah, Israël «agira comme nécessaire». Jeudi, les raids aériens se sont intensifiés dans le sud, ciblant des zones présumées de stockage d’armes. Des tracts ont également été largués sur plusieurs villages frontaliers, exhortant leurs habitants à quitter les lieux. Les publications et avertissements du porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, ont eux aussi, repris, après une longue pause.
Face à cette montée des tensions, les réactions au sommet de l’État libanais sonnent comme un refrain bien connu, avec les mêmes discours, les mêmes prises de position et les mêmes promesses sans suite.
Si le président, Joseph Aoun, a dénoncé, comme à son accoutumée, les raids israéliens, les qualifiant de «crime politique odieux», réaffirmant son engagement à défendre la souveraineté nationale par la voie diplomatique, le Premier ministre, Nawaf Salam, a, lui, insisté sur le principe selon lequel «la décision de guerre ou de paix relève exclusivement du gouvernement». Une précision que nul (hormis le Hezbollah et ses alliés) ne conteste, mais qui a le mérite de rappeler l’évidence dans un pays où le pouvoir civil doit sans cesse prouver qu’il en détient encore un.
Pour sa part, l’armée libanaise, dirigée par le général Rodolphe Haykal, tente de maintenir une position d’équilibre. Dans un rapport remis jeudi au Conseil des ministres, le commandement militaire a mis en garde contre les conséquences des frappes israéliennes sur le déploiement en cours au sud du Litani. «Si les attaques persistent, a-t-il prévenu, elles compromettent le calendrier opérationnel et la sécurité des civils». Un avertissement justifié, certes, mais qui sonne presque comme une confirmation pour Tel-Aviv, qui ne demande pas mieux pour prouver l’inefficacité du dispositif libanais, trouvant là une excuse parfaite pour continuer de frapper.
Trois scénarios, une même impasse
Dès lors, trois trajectoires se dessinent selon un expert sécuritaire. La première, la plus souhaitable et la plus utopique, verrait l’amorce d’une désescalade négociée, avec des pourparlers directs avec Israël: application progressive du plan de l’armée, réduction des raids israéliens et garantie internationale encadrant la souveraineté du Liban. La deuxième, plus probable, mènerait à une confrontation localisée, avec un engrenage de frappes et de ripostes sans guerre ouverte, mais aux effets dévastateurs pour la population et l’économie. La troisième, la plus redoutée, serait celle d’une escalade incontrôlée, déclenchée par une erreur de calcul ou un incident frontalier.
Dans cette équation fragile, le Liban se retrouve une fois de plus au centre d’un jeu régional qui le dépasse. Le Hezbollah veut prouver qu’il reste intouchable ; Israël cherche à démontrer que sa patience a des limites ; les États-Unis misent sur la pression économique pour forcer la main de Beyrouth. Quant à l’État libanais, il tente désespérément de préserver une souveraineté qu’il proclame mais qu’il peine à exercer. À quand donc un Liban indépendant, maître de ses décisions et de ses frontières, où la souveraineté ne se résumerait plus à un discours de circonstance, mais à une réalité vécue ? Un Liban capable de dire non sans trembler, de négocier sans s’effacer et surtout, d’exister autrement qu’à travers les calculs des autres.




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