La visite de Sebastian Gorka et le carrefour financier du Liban
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Voici un article publié sur Middle East Transparent qui résume la situation financière au Liban. Ici Beyrouth le partage avec vous. 

La visite au Liban, ces deux derniers jours, du directeur principal pour la lutte contre le terrorisme, Sebastian Gorka, a ajouté une dimension inattendue mais opportune à la quête du pays pour la stabilité économique et politique. Ses réunions avec des responsables locaux et des conseillers politiques auraient porté principalement sur les politiques visant à couper le financement et les circuits financiers illicites du Hezbollah, soutenu par l’Iran. Une grande partie de ce financement était effectuée via des sociétés de change opérant en espèces, a indiqué un communiqué du Trésor américain. Pourtant, ce que sa mission met surtout en lumière, c’est l’urgence de restaurer une normalité financière. Quatre sociétés de change liées au Hezbollah et à ses alliés ont remplacé 60 banques au Liban depuis la crise.

Sans un secteur bancaire fonctionnel, même les initiatives diplomatiques ou de développement les plus ambitieuses échoueront. Si le Liban parvient à accélérer la résolution de sa crise bancaire — idéalement grâce à une approche du FMI plus flexible et adaptée au contexte —, le message de Gorka concernant un soutien occidental renouvelé pourrait se traduire par des progrès tangibles. Un programme du FMI, conciliant souplesse et réformes, stabiliserait non seulement le système financier libanais mais renforcerait aussi la crédibilité des partenaires étrangers désireux d’investir dans la relance du pays.

La Banque du Liban et le FMI divergent sur la manière de sauver un système bancaire en ruine.

La très attendue reprise financière du Liban est entrée dans une phase décisive. Pour la première fois depuis des années, le nouveau gouvernement du pays, la Banque du Liban (BDL) et le Fonds monétaire international (FMI) semblent partager un objectif général : stabiliser un système bancaire paralysé par l’effondrement de 2019. Mais derrière cette rhétorique commune de réforme se cache un désaccord fondamental — qui touche au cœur même de la manière dont les nations modernes réparent des systèmes financiers brisés.

La divergence porte sur le cadre de restructuration bancaire proposé par la BDL et actuellement examiné par le FMI. Si les deux parties s’accordent sur la nécessité de transparence, de protection des déposants et de stabilité financière, leurs méthodes diffèrent profondément, tant sur le fond que sur la séquence.

 

Deux philosophies de résolution de crise

L’approche de la BDL : séquencée, légale et fondée sur les précédents

Après de vastes consultations avec des experts internationaux en crises bancaires systémiques, la BDL a adopté un plan structuré et juridiquement solide, conforme à la directive européenne sur le redressement des banques (BRRD) et au modèle de la FDIC américaine.

Le plan commence par l’élimination des créances irrégulières du bilan de la Banque centrale – une étape destinée non pas à masquer l’insolvabilité, mais à distinguer les passifs irréguliers des passifs légitimes. Une fois cela accompli, un examen de la qualité des actifs (AQR), banque par banque, permettrait d’identifier les institutions viables et celles qui ne le sont pas.

Ce n’est qu’ensuite que la hiérarchie des créances s’appliquerait : les pertes seraient d’abord supportées par les actionnaires de catégories Tier 1 et Tier 2, puis par les créanciers subordonnés, et seulement en dernier ressort par les déposants — exactement comme le recommandent les Principes pour la gestion de crise du Comité de Bâle (BIS, 2023).

Les premières simulations de la BDL, basées sur les données de la Commission de contrôle des banques, suggèrent que si quelques grandes institutions pourraient se révéler insolvables, plusieurs petites banques resteraient viables dans ce cadre. Toutes devraient cependant satisfaire à de nouveaux seuils minimaux de capital afin d’assurer leur stabilité future et leur capacité à rembourser les déposants.

Cette séquence reflète la méthode utilisée en Espagne (Bankia, 2012), en Irlande (AQR post-2008) et aux États-Unis (programmes TARP/FDIC) — qui ont tous commencé par clarifier les bilans et procéder à une recapitalisation ciblée, et non par une destruction générale des fonds propres.

 

L’approche du FMI : effacement d’abord, diagnostic ensuite

Le modèle préféré du FMI, en revanche, inverse cette logique. Il repousserait l’élimination des créances irrégulières, les traiterait comme des actifs temporaires, et effacerait d’emblée les fonds propres de toutes les banques, avant tout AQR.

Une telle approche, assimilable à une liquidation ex ante du secteur bancaire, effacerait le capital sans distinction — punissant indistinctement institutions prudentes et imprudentes. Il n’existe aucun précédent moderne pour une telle politique aux États-Unis, en Europe ou en Asie. Même en Grèce et à Chypre, où des recapitalisations publiques étaient inévitables, les pertes n’ont été imposées qu’après des examens et des tests de résistance approfondis.

Dans le contexte libanais, le modèle du FMI entrerait en collision avec les normes internationales et la nouvelle loi sur la résolution bancaire — notamment l’article 36, qui garantit une évaluation individualisée et un traitement équitable des banques et des déposants. Mis en œuvre tel que proposé, le plan pourrait déclencher une vague de litiges contre l’État et la banque centrale, couper les relations bancaires correspondantes, décourager la recapitalisation privée et anéantir la confiance même que le FMI cherche à rétablir.

Techniquement, il est également vicié : la version du FMI commence par supprimer les créances irrégulières du côté des actifs du bilan de la BDL — une opération impossible en pratique, puisque la banque centrale détient des comptes consolidés des banques, et non la position individuelle des déposants. Les pertes se répercuteraient alors uniformément, sans aucune différenciation ni procédure régulière.

 

Pourquoi le cadre de la BDL mérite crédibilité

1. Alignement sur les meilleures pratiques internationales
Le modèle de la BDL suit la séquence même approuvée par le FMI lors de crises passées — diagnostic, évaluation, recapitalisation — et non l'élimination indistincte des fonds propres. Sa structure est conforme aux principaux attributs des régimes de résolution efficaces (FSB, 2023) et repose sur une procédure juridique établie.

2. Préservation de l’État de droit
En appliquant la hiérarchie des pertes seulement après des AQR vérifiés, la BDL garantit qu’aucun déposant ou actionnaire n’est pénalisé sans preuve. Ce respect de la procédure n’est pas cosmétique ; il est essentiel au retour du Liban au sein des systèmes financiers régulés.

3. Maximiser le remboursement des déposants
L’approche de la BDL mobilise la base la plus large possible — l’État, la banque centrale et les banques commerciales survivantes — pour rembourser les déposants. Selon le modèle du FMI, avec un secteur bancaire anéanti, il ne resterait aucune institution capable de contribuer au remboursement.

4. Restaurer confiance et stabilité
En imposant à toutes les banques un ratio de fonds propres (CAR) de 10 % selon les règles de Bâle III, la BDL établit les fondations de la prudence et de la responsabilité. L’objectif n’est pas de sauver des institutions faibles, mais de créer un système plus petit et plus solide, capable de relancer le crédit et de soutenir la reprise économique.

 

Le prix du retard : une économie basée sur le cash et souterraine

Tandis que le FMI et la BDL débattent de la séquence, le Liban s’enfonce dans une économie dominée par le cash. Les transactions en devises physiques dominent désormais le commerce, créant un terrain fertile pour le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et les flux financiers illicites. Sans secteur bancaire fonctionnel, le pays risque de violer ses engagements envers le GAFI et le groupe Egmont, d’aliéner ses partenaires internationaux et de perdre les derniers vestiges de transparence fiscale.

Si cette trajectoire se poursuit, le Liban pourrait faire face à une débancarisation permanente de son économie — un recul qu’aucun programme du FMI ne pourrait inverser.

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