Dix ans après la nuit où Paris a vacillé sur ses fondations, la série Des vivants plonge au cœur de la reconstruction des otages du Bataclan. À Paris, la justice éclaire la mémoire, mais pour ceux qui ont survécu commence une longue traversée du désert. Au fil des épisodes, cette création qui prend aux tripes retrace le combat pour réapprendre à vivre, et la fraternité née de la nuit la plus sombre.
Il y a dix ans, le 13 novembre 2015, Paris devenait le théâtre d’un innommable carnage: 130 morts, des milliers de vies fracassées, et un pays tout entier sidéré. Depuis, le 13-Novembre s’est mué en la commémoration d’une une blessure collective, que chacun porte à sa manière. Comment raconter l’indicible, comment filmer les cicatrices sans jamais abîmer celles et ceux qui les portent? Jean-Xavier de Lestrade a choisi de relever (avec brio) le défi de porter à l’écran la série Des vivants, co-écrite avec Antoine Lacomblez, disponible sur France.tv et diffusée sur France 2.

Des acteurs de la série «Des vivants» © DR
Son pari ? S’intéresser moins à la nuit du drame qu’à la vie d’après. Des vivants montre comment, dans l’étroit couloir du Bataclan, onze inconnus – Arnaud, Marie, Grégory, Sébastien, Caroline, David, Stéphane… – ont partagé l’angoisse sous la menace des kamikazes, puis comment, par la suite, ils se sont reconstruits grâce à une amitié inattendue. Piégés pendant deux heures et demie sous la menace directe de deux terroristes, ces survivants, devenus amis presque malgré eux, sont le cœur battant de la série.
Le choix de Jean-Xavier de Lestrade de tourner au Bataclan, sur les lieux mêmes du drame, confère à la série une force documentaire, presque une responsabilité historique: ici, la fiction s’enracine dans la vérité des lieux et des vécus.
Très vite après la tragédie, un besoin vital de se retrouver s’impose. Face à l’incompréhension, aux insomnies et aux crises d’angoisse, les anciens otages se rassemblent dans des bars, formant bientôt les «potages», contraction de «potes-otages» – un lien unique qui leur permet de respirer, de se disputer, de rire ou de se taire. Ces retrouvailles sont la clé de leur reconstruction. Le jeu d’acteur – Antoine Reinartz, Alix Poisson, Benjamin Lavernhe, Félix Moati… – donne vie à cette amitié avec une justesse bouleversante: regards, silences, humour salvateur, tendresse maladroite… tout sonne vrai, tout touche profondément. Dans cette famille née de l’horreur, chacun trouve la force d’avancer.
Le lent chemin de la reconstruction
Des vivants ne cache rien de la violence de la nuit, ni de la dureté de l’après. Par des flash-backs, la série replonge dans l’angoisse du Bataclan, dans l’attente, le bruit, la menace constante. Mais le cœur du récit reste la reconstruction: rendez-vous chez le psy, crises, nuits sans sommeil, dépression, souvenirs impossibles à effacer. Chacun réagit à sa manièr: Grégory se révolte (« La résilience, je hais ce mot »), Marie préfère l’ironie et le déni, parfois l’humour, d’autres s’effondrent ou restent enfermés dans une demi-vie. La série n’idéalise rien. Survivre, c’est parfois aussi sous-vivre.
Pourtant, la fraternité des «potages» offre un espace où être compris sans jugement. Jamais voyeuriste, la série est traversée par une empathie profonde. Celle, parfois maladroite, des proches; celle, indispensable, des victimes entre elles. En huit épisodes, le spectateur comprend que le combat pour rester vivant ne finit jamais vraiment. La justice, la parole, l’amitié deviennent autant de refuges pour tenir debout.

Au coeur de la prise d’otages du Bataclan. Tiré de la série «Des vivants». © DR
Ce qui distingue aussi le parcours des survivants du Bataclan, c’est la possibilité d’avoir été entendus publiquement. Le procès du 13 novembre, à Paris, a représenté pour beaucoup une étape cruciale. Face aux accusés, mais surtout face à la nation, les victimes ont pu dire ce qu’elles avaient vécu: raconter l’angoisse, la colère, l’injustice, mais aussi la culpabilité d’être en vie quand d’autres sont tombés. Le procès a été un moment de reconnaissance : la douleur privée est devenue partage collectif, et la société a pu nommer le mal, juger les responsables, offrir – du moins un peu – de réparation. Cette étape, pourtant douloureuse, a permis à certains rescapés de sortir du silence: «J’ai pu parler, être reconnu, ça m’a permis d’avancer», témoignait un des survivants. Mais la série ne cache pas la vérité, car la justice ne suffit pas à effacer les blessures. On n’efface pas 130 morts, ni les familles détruites, ni la peur qui revient sans prévenir. Ce que la justice permet, c’est d’ouvrir la porte à une nouvelle étape, où la société reconnaît ses vivants et ses morts.

Touchante scène de reconnaissance: Marie (Alix Poisson) face à un membre de la BRI. © DR
Paris, Beyrouth: là où la justice s’affirme… et là où elle se fait attendre
La série résonne particulièrement pour tous ceux, ailleurs, qui n’ont pas eu droit à ce chemin de justice et de mémoire. À Beyrouth, après l’explosion du port en août 2020, le traumatisme collectif est immense, mais la justice est restée silencieuse. Pas de procès, pas de responsables désignés jusque-là. Les victimes et leurs proches, privés de ce moment de reconnaissance, restent seuls avec leur chagrin, leur colère, leur sentiment d’abandon. La différence est saisissante: à Paris, la justice - même imparfaite - a permis aux rescapés de franchir un cap. À Beyrouth, le deuil est suspendu, la blessure toujours ouverte. Si la justice ne guérit pas tout, son absence condamne à tourner en rond dans la douleur, sans réparation possible.
Regarder Des vivants, c’est accepter d’être bousculé et pris carrément aux tripes. Mais c’est surtout rendre justice à ces hommes et femmes qui, dix ans après, continuent leur combat pour une vie digne, loin du pathos et du sensationnalisme. Cette série, en sus d’être extrêment remuante, est essentielle. Elle rappelle que, dans la pire des nuits, l’amitié, la justice et l’écoute peuvent sauver.
Si Paris rappelle la force d’un État de droit - où la souffrance des victimes devient affaire collective et reçoit reconnaissance -, il est urgent que Beyrouth, à son tour, trouve le chemin de la justice et offre enfin à ses victimes ce que la loi peut promettre: la vérité et la possibilité de se relever.
Mais une chose est certaine: ni oubli ni pardon ne trouveront place. C’en serait proprement indécent. Il faut que ce terrorisme innommable cesse. S’attaquer à ceux qui dînent à une terrasse, assistent à un match de foot ou partagent la musique d’un concert, c’est s’en prendre à ce droit sacré et naturel des Parisiens - et de tout citoyen dans le monde - à vivre librement leur ville. Rien ne saurait justifier un tel carnage. C’est irrecevable, et c’est cela qu’il faut redire, sans relâche.
Dans l’ombre du 13-Novembre: oubliés et héros méconnus
Si le Bataclan concentre l’attention et la mémoire, d’autres visages et d’autres destins ont marqué la nuit du 13 Novembre. Dans l’ombre des projecteurs, des victimes demeurent oubliées, tandis que des héros silencieux, comme Sonia, ont pourtant changé le cours de l’histoire. Retour sur ces mémoires invisibles et ces actes de courage méconnus.
Terrasses, Stade de France: ces vies fauchées aussi le 13 Novembre
Si le Bataclan est devenu, dans la mémoire collective, le symbole absolu de la nuit du 13 Novembre, il ne fut pas le seul théâtre de l’horreur. Ce soir-là, sur les terrasses de cafés, aux abords du Stade de France, des dizaines d’hommes et de femmes ont été tués, blessés ou marqués à jamais. Pourtant, beaucoup d’entre eux témoignent aujourd’hui d’un sentiment d’invisibilité, comme si leur souffrance restait dans l’ombre du drame du Bataclan.
Certains rescapés et familles dénoncent un « oubli républicain », la difficulté à faire entendre leur voix, à obtenir reconnaissance, accompagnement et même parfois réparation. « Nous avons eu l’impression de passer au second plan », confie l’un d’eux, dix ans après. Le récit national s’est cristallisé autour du Bataclan, lieu de la prise d’otages et du massacre le plus long, mais la douleur, elle, s’est diffusée partout où la vie fut fauchée ce soir-là. Se souvenir de toutes les victimes, ne laisser personne dans l’ombre : c’est aussi cela, le devoir de mémoire.
«Sonia», celle qui a permis d’arrêter les terroristes
Au lendemain du 13 Novembre, le nom de «Sonia» – un pseudonyme destiné à protéger son identité – est resté inconnu du grand public. Pourtant, son choix a été décisif dans la suite de l’enquête. Sonia a accepté de collaborer avec la police et de livrer un témoignage crucial : c’est grâce à son courage qu’Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attaques, a pu être localisé à Saint-Denis. L’intervention des forces de l’ordre, qui s’ensuivra, a empêché de nouveaux attentats en région parisienne. Pourtant, Sonia est longtemps restée dans l’ombre: placée sous protection, éloignée de ses proches, elle n’a pas eu droit à la reconnaissance publique que son geste méritait.
Un documentaire diffusé sur France TV (Le choix de Sonia) revient sur ce parcours exceptionnel, entre solitude, peur, et sens du devoir. Le récit de Sonia rappelle que derrière l’horreur, il y a aussi des femmes et des hommes dont le courage, discret, change le cours de l’histoire, et mérite d’être honoré.
À voir absolument : « 13 Novembre, le choix de Sonia » sur France Télévisions




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