Les élections législatives irakiennes de ce 11 novembre se déroulent dans un climat d’apathie populaire, mais d’intense fébrilité régionale. Pour l’Iran, affaibli sur tous les fronts, le scrutin est un enjeu vital: maintenir son emprise sur Bagdad ou risquer de perdre l’un de ses derniers bastions d’influence dans le monde arabe.

Officiellement, les législatives irakiennes sont une nouvelle étape démocratique dans un pays encore meurtri par deux décennies de guerre et d’instabilité. En réalité, le scrutin se joue sous l’ombre persistante de l’Iran, qui tente de préserver à tout prix un système politique largement façonné à son avantage depuis la chute de Saddam Hussein en 2003.

Le Premier ministre sortant, Mohamed Chia al-Soudani, doit son ascension au Cadre de coordination, une coalition de partis et milices chiites liés à Téhéran. C’est grâce à leur soutien qu’il a pu s’imposer en 2022. Aujourd’hui, ces mêmes factions cherchent à prolonger leur domination, dans un contexte où le rejet populaire de l’ingérence iranienne se fait de plus en plus audible.

L’influence iranienne vacille

Ces élections surviennent à un moment critique pour la République islamique. Ses alliés régionaux – le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et les Houthis du Yémen – ont été sévèrement affaiblis par les offensives israéliennes. La chute du régime syrien de Bachar el-Assad fin 2024 a achevé de désarticuler le «croissant chiite» que Téhéran rêvait de consolider de Beyrouth à Bagdad.

Dans ce contexte, l’Irak apparaît comme la dernière planche de salut du régime iranien pour conserver une profondeur stratégique et un accès économique vital. Les milices pro-iraniennes y demeurent puissantes, armées, et infiltrées dans les institutions sécuritaires et économiques. Mais leur légitimité s’effrite. La population irakienne, épuisée par la corruption et les violences sectaires, rejette de plus en plus ouvertement la tutelle étrangère, qu’elle vienne de Téhéran ou d’ailleurs.

L’absence du courant sadriste: un tournant

Le boycott du scrutin par le leader chiite Moqtada Sadr, figure nationaliste farouchement opposée à l’influence iranienne, affaiblit la crédibilité du processus électoral. En 2021, son mouvement avait remporté la majorité des sièges avant d’être marginalisé par la coalition pro-iranienne. Sa mise à l’écart volontaire illustre la confiscation du jeu politique par des forces inféodées à Téhéran.

«Cette élection n’est qu’une mascarade au profit de l’Iran», résume un analyste à Bagdad. Le faible taux de participation attendu – probablement inférieur à 40% – confirme le désenchantement d’un peuple convaincu que les urnes ne changeront rien tant que les décisions se prendront à Qom plutôt qu’à Bagdad.

Washington de retour sur le terrain

Face à la persistance des réseaux iraniens, les États-Unis ont décidé de réinvestir le champ politique irakien. L’envoyé spécial Mark Savaya, d’origine irakienne, a réaffirmé la volonté de Washington de «libérer l’Irak des ingérences étrangères malveillantes», en visant directement Téhéran et ses supplétifs. Les 2.500 soldats américains encore présents dans le pays constituent désormais un garde-fou contre la domination iranienne, tandis que des contrats économiques stratégiques, notamment dans l’énergie, renforcent l’ancrage américain.

Selon plusieurs observateurs, Washington attend du futur gouvernement qu’il prenne des mesures concrètes pour réduire l’influence iranienne, notamment en désarmant les milices et en empêchant l’Iran d’utiliser le territoire irakien pour contourner les sanctions internationales.

Un pays pris en otage

Vingt ans après la chute de Saddam Hussein, l’Irak reste un champ de bataille entre puissances étrangères. Mais plus que jamais, le vote du 11 novembre détermine si Bagdad continuera d’être le pion d’un régime théocratique en crise ou s’il parviendra à reprendre le contrôle de son destin national.

Le défi de cette élection est immense: reconstruire un État souverain, débarrassé des milices, de la corruption et des influences étrangères. Pour l’heure, tout indique que l’Iran fera tout pour empêcher ce scénario. Car perdre l’Irak, pour Téhéran, ce serait perdre bien plus qu’un allié. Ce serait admettre la fin d’un empire d’influence bâti sur la peur et la dépendance.

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