Rencontre des Auteurs Francophones: l’expansion fulgurante d’une communauté littéraire
Sandrine Mehrez Kukurudz, distinguée au sein de 100 femmes de Culture. ©Ici Beyrouth

Née à New York en 2020, la Rencontre des Auteurs Francophones a su transformer une idée locale en un réseau mondial, alliant plateforme digitale, festivals sur trois continents et engagement social, sous l’impulsion de Sandrine Mehrez Kukurudz, figure désormais reconnue parmi les 100 Femmes de Culture, qui a accordé un entretien à Ici Beyrouth.

En 2020, alors que le monde retient son souffle face à la pandémie, une idée germe sur le sol américain. Sandrine Mehrez Kukurudz, communicante chevronnée, pose à New York les premiers jalons de ce qui n’est encore qu’un projet modeste: permettre aux auteurs francophones installés aux États-Unis de rencontrer leur public et de faire entendre leur voix. Un pari audacieux, dans un pays où le français reste langue minoritaire, mais dont l’ambition initiale –  organiser de petits salons du livre de la côte Est à la côte Ouest –  paraît, rétrospectivement, presque timide face à l’ampleur de la suite.

«Très vite, la pandémie a balayé toutes nos certitudes. Mais abandonner cette idée était inenvisageable. Quand on a passé sa vie à fédérer, à créer du lien, on ne recule pas devant l’adversité.» Sandrine Mehrez Kukurudz s’en souvient avec force: alors que le monde s’enferme, elle décide d’ouvrir encore plus grand la parenthèse. Ce qui aurait pu n’être qu’un accident de parcours devient alors un tournant: le projet communautaire se mue en site dédié, puis en réseau international, bientôt en écosystème littéraire à part entière.

La pandémie, accélérateur de destinées

Le paradoxe de la crise sanitaire, c’est qu’elle aura servi de catalyseur. Des auteurs, partout sur la planète, prennent contact. Ils cherchent des outils pour exister, être vus, accompagnés, se rassembler alors que tout isole. Sandrine répond présente, opère une sélection pour préserver l’âme du projet, mais accueille: «Le bonheur, c’est de créer une famille pour des auteurs qui, sans ce réseau, resteraient seuls, parfois invisibles.»

En quelques mois, le projet perd sa spécificité américaine. Il devient universel. En 2024, Rencontre des Auteurs Francophones (RDAF) fédère près de 400 auteurs de 54 pays et territoires. L’aventure s’internationalise, soutenue par des figures majeures telles qu’Amanda Sthers, Alain Mabanckou, Dany Laferrière, Marc Levy ou Amadou Lamine Sall, ainsi que par une trentaine de membres d’honneur parmi les lauréats des prix Goncourt, Renaudot, Fémina et autres distinctions internationales. Les événements se multiplient, les antennes essaiment sur cinq continents : ce n’est plus un réseau, c’est une communauté, une famille littéraire mondiale.

L’ambition de Sandrine Mehrez Kukurudz ne s’arrête pas à la simple visibilité des auteurs. «Nous voulons offrir le livre à tous, partout», martèle-t-elle. Si la lecture va de soi dans certains foyers, elle reste un trésor dans d’autres, notamment dans des régions reculées où un enfant relit trente fois le même ouvrage, faute de mieux. «Un livre peut changer un destin.» Cette conviction intime devient un mot d’ordre, et un engagement de terrain.

L’initiative s’incarne aussi dans le militantisme. «Un jour, une journaliste et amie aujourd’hui membre du réseau, m’a appelée “activiste littéraire”. J’en ai fait mon étendard. Promouvoir le livre, c’est militer: je rappelle sans cesse aux auteurs, même les plus célèbres, qu’ils sont eux aussi des passeurs, des porte-drapeaux.» Ce n’est pas un hasard si chaque festival débute dans les écoles, et si l’attention se porte en priorité sur les adolescents: «Ceux qui délaissent le livre, ce sont eux notre véritable cible.»

Un écosystème, mais aussi un mouvement

Si la Rencontre des Auteurs Francophones est aujourd’hui un réseau, elle s’est aussi structurée comme un véritable écosystème au service des auteurs, à chaque étape de leur parcours. Le site propose des émissions littéraires sur une chaîne YouTube dédiée, un blog international et une maison d’édition collaborative, qui rassemble des textes autour de grandes thématiques, offerts à des responsables culturels, institutionnels et politiques du monde entier.

Les auteurs de la RDAF ne sont pas de simples membres : ils s’entraident, se soutiennent, partagent conseils et opportunités. Ils vivent la dimension collective d’une «famille», selon le mot de Sandrine: «Ils sont responsables les uns des autres.»

Le rayonnement du réseau se concrétise dans l’organisation du Festival International des Auteurs Francophones, d’abord ancré à New York, puis déployé sur trois continents. La cinquième édition new-yorkaise, parrainée en 2026 par Grégoire Delacourt (également dixième édition mondiale), sera suivie d’une première à Princeton, avec Alain Mabanckou en parrain et le soutien de la prestigieuse université. L’étape de Philadelphie, en 2026, sera marquée par les 250 ans de la signature de l’indépendance américaine. Les festivals bénéficient désormais de l’appui de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

En janvier 2027, la Rencontre pose ses valises à Cannes pour un projet d’envergure: Un livre, un destin. Ce rendez-vous débutera par un dîner fondateur au Carlton, en présence du prix Goncourt 2023, Jean Baptiste Andrea. «Parce qu’un livre, à tout âge, peut être un déclencheur, un horizon», insiste Sandrine Mehrez Kukurudz.

Le tournant digital 

En 2025, la Rencontre des Auteurs Francophones franchit une nouvelle étape avec le lancement de la plateforme digitale interactive Place des Auteurs Francophones. Ici, les auteurs gèrent eux-mêmes leur visibilité: fiches auteurs actualisées, agora littéraire, agenda mondial doté d’une carte interactive et de recherches multicritères pour localiser un événement, à deux pas de chez soi ou à l’autre bout du monde.

«Ce n’est pas un simple site, c’est un outil d’autonomie, une scène numérique, un espace de création permanente.» L’objectif: donner aux auteurs les moyens d’être acteurs de leur diffusion, de multiplier les rencontres, de tisser des liens concrets.

L’année 2026 verra naître La Place des Auteurs Africains Francophones, conçue avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie, et pensée comme un espace interactif ouvert aux auteurs, éditeurs, libraires, associations et acteurs culturels du continent africain et de la diaspora. Il s’agira d’un lieu d’échange, d’annonce, de publication et de valorisation, pour faire vibrer la littérature africaine francophone sur la scène internationale. Un appel à candidatures est déjà lancé pour sélectionner les premiers participants.

Un engagement salué: «100 Femmes de Culture»

En 2025, l’engagement de Sandrine Mehrez Kukurudz est reconnu lors de la cérémonie annuelle des 100 Femmes de Culture, initiative soutenue par le ministère de la Culture français et organisée au Palais de Tokyo. Cette distinction, qui rassemble cheffes d’entreprise, artistes, autrices, productrices et dirigeantes d’institutions culturelles, est pour elle un signal fort. «Ce qui compte, au-delà de l’honneur, c’est la création d’un réseau bienveillant où l’on avance ensemble, où les portes s’ouvrent dans un esprit de sororité et d’entraide.»

Le succès de la Rencontre des Auteurs Francophones tient à la puissance de son réseau, à l’engagement de ses membres, ambassadeurs de cœur et bâtisseurs d’antenne sur les cinq continents. Plus que jamais, Sandrine Mehrez Kukurudz revendique la force du collectif: «Ensemble, on est plus fort n’a jamais été aussi vrai !» Son initiative, née d’une conviction et d’un contexte de crise, s’impose désormais comme une référence incontournable de la francophonie littéraire mondiale – et comme le moteur d’un nouveau militantisme, celui du livre, de la création, de la transmission.

Rencontre des Auteurs Francophones: de la pandémie à la sororité littéraire mondiale, la preuve qu’une idée née dans l’adversité peut, avec détermination, devenir un mouvement et changer des vies.

 

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