Robert F. Kennedy, l’idéaliste foudroyé
Frère de JFK, Robert Kennedy Kennedy portait l’espoir d’une Amérique réconciliée. ©Ici Beyrouth

Accidents, assassinats, maladies : depuis plus d’un demi-siècle, la famille Kennedy semble condamnée à une succession de drames. À travers une série de portraits, retour sur les vies brisées et les destins contrariés de cette dynastie américaine, où la lumière du pouvoir côtoie l’ombre de la fatalité. Après un deuxième volet consacré à John F. Kennedy, président fulgurant et figure originelle d’une tragédie devenue mythe américain. cet article revient sur Robert F. Kennedy, l’idéaliste foudroyé, dont le combat pour la justice et la paix s’est achevé dans la violence et la sidération.

Si John F. Kennedy a incarné la promesse d’une Amérique jeune et conquérante, Robert Francis Kennedy, son frère cadet, a porté l’espoir d’une nation plus juste, plus fraternelle. Dans l’ombre de son aîné, puis à la lumière crue de la tragédie, Bobby, comme l’appelaient affectueusement ses proches et ses soutiens, s’est imposé comme la conscience inquiète d’une dynastie frappée par la fatalité.

Né le 20 novembre 1925 à Brookline, dans le Massachusetts, Robert grandit dans une famille où le devoir de réussir prend des allures de destin. Septième enfant du clan, il n’est ni le plus charismatique, ni le plus attendu. Pourtant, c’est dans cette discrétion que se forge sa force singulière : Bobby, observateur attentif, apprend tôt la solidarité, la loyauté et le sens de la justice, valeurs que lui transmettent à la fois la rigueur de son père et la tendresse de sa mère Rose. Mais la lignée Kennedy est vite rattrapée par la douleur : la mort de son frère aîné Joseph Jr. en 1944, lors d’une mission aérienne en Europe, et plus tard l’assassinat de John, marquent Robert au fer rouge. Très jeune, il intègre que l’engagement public n’est pas seulement un honneur, mais aussi une source de risques inouïs.

Brillant étudiant, Robert Kennedy fréquente Harvard puis la faculté de droit de l’Université de Virginie. Il se révèle vite un juriste redoutable, passionné par la lutte contre la corruption et le crime organisé. Son passage à la tête du comité sénatorial d’enquête sur les activités de la mafia dans les années 1950 fait de lui un homme respecté, mais aussi craint. Plus qu’un simple bras droit, il devient l’âme vigilante de la famille: loyal jusqu’à l’acharnement, impitoyable envers l’adversité, mais profondément attaché à la justice sociale.

En 1961, Robert Kennedy accède à la fonction de ministre de la Justice dans l’administration de son frère. Dans un pays encore secoué par la ségrégation et la peur du changement, il s’engage fermement pour les droits civiques, se heurte aux gouverneurs ségrégationnistes du Sud, protège les premiers étudiants noirs à l’université de Mississippi, fait entrer la justice fédérale dans des territoires longtemps abandonnés à l’arbitraire. À la Maison-Blanche, Bobby est partout : stratège dans la gestion des crises, confident de JFK, intermédiaire lors de la crise des missiles de Cuba. Mais il reste d’abord le frère, le protecteur; la perte de John, le 22 novembre 1963, ouvre en lui une blessure intime dont il ne se remettra jamais vraiment.

Après le drame de Dallas, Robert traverse une longue période de deuil et de doute. Il se retire un temps de la vie publique, s’isole, trouve refuge dans la littérature (Esquilo, Dante, Camus) et dans l’écoute des anonymes. Mais l’histoire le rattrape : poussé par ceux qui voient en lui le seul capable de continuer la marche, il se fait élire sénateur de New York en 1965. Plus qu’un politicien, il devient alors la voix des humiliés et des offensés. Bobby parcourt les ghettos de Harlem, les bidonvilles du Mississippi, les campagnes pauvres de Californie; il tend la main aux ouvriers, s’entretient avec César Chavez, partage la souffrance des familles déshéritées. Sa capacité d’écoute, son empathie sincère, frappent jusqu’à ses adversaires.

Dans une Amérique fracturée par la guerre du Vietnam, les émeutes raciales et l’assassinat de Martin Luther King, Robert Kennedy incarne l’espoir d’une réconciliation. Il s’oppose frontalement à la politique de la peur, refuse l’escalade militaire, prône le dialogue et la justice. Sa campagne présidentielle de 1968, lancée presque à contre-cœur, fait renaître l’enthousiasme de la jeunesse, attire les minorités, rassemble ouvriers, étudiants et militants des droits civiques autour d’un même idéal. Partout où il passe, les foules affluent, portées par l’idée qu’un autre futur est possible.

Mais la tragédie rôde toujours autour des Kennedy. Le 5 juin 1968, au soir de sa victoire aux primaires démocrates de Californie, Bobby est abattu à l’hôtel Ambassador de Los Angeles par Sirhan Sirhan, jeune immigré palestinien opposé à ses positions sur le Moyen-Orient. Gravement blessé, il meurt à l’hôpital le lendemain matin, à l’âge de 42 ans, laissant derrière lui dix enfants et une épouse enceinte de leur onzième, un pays orphelin et une famille une nouvelle fois dévastée.

Le choc est immense : le train funéraire qui transporte sa dépouille traverse des villes endeuillées, où des centaines de milliers de personnes se pressent pour lui rendre hommage. À chaque arrêt, l’Amérique mesure l’ampleur de la perte, le poids du rêve brisé. Pour beaucoup, la mort de Robert Kennedy sonne le glas d’une époque : celle de l’espoir, de l’audace et de la réconciliation possible.

L’héritage de Robert F. Kennedy dépasse pourtant la seule chronologie des drames familiaux. Par sa capacité à transformer la souffrance intime en énergie politique, par son refus du cynisme et de la résignation, il reste un modèle pour les générations suivantes. Il a tracé la voie d’un engagement lucide, où l’idéal n’est jamais séparé de la réalité, où la grandeur se mesure à la compassion.

Sa disparition brutale renforce l’idée d’une malédiction pesant sur les Kennedy, mais elle laisse aussi le témoignage bouleversant d’une humanité rare, d’une quête inlassable de justice et d’une foi invincible dans l’homme. Robert F. Kennedy, l’idéaliste foudroyé, reste l’un des visages les plus poignants de la tragédie américaine: celui de l’espoir qui, même dans la nuit, refuse de s’éteindre.

À suivre : David Kennedy, l’enfant perdu


 

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