En revendiquant, ce lundi, un engagement à « rendre justice aux déposants », le Premier ministre Nawaf Salam n’a pas seulement travesti la réalité : il a entériné, avec l’appui actif du Fonds monétaire international (FMI), l’un des plus vastes renoncements financiers et moraux de l’histoire du Liban. La Gap Law, présentée comme un cadre juridique salvateur, constitue en réalité l’aboutissement d’une stratégie concertée visant à effacer la dette publique, liquider les dépôts et sacrifier le système bancaire au nom d’une orthodoxie technocratique déconnectée de toute justice sociale.
Une justice conditionnelle dictée par le FMI
La promesse phare de Nawaf Salam — restituer intégralement les dépôts inférieurs à 100 000 dollars sur quatre ans — repose sur une formule-clé qui en révèle la supercherie : « dans la limite des ressources disponibles ». Cette clause, inspirée directement des prescriptions du FMI, vide la notion de justice de toute substance juridique. Elle transforme un droit fondamental en faveur conditionnelle, subordonnée à un État que le même FMI reconnaît pourtant comme insolvable.
Le FMI, loin de défendre les déposants, a imposé une approche qui commence par exclure l’État libanais de la chaîne des responsabilités, alors même qu’il est le principal débiteur du système via des décennies de déficits, d’emprunts et de captation des ressources de la Banque du Liban. En avalisant cette logique, Nawaf Salam n’assume pas les responsabilités : il les efface.
Des “obligations” pour maquiller la confiscation
Le traitement réservé aux petits et moyens déposants illustre la brutalité du schéma FMI–gouvernement. Ceux-ci se verraient remettre des « obligations négociables », présentées comme une restitution sans décote du principal. En réalité, il s’agit d’un instrument financier fictif : non garanti par l’État, non adossé à des actifs réels, non inscrit dans un calendrier de remboursement crédible.
Cette solution, directement inspirée des recettes standard du FMI dans des États en faillite, ne vise pas à rembourser les déposants, mais à les sortir des bilans. Elle convertit une créance certaine en promesse abstraite, transférable uniquement sur le papier, et destinée à perdre sa valeur dans un marché inexistant.
L’effacement programmé de la dette publique
Le cœur idéologique de la Gap Law — et du dogme du FMI — réside dans l’effacement discret mais total de la dette de l’État. En liquidant les banques et en neutralisant la Banque du Liban, le gouvernement Salam exécute la solution la plus simple politiquement : faire disparaître le créancier pour faire disparaître la dette.
Cette approche viole les principes élémentaires de la responsabilité souveraine. Elle consacre un précédent dangereux : un État peut dilapider, emprunter, confisquer… puis s’absoudre en décrétant l’insolvabilité générale. Le FMI, qui prétend promouvoir la discipline budgétaire, devient ici le garant d’une impunité institutionnelle.
La liquidation du système bancaire comme doctrine
Sous couvert de « cadre juridique complet », la Gap Law met en œuvre la liquidation méthodique du secteur bancaire libanais. Avec l’aval du FMI, le gouvernement Nawaf Salam — épaulé par le ministre des Finances Yassine Jaber, le ministre de l’Économie Amer Bsat et le gouverneur de la BDL Karim Souhaid — choisit la table rase plutôt que la restructuration.
Aucune recapitalisation sérieuse, aucun plan de continuité, aucune conformité réelle avec les normes internationales de résolution bancaire. Le FMI, pourtant prompt à invoquer la directive européenne BRRD ou les principes du Comité de Bâle ailleurs, accepte au Liban une approche qu’il n’oserait jamais imposer dans un État doté d’institutions solides.
Un FMI en contradiction avec ses propres normes
Fait révélateur : même les observations techniques du FMI sur la Gap Law reconnaissent des failles graves — absence de hiérarchie claire des pertes, dilution des responsabilités publiques, risques systémiques majeurs. Mais ces réserves restent sans conséquence politique. Le FMI valide le cadre tout en admettant son injustice structurelle.
Ce double discours révèle la réalité : le Liban sert de laboratoire à une ingénierie financière de crise où la priorité n’est ni la justice ni la reprise économique, mais la clôture comptable d’un dossier devenu encombrant.
Un naufrage moral sous couvert de réformes
En invoquant la transparence, la justice et l’honnêteté, Nawaf Salam cherche à donner une légitimité morale à une loi dictée par une institution internationale qui a fait de l’austérité et de la socialisation des pertes un dogme. La Gap Law ne protège ni la stabilité sociale ni la classe moyenne ; elle en acte la disparition.
Ce projet n’est pas une réforme courageuse. C’est une reddition politique face au FMI et un abandon assumé des citoyens. Le Liban n’entre pas dans une nouvelle phase : il consacre juridiquement la spoliation de son peuple — avec la bénédiction de ceux qui prétendent le sauver.



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