En pleine crise nationale, le Premier ministre Nawaf Salam propose ce qu’il nomme la loi sur le « gap financier » comme une solution technique, alors qu’il s’agit d’une légalisation de la souffrance et d’une confiscation méthodique des économies des Libanais, placées dans les banques.
La loi dite de « Kulluna Irada » ne se contente pas de dérober l’argent : elle porte également atteinte à la dignité, réduisant des années de labeur et d’espérance à de simples chiffres froids figés dans des tableaux de pertes, comme si la souffrance et les revendications des déposants pouvaient être balayées d’un simple vote.
Dans ce contexte, la responsabilité du président de la République, à la fois constitutionnelle et morale, est de refuser cette loi et de s’y opposer. Son adoption reviendrait à protéger le système aux dépens des citoyens. Tout député qui voterait ce texte se placerait en conflit directe avec la conscience des Libanais et avec l’Histoire.
La professeure Nicole Ballouz Baker a d’ailleurs alerté contre la loi sur le « gap financier », qu’elle juge dangereuse, car elle ne repose sur aucun traitement réel de la crise, mais sur une approche profondément injuste qui élude la question essentielle : qui doit assumer la responsabilité ? Selon elle, il est inacceptable de faire peser cette charge sur les citoyens ou les déposants, alors que seuls les véritables responsables doivent en répondre. Sans une véritable reddition des comptes, la confiance ne pourra jamais être restaurée.
Mme Baker souligne, en outre, le caractère systémique de la crise libanaise, née d’une succession de politiques publiques erronées et d’une gestion chronique défaillante. Toute tentative de la résoudre par une classification des déposants constitue une mesure arbitraire, dénuée de fondements juridiques et économiques solides. À ce titre, elle interroge : sur quels critères repose cette classification des déposants ? Et sur quel fondement légal ? Les classifications proposées ne compensent pas les pertes mais privent les déposants de leurs droits et les exposent à une absence totale de protection juridique.
Quelle logique peut ainsi fragmenter le droit, classer les dépôts et transformer le déposant, titulaire légitime, en accusé, et la victime en fardeau ? Il s’agit d’une tentative manifeste de pousser les citoyens à accepter la perte définitive de leur argent, sans que État ni la loi ne les protègent.
Mme. Baker souligne également que, depuis le début de la crise, les réponses apportées ne sont que des mesures de façade. Les négociations avec le Fonds monétaire international en sont l’illustration la plus frappante puisqu’elles n’ont jamais abordé les questions essentielles. Existe-t-il une véritable vision ? Les solutions proposées s’attaquent-elles aux causes profondes du problème ou se limitent-elles à déplacer les pertes d’un acteur à l’autre ?
Toute loi qui ne reconnaît pas le caractère systémique de la crise, qui ne définit pas clairement les responsabilités et qui ne protège pas les droits des déposants, est une loi incomplète et dangereuse, qui consolide l’effondrement plutôt que de mettre le Liban sur la voie du redressement, conclut-elle.
Les déposants ne sont pas des chiffres dans les registres de l’État, mais bien des familles, des malades, des étudiants, des retraités et des rêves suspendus. Quiconque approuve la légalisation du vol de leurs économies se condamne moralement.
Le vote de la loi sur le « gap financier » n’est ni un choix politique ni une mesure technique : il s’agit d’une prise de position morale scandaleuse et d’un alignement explicite contre le peuple. Celui qui la soutient scelle, en pleine conscience, l’atteinte aux avoirs et à la dignité des Libanais — et aucune justification ultérieure ne pourra le disculper, ni devant l’opinion publique, ni devant l’Histoire.



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