Le FMI « discipline » le monde à travers le déposant libanais
©Al Markazia

Le projet de « loi sur la fracture financière » ne constitue pas un plan de sauvetage, mais un cadre juridique organisant la liquidation des dépôts et la déresponsabilisation de l’État et de la Banque du Liban. Voici une analyse détaillée par Lebanon Debate.

Ce que le gouvernement a présenté sous l’intitulé de « loi sur la fracture financière » n’est pas un simple texte financier, mais un cadre fondateur du paysage économique qui suivra son adoption. Une loi qui ne dissimule pas son objectif, mais l’annonce avec froideur : clore une crise vieille de plusieurs années au lieu de la résoudre, effacer les dépôts plutôt que de les restituer, et exonérer l’État et la Banque centrale, même au prix de la destruction simultanée du système bancaire et des déposants. Ainsi, le déposant libanais devient un outil de « discipline » dans un modèle que l’on souhaite généraliser, et non un titulaire de droits censés être protégés.

Quiconque lit cette loi article par article comprend rapidement que le gouvernement n’a pas élaboré un plan de sauvetage, mais un cadre juridique légalisant la trajectoire financière la plus périlleuse de l’histoire du Liban. Une trajectoire qui porte atteinte au cœur même du droit de propriété, légalise la faillite collective des banques et anéantit toute possibilité de reconstruction d’un système financier sain, entraînant le pays vers une économie de cash fragmentée, sans confiance et sans secteur bancaire. Le tout sous le label de la « réforme » et au nom de la conformité à des diktats extérieurs sans aucun lien avec la protection des droits des Libanais.

Dans son essence, le projet reflète un choix politique clair : l’alignement total sur l’approche du Fonds monétaire international et l’abandon de toute vision souveraine. L’État qui a accumulé la dette, financé les déficits, fixé artificiellement le taux de change, dilapidé les fonds publics, puis fait défaut sur sa dette, se retire purement et simplement du champ de la responsabilité. Aucune contribution obligatoire de son budget, aucune prise en charge directe du coût de l’effondrement. Il se contente, comme indiqué au chapitre V, de reconnaître « en principe » l’existence d’une dette envers la Banque du Liban, dont le montant et les modalités seront fixés ultérieurement selon ce qu’il appelle la « soutenabilité de la dette publique », autrement dit selon ce qui convient à l’État, et non selon ce qu’impose le droit.

Cela suffit à faire tomber tout le discours gouvernemental sur la responsabilité. Dans cette loi, l’État n’est pas une partie tenue d’assumer ses obligations, mais un acteur qui négocie l’ampleur de sa responsabilité en fonction de ses capacités politiques et financières, et non du préjudice qu’il a infligé à l’économie et à la société.

Quant à la Banque du Liban, elle sort du texte avec une quasi-immunité. Bien que l’exposé des motifs reconnaisse que les politiques monétaires de la Banque centrale ont contribué à la dégradation de la qualité de ses actifs et à son incapacité à honorer ses engagements envers les banques, le projet évite soigneusement l’application de l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit, qui oblige le Trésor à couvrir les pertes de la Banque centrale. Cette obligation légale claire est transformée en simple « option » laissée au gouvernement, en violation flagrante d’un texte en vigueur et sans ambiguïté.

Une fois l’État exonéré et la Banque centrale protégée, il ne reste plus sur la scène que les banques et les déposants.

La loi, notamment dans son chapitre VI (articles 11 à 14), trace ce chemin sans équivoque : les dépôts dépassant 100 000 dollars ne sont pas restitués en liquidités, mais convertis en « certificats adossés à des actifs » émis par la Banque du Liban, arrivant à échéance après 10, 15 ou 20 ans, à faible rendement, et sans garantie réelle autre que des revenus futurs hypothétiques de la Banque centrale.

En pratique, il ne s’agit pas d’une restitution des dépôts, mais du remplacement d’un droit de propriété par un instrument financier de valeur inconnue. Aucune simulation claire des revenus des actifs, aucune précision sur l’utilisation de l’or protégé par la loi, aucun éclaircissement sur la manière de couvrir ces engagements dans un contexte de pénurie de liquidités. Pire encore : la réserve obligatoire, qui est un droit des déposants, est utilisée comme si elle constituait une « contribution » de la Banque du Liban, dans un renversement total des faits.

Plus grave encore, la loi ne se contente pas d’effacer les dépôts de manière déguisée ; elle criminalise les déposants eux-mêmes. Dans le chapitre III, notamment à l’article 5, les transferts effectués après le 17 octobre 2019 sont rouverts et traités comme suspects, alors qu’ils étaient légaux et approuvés par la Banque du Liban. Le projet criminalise également les intérêts bancaires perçus légalement depuis 2016 et exige leur restitution, en violation manifeste du principe de non-rétroactivité des lois et des droits acquis. Quelle est donc cette loi qui punit le citoyen pour avoir respecté un contrat, une loi et des circulaires officielles ?

Parallèlement à l’atteinte portée aux déposants, la loi frappe le secteur bancaire à la racine. Elle commence par l’annulation totale des fonds propres, puis exige une recapitalisation, tout en imposant aux banques de supporter 20 % du coût des certificats à long terme. Quelle banque peut survivre à une telle charge étalée sur des décennies ? Quel investisseur accepterait d’injecter des capitaux dans un secteur que la loi a déjà condamné à la faillite ?

La contradiction la plus grave réside dans le fait que l’exposé des motifs reconnaît explicitement le caractère systémique de la crise et la responsabilité partagée de l’État et de la Banque du Liban, mais utilise cet aveu pour justifier le transfert des pertes vers les déposants et les banques, tout en blanchissant les véritables responsables.

En arrière-plan, le Fonds monétaire international a choisi d’adresser un message sévère aux banques engagées dans le financement des États, non pas au nom de la réforme, mais de la dissuasion. Le FMI ne considère pas le Liban comme un cas isolé, mais comme une composante d’un paysage mondial plus large, où les banques sont devenues les principaux financeurs des États via la souscription massive à leurs obligations souveraines. D’où cette approche punitive : les banques doivent « réfléchir » avant de prêter aux États, car le coût de la défaillance ne sera peut-être pas supporté par l’État en défaut, mais par les banques elles-mêmes et leurs déposants. Dans ce cadre, le Liban n’est pas traité comme une exception, mais comme un modèle destiné à être discrètement généralisé : un exemple de la manière de sanctionner les banques et leurs déposants sans reconnaître explicitement que l’État failli est le premier responsable de l’effondrement, et sans annoncer ouvertement que ce qui se passe au Liban constitue un précédent à faire passer par étapes.

Si cette loi est adoptée dans sa forme actuelle, l’issue est déjà connue : faillite collective du secteur bancaire et disparition organisée de l’épargne des déposants. L’annulation des capitaux, les charges de long terme et l’entrave à toute recapitalisation conduisent inévitablement à la chute des banques les unes après les autres, sous un habillage législatif conférant à cet effondrement le label trompeur de la « réforme ».

Dans ce scénario, les dépôts ne sont plus des droits, mais de simples écritures comptables sans valeur ; la protection sociale n’est plus qu’une illusion. L’État, lui, reste spectateur après s’être accordé une exonération légale, tandis que la Banque du Liban ressort avec des bilans « assainis » au prix du transfert des pertes sur les citoyens.

En conclusion, ce que le gouvernement a préparé n’est pas une loi de sauvetage, mais une loi de liquidation : liquidation du secteur bancaire, liquidation des dépôts des citoyens et liquidation du principe même de l’État garant des droits. L’objectif est limpide : présenter un bilan « propre » au Fonds monétaire international, quel qu’en soit le coût.

Toute autorité qui adopte une telle loi ne commet pas une erreur technique, mais prend une décision politique historique : légaliser la plus vaste opération de confiscation des dépôts de l’histoire du Liban.

Voilà le tableau final dressé par cette loi.

Un tableau qui n’a rien d’un sauvetage.

Commentaires
  • Aucun commentaire