Rien que le nom peut faire hérisser ceux qui abhorrent l’Occident et «l’hégémonisme américain». Pourtant, ni la dramatisation démesurée, ni l’enthousiasme excessif n’empêchent de passer la dollarisation au crible du raisonnement économique.
Qu’est-ce que c’est?
La dollarisation désigne l’emploi officiellement admis du dollar, voire à la place de la monnaie nationale. D’habitude, une telle décision est prise dans un pays en développement en situation de crise économique, d’inflation galopante et de monnaie nationale en chute libre. Des facteurs politiques peuvent jouer aussi un rôle.
Elle peut être implémentée soit par décret officiel, dans le but de stabiliser les finances du pays, soit de facto, sous la forme d’une utilisation massive et admise de la part des acteurs économiques.
Ce qu’on y gagne
En dollarisant une économie, le taux d'inflation local est supposé s’aligner alors sur celui des États-Unis. Les individus et les institutions se protègeront contre les vicissitudes liées au taux de change, la dévaluation de la monnaie, ou encore la baisse du pouvoir d’achat. Le climat économique du pays devient du coup plus crédible et moins risqué. De nouveaux investissements seront attirés, créant ainsi de nouvelles richesses.
Ce à quoi il faudra renoncer
Tout cela semble bien beau mais, selon un certain adage, «choisir c’est renoncer». Premier renoncement: le pays en question perd sa maîtrise sur sa politique monétaire, renonce à l'option d’intervenir sur la quantité de monnaie en circulation afin de doper la croissance, ou sur son taux pour favoriser l’exportation.
On peut y ajouter la perte d’un «emblème national» et d’autres symbolismes généralement ressassés. Des arguments qui ne rentrent pas dans le cadre de cette analyse.
Une dizaine de pays ont adopté le dollar américain comme monnaie officielle dont, à part quelques micro-États et archipels, l’Équateur, le Salvador, le Zimbabwe, et Panama. On y ajoute beaucoup d’autres qui permettent, sans aucune restriction, l’utilisation du dollar à côté de la monnaie nationale.
Étude de cas: le Zimbabwe
Le Zimbabwe a connu à la fin des années 90 une dislocation économique et financière. La masse monétaire a augmenté démesurément, provoquant sa dévaluation et une inflation galopante. Ce qui a amené les autorités à adopter la dollarisation officielle en 2009.
Cette initiative a immédiatement contribué à réduire l'inflation. L'économie du pays est devenue plus stable, le pouvoir d'achat a augmenté et la croissance économique a repris des couleurs. Le dollar stable a attiré des investissements étrangers, contribuant au développement économique. Le taux d'inflation était maîtrisé, enregistrant 4,3% en 2018, la dernière année de cette époque…
Car en juin 2019, le gouvernement a annoncé la réintroduction de la monnaie nationale, le dollar zimbabwéen, décidant en plus que les devises étrangères n'auraient plus cours légal. Le taux d'inflation est monté jusqu’à près de 98%, peu après. Et l’hyperinflation y est toujours d’actualité, avec un des taux les plus élevés au monde.
L’Équateur
Des résultats similaires ont été observés dans ce pays d’Amérique latine. Avant la dollarisation officielle, l'Équateur souffrait d'un taux d'inflation élevé, atteignant le niveau ahurissant de 50% par mois en 1999, l’année où l’Équateur a connu une crise économique sans précédent. Les citoyens ne pouvaient plus retirer leur épargne de la banque. La monnaie nationale, le sucre, perdait tous les jours de sa valeur et le secteur bancaire était en faillite... le schéma classique.
Les autorités ont alors décidé d’adopter le dollar américain début 2000. Mais ce n’est qu’en 2002, avec le dollar parfaitement intégré dans l’économie, que l'inflation était tombée à un chiffre raisonnable de 10%. Du coup, le niveau des prix a été réduit, le PIB a augmenté, la confiance est revenue, attirant des investissements tous les ans un peu plus.
Revers de la médaille, des pertes à la conversion ont fortement lésé la population. Car lorsque les autorités équatoriennes ont décidé au début de la crise de geler les dépôts bancaires, un dollar américain équivalait à 5.000 sucres. Mais quand la population a pu à nouveau fonctionner avec ses comptes bancaires, le dollar valait 25.000 sucres. Cette dévaluation, décidée par les autorités au moment de la conversion officielle a été dévastatrice pour les épargnes, les salaires et les retraites.
Un autre inconvénient était naturellement l'incapacité d'augmenter la quantité de monnaie en circulation pour donner une impulsion à l'économie.
Étude de cas en perspective: le Liban
Que se passerait-il si la livre libanaise, déjà cohabitant avec le dollar depuis longtemps, était complètement éliminée au profit de la devise américaine? Pour Patrick Mardini, professeur d’économie à l’Université de Balamand, la dollarisation pourrait aider les Libanais à contrer la crise et à limiter la pauvreté.
Son raisonnement ressemble à un cercle vertueux. Lorsque les entreprises sont payées en dollars pour leurs biens et services, leurs recettes couvriront des salaires également en dollars, paieront des impôts en dollars et l’État pourra rémunérer ses fonctionnaires dans cette monnaie. L’angoisse de la dévaluation sera éliminée et tout le monde sera tranquille.
Patrick Mardini en donne même un exemple concret: une des raisons du succès du tourisme en 2022 est dû à la dollarisation «officialisée» des prix. Des hôteliers et des restaurateurs ont alors investi, encouragés par une perspective de rentabilité qu’ils n’ont pas connue depuis des années, car ils pouvaient au moins avoir une visibilité comptable sur leurs recettes, tarifs et coûts.
La recette de Lawrence White
Mais comment implémenter une telle politique au Liban? Selon Lawrence H. White, éminent professeur d’économie à l’Université George-Mason (Virginie), réputé pour son érudition en théorie bancaire et monétaire, la première étape pour dollariser le Liban serait d’éliminer la pénurie de dollars en cessant de fixer arbitrairement des taux de change. «Le gouvernement n'a qu'à démanteler tous les obstacles juridiques à l'achat et à la vente de dollars (au prix du marché), y compris l'importation et l'exportation de dollars en quantités illimitées. La pénurie du billet vert prendra alors fin. Le gouvernement devrait également permettre que les contrats libellés en dollars soient effectivement exécutés en dollars, et non pas en livres libanaises selon un taux de change obsolète», souligne-t-il.
La deuxième étape, selon Lawrence White, qui s’est intéressé au cas libanais, consiste à adopter une législation pour dollariser officiellement, convertir la fiscalité et les dépenses publiques en dollars et ouvrir la voie au retrait de la livre. «Mais il peut y avoir une complication, relève White: il n'est pas clair si la BDL dispose d'actifs suffisants pour pouvoir retirer toutes les livres libanaises du marché; elle pourrait devenir insolvable si ses actifs, notamment les bons souverains, sont évalués au prix du marché.»
Bien sûr, la dollarisation officielle ne sera pas à elle seule la baguette magique qui résoudra tous nos problèmes. Car des maladies endémiques, qui ont infesté le système, sont encore là, et il faudrait les éliminer: déficits publics, corruption, mal-gouvernance, entraves aux investissements, État de droit…
Qu’est-ce que c’est?
La dollarisation désigne l’emploi officiellement admis du dollar, voire à la place de la monnaie nationale. D’habitude, une telle décision est prise dans un pays en développement en situation de crise économique, d’inflation galopante et de monnaie nationale en chute libre. Des facteurs politiques peuvent jouer aussi un rôle.
Elle peut être implémentée soit par décret officiel, dans le but de stabiliser les finances du pays, soit de facto, sous la forme d’une utilisation massive et admise de la part des acteurs économiques.
Ce qu’on y gagne
En dollarisant une économie, le taux d'inflation local est supposé s’aligner alors sur celui des États-Unis. Les individus et les institutions se protègeront contre les vicissitudes liées au taux de change, la dévaluation de la monnaie, ou encore la baisse du pouvoir d’achat. Le climat économique du pays devient du coup plus crédible et moins risqué. De nouveaux investissements seront attirés, créant ainsi de nouvelles richesses.
Ce à quoi il faudra renoncer
Tout cela semble bien beau mais, selon un certain adage, «choisir c’est renoncer». Premier renoncement: le pays en question perd sa maîtrise sur sa politique monétaire, renonce à l'option d’intervenir sur la quantité de monnaie en circulation afin de doper la croissance, ou sur son taux pour favoriser l’exportation.
On peut y ajouter la perte d’un «emblème national» et d’autres symbolismes généralement ressassés. Des arguments qui ne rentrent pas dans le cadre de cette analyse.
Une dizaine de pays ont adopté le dollar américain comme monnaie officielle dont, à part quelques micro-États et archipels, l’Équateur, le Salvador, le Zimbabwe, et Panama. On y ajoute beaucoup d’autres qui permettent, sans aucune restriction, l’utilisation du dollar à côté de la monnaie nationale.
Étude de cas: le Zimbabwe
Le Zimbabwe a connu à la fin des années 90 une dislocation économique et financière. La masse monétaire a augmenté démesurément, provoquant sa dévaluation et une inflation galopante. Ce qui a amené les autorités à adopter la dollarisation officielle en 2009.
Cette initiative a immédiatement contribué à réduire l'inflation. L'économie du pays est devenue plus stable, le pouvoir d'achat a augmenté et la croissance économique a repris des couleurs. Le dollar stable a attiré des investissements étrangers, contribuant au développement économique. Le taux d'inflation était maîtrisé, enregistrant 4,3% en 2018, la dernière année de cette époque…
Car en juin 2019, le gouvernement a annoncé la réintroduction de la monnaie nationale, le dollar zimbabwéen, décidant en plus que les devises étrangères n'auraient plus cours légal. Le taux d'inflation est monté jusqu’à près de 98%, peu après. Et l’hyperinflation y est toujours d’actualité, avec un des taux les plus élevés au monde.
L’Équateur
Des résultats similaires ont été observés dans ce pays d’Amérique latine. Avant la dollarisation officielle, l'Équateur souffrait d'un taux d'inflation élevé, atteignant le niveau ahurissant de 50% par mois en 1999, l’année où l’Équateur a connu une crise économique sans précédent. Les citoyens ne pouvaient plus retirer leur épargne de la banque. La monnaie nationale, le sucre, perdait tous les jours de sa valeur et le secteur bancaire était en faillite... le schéma classique.
Les autorités ont alors décidé d’adopter le dollar américain début 2000. Mais ce n’est qu’en 2002, avec le dollar parfaitement intégré dans l’économie, que l'inflation était tombée à un chiffre raisonnable de 10%. Du coup, le niveau des prix a été réduit, le PIB a augmenté, la confiance est revenue, attirant des investissements tous les ans un peu plus.
Revers de la médaille, des pertes à la conversion ont fortement lésé la population. Car lorsque les autorités équatoriennes ont décidé au début de la crise de geler les dépôts bancaires, un dollar américain équivalait à 5.000 sucres. Mais quand la population a pu à nouveau fonctionner avec ses comptes bancaires, le dollar valait 25.000 sucres. Cette dévaluation, décidée par les autorités au moment de la conversion officielle a été dévastatrice pour les épargnes, les salaires et les retraites.
Un autre inconvénient était naturellement l'incapacité d'augmenter la quantité de monnaie en circulation pour donner une impulsion à l'économie.
Étude de cas en perspective: le Liban
Que se passerait-il si la livre libanaise, déjà cohabitant avec le dollar depuis longtemps, était complètement éliminée au profit de la devise américaine? Pour Patrick Mardini, professeur d’économie à l’Université de Balamand, la dollarisation pourrait aider les Libanais à contrer la crise et à limiter la pauvreté.
Son raisonnement ressemble à un cercle vertueux. Lorsque les entreprises sont payées en dollars pour leurs biens et services, leurs recettes couvriront des salaires également en dollars, paieront des impôts en dollars et l’État pourra rémunérer ses fonctionnaires dans cette monnaie. L’angoisse de la dévaluation sera éliminée et tout le monde sera tranquille.
Patrick Mardini en donne même un exemple concret: une des raisons du succès du tourisme en 2022 est dû à la dollarisation «officialisée» des prix. Des hôteliers et des restaurateurs ont alors investi, encouragés par une perspective de rentabilité qu’ils n’ont pas connue depuis des années, car ils pouvaient au moins avoir une visibilité comptable sur leurs recettes, tarifs et coûts.
La recette de Lawrence White
Mais comment implémenter une telle politique au Liban? Selon Lawrence H. White, éminent professeur d’économie à l’Université George-Mason (Virginie), réputé pour son érudition en théorie bancaire et monétaire, la première étape pour dollariser le Liban serait d’éliminer la pénurie de dollars en cessant de fixer arbitrairement des taux de change. «Le gouvernement n'a qu'à démanteler tous les obstacles juridiques à l'achat et à la vente de dollars (au prix du marché), y compris l'importation et l'exportation de dollars en quantités illimitées. La pénurie du billet vert prendra alors fin. Le gouvernement devrait également permettre que les contrats libellés en dollars soient effectivement exécutés en dollars, et non pas en livres libanaises selon un taux de change obsolète», souligne-t-il.
La deuxième étape, selon Lawrence White, qui s’est intéressé au cas libanais, consiste à adopter une législation pour dollariser officiellement, convertir la fiscalité et les dépenses publiques en dollars et ouvrir la voie au retrait de la livre. «Mais il peut y avoir une complication, relève White: il n'est pas clair si la BDL dispose d'actifs suffisants pour pouvoir retirer toutes les livres libanaises du marché; elle pourrait devenir insolvable si ses actifs, notamment les bons souverains, sont évalués au prix du marché.»
Bien sûr, la dollarisation officielle ne sera pas à elle seule la baguette magique qui résoudra tous nos problèmes. Car des maladies endémiques, qui ont infesté le système, sont encore là, et il faudrait les éliminer: déficits publics, corruption, mal-gouvernance, entraves aux investissements, État de droit…
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