À moins de quarante-huit heures de la fin du mandat de Michel Aoun, la tension politique au Liban est montée de plusieurs crans samedi en fin de journée. Et pour cause: la vacance à la présidence de la République, qui sera effective lundi 31 octobre à minuit, a attisé de façon fiévreuse le débat, ou plutôt la polémique, autour des prérogatives présidentielles et de la possibilité, ou non, pour un gouvernement démissionnaire d’assumer les fonctions du chef de l’État si le poste de président est vacant.
La controverse sur ce plan est relancée par les informations colportées par les milieux du Palais de Baabda – et confirmées d’ailleurs par les propos de Michel Aoun – selon lesquelles un décret portant acceptation de la démission du gouvernement de Nagib Mikati pourrait être rendu public lundi. Le chef de l’État a d’ailleurs brandi explicitement une «menace» en ce sens dans le but évident de forcer la main à M. Mikati afin de l’amener à accepter la formation, au dernier quart d’heure, d’un nouveau gouvernement aux conditions de Gebrane Bassil. Celui-ci menace à son tour de demander aux ministres qui lui sont proches de refuser d’expédier les affaires courantes après le 31 octobre.
Pour clarifier les effets réels d’un tel bras de fer, et afin de cerner les perspectives politiques (et constitutionnelles) qui pointent aujourd’hui à l’horizon sur la scène locale, un rappel des faits et des dispositions prévues par la Constitution à cet égard s’impose…
La loi fondamentale stipule qu’à l’issue de toute élection législative générale, le gouvernement en place est considéré d’office démissionnaire et le président est tenu de mener des consultations parlementaires pour désigner un nouveau Premier ministre. De ce fait, le cabinet de Nagib Mikati est au stade actuel démissionnaire de facto, de par la Constitution. Que le président de la République publie ou non le décret acceptant la démission ne change absolument rien à l’affaire. L’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar précise à ce sujet à Ici Beyrouth que l’initiative du chef de l’État de publier un décret acceptant la démission du gouvernement est «sur le plan purement juridique, un non-événement, elle est inexistante», puisque le cabinet est d’office démissionnaire.
Quant à la menace brandie par Gebrane Bassil de demander à «ses» ministres de ne pas expédier les affaires courantes, elle constituerait, si elle est mise à exécution, une rébellion ouverte contre la Constitution et l’ensemble du système politique en vigueur. Le ministre Ibrahim Najjar rappelle à ce propos que «le gouvernement est obligé, de par la Constitution, d’expédier les affaires courantes». «Il s’agit là d’une fonction essentielle qui vise à perpétuer le fonctionnement des services publics, souligne M. Najjar. C’est le principe de la continuité du pouvoir qui prévaut. La Constitution ne connaît pas le vide au niveau du pouvoir. Les ministres démissionnaires sont investis d’une fonction et n’ont pas la liberté de disposer à leur guise des responsabilités constitutionnelles et administratives», ajoute l’ancien ministre de la Justice.
Le devoir, constitutionnel, qu’ont les ministres démissionnaires d’expédier les affaires courantes n'est donc pas sujet à discussion. Il n’en est pas de même, toutefois, de la question épineuse, et bien plus grave, de l’exercice des prérogatives du chef de l’État en cas de vacance présidentielle. La Constitution prévoit à ce sujet que si la présidence de la République est vacante, les prérogatives du chef de l’État sont alors assumées par «le Conseil des ministres réuni». En clair, par l’ensemble du gouvernement en place, ce qui implique, à titre d’exemple, que l’approbation d’une loi nécessiterait la signature de «tous» les ministres et non pas seulement du ministre concerné.
La situation se complique cependant si le gouvernement est démissionnaire. Un ancien magistrat de renom, proche de la mouvance du 14 Mars, souligne sur ce plan que dans ce cas de figure, un cabinet démissionnaire ne peut pas exercer les prérogatives du président de la République et doit se contenter d’expédier les affaires courantes, dans l’attente de l’élection du président. Un point de vue défendu aussi par le courant aouniste.
Il est fort à parier que tout le débat au cours de la nouvelle phase dans laquelle s’engage le pays portera sur ce point précis: un gouvernement démissionnaire est-il habilité constitutionnellement à exercer les prérogatives du président de la République en cas de vacance présidentielle? La question revêt un caractère crucial dans le contexte présent, en ce sens que si un cabinet sortant assume les fonctions de la Première magistrature de l’État, cela reviendrait à marginaliser dans la durée la présidence de la République, ce qui constituerait dans les faits un sabotage pur et simple de l’esprit et du texte de l’accord de Taëf et des dispositions de la Constitution. Le pays se retrouverait en effet avec un Parlement capable de légiférer et un gouvernement ayant étendu son champ d’action à la fonction du chef de l’Etat, ce qui remettrait inéluctablement en cause le fragile équilibre communautaire au niveau de l’exercice du pouvoir.
Un réel danger plane ainsi sur l’esprit de Taëf – qui a défini les fondements politiques du vivre ensemble, sur base de la parité communautaire. Ce danger ne pourra être écarté qu’avec l’élection d’un président de la République qui doit représenter, de ce fait, une priorité absolue dans le contexte présent. Tant que les choses ne seront pas rentrées dans l’ordre au niveau des institutions constitutionnelles, il faudrait s’attendre au cours de la prochaine étape à une grave montée aux extrêmes dans plus d’un milieu politique.
Cette montée aux extrêmes a déjà pointé du nez au cours des dernières vingt-quatre heures. Il n’en fallait pas plus pour que le courant aouniste ressorte rapidement ses anciennes rengaines populistes de 1989 en essayant de réitérer en outre l’expérience d’une mobilisation populaire semblable à celle de cette funeste époque. D’où les prémices d’un sit-in «à la belle étoile», sous des tentes, dans le périmètre du palais présidentiel. Peu importe le but recherché. Le directoire du courant aouniste, renforcé par un Michel Aoun libéré de ses contraintes présidentielles, se chargera, à coups de discours enflammés à connotation confessionnelle, d’alimenter les polémiques politiciennes qui s’annoncent déjà particulièrement fiévreuses. «C’est le début d’une nouvelle phase de résistance politique» (!), a souligné samedi soir Gebrane Bassil, sans prendre la peine de préciser ce (et surtout «ceux», en l’occurrence son allié privilégié, le Hezbollah) qui l’a empêché de réaliser pendant les six dernières années les objectifs de sa «résistance politique».
La riposte à cette relance du populisme de la part du courant aouniste n’a pas tardé à se manifester samedi en soirée à travers l’introduction incendiaire du bulletin d’information de la chaîne NBN relevant du chef du Législatif et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, qui s’est littéralement déchainé contre le président Michel Aoun et le CPL. «Parce que vous êtes revenus, nous revenons et nous sortons de l’enfer. Dégage, personne ne te regrette, prends avec toi ta cour et ton gendre», a lancé la présentatrice du bulletin de la chaîne «berryste».
Ce déchainement verbal risque fort d’être le trait marquant des prochains jours, voire de la prochaine étape. Seule l’élection dans les plus brefs délais d’un président crédible, audacieux et clairvoyant pourrait juguler et stopper ce torpillage de l’esprit de Taëf en refusant que l’effondrement actuel des institutions étatiques et des secteurs vitaux du pays soit sciemment aggravé et exploité pour remettre en cause les fragiles équilibres qui sont à la base de la spécificité et de la Raison d’être du Liban.
La controverse sur ce plan est relancée par les informations colportées par les milieux du Palais de Baabda – et confirmées d’ailleurs par les propos de Michel Aoun – selon lesquelles un décret portant acceptation de la démission du gouvernement de Nagib Mikati pourrait être rendu public lundi. Le chef de l’État a d’ailleurs brandi explicitement une «menace» en ce sens dans le but évident de forcer la main à M. Mikati afin de l’amener à accepter la formation, au dernier quart d’heure, d’un nouveau gouvernement aux conditions de Gebrane Bassil. Celui-ci menace à son tour de demander aux ministres qui lui sont proches de refuser d’expédier les affaires courantes après le 31 octobre.
Pour clarifier les effets réels d’un tel bras de fer, et afin de cerner les perspectives politiques (et constitutionnelles) qui pointent aujourd’hui à l’horizon sur la scène locale, un rappel des faits et des dispositions prévues par la Constitution à cet égard s’impose…
La loi fondamentale stipule qu’à l’issue de toute élection législative générale, le gouvernement en place est considéré d’office démissionnaire et le président est tenu de mener des consultations parlementaires pour désigner un nouveau Premier ministre. De ce fait, le cabinet de Nagib Mikati est au stade actuel démissionnaire de facto, de par la Constitution. Que le président de la République publie ou non le décret acceptant la démission ne change absolument rien à l’affaire. L’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar précise à ce sujet à Ici Beyrouth que l’initiative du chef de l’État de publier un décret acceptant la démission du gouvernement est «sur le plan purement juridique, un non-événement, elle est inexistante», puisque le cabinet est d’office démissionnaire.
Quant à la menace brandie par Gebrane Bassil de demander à «ses» ministres de ne pas expédier les affaires courantes, elle constituerait, si elle est mise à exécution, une rébellion ouverte contre la Constitution et l’ensemble du système politique en vigueur. Le ministre Ibrahim Najjar rappelle à ce propos que «le gouvernement est obligé, de par la Constitution, d’expédier les affaires courantes». «Il s’agit là d’une fonction essentielle qui vise à perpétuer le fonctionnement des services publics, souligne M. Najjar. C’est le principe de la continuité du pouvoir qui prévaut. La Constitution ne connaît pas le vide au niveau du pouvoir. Les ministres démissionnaires sont investis d’une fonction et n’ont pas la liberté de disposer à leur guise des responsabilités constitutionnelles et administratives», ajoute l’ancien ministre de la Justice.
Les prérogatives du président
Le devoir, constitutionnel, qu’ont les ministres démissionnaires d’expédier les affaires courantes n'est donc pas sujet à discussion. Il n’en est pas de même, toutefois, de la question épineuse, et bien plus grave, de l’exercice des prérogatives du chef de l’État en cas de vacance présidentielle. La Constitution prévoit à ce sujet que si la présidence de la République est vacante, les prérogatives du chef de l’État sont alors assumées par «le Conseil des ministres réuni». En clair, par l’ensemble du gouvernement en place, ce qui implique, à titre d’exemple, que l’approbation d’une loi nécessiterait la signature de «tous» les ministres et non pas seulement du ministre concerné.
La situation se complique cependant si le gouvernement est démissionnaire. Un ancien magistrat de renom, proche de la mouvance du 14 Mars, souligne sur ce plan que dans ce cas de figure, un cabinet démissionnaire ne peut pas exercer les prérogatives du président de la République et doit se contenter d’expédier les affaires courantes, dans l’attente de l’élection du président. Un point de vue défendu aussi par le courant aouniste.
Il est fort à parier que tout le débat au cours de la nouvelle phase dans laquelle s’engage le pays portera sur ce point précis: un gouvernement démissionnaire est-il habilité constitutionnellement à exercer les prérogatives du président de la République en cas de vacance présidentielle? La question revêt un caractère crucial dans le contexte présent, en ce sens que si un cabinet sortant assume les fonctions de la Première magistrature de l’État, cela reviendrait à marginaliser dans la durée la présidence de la République, ce qui constituerait dans les faits un sabotage pur et simple de l’esprit et du texte de l’accord de Taëf et des dispositions de la Constitution. Le pays se retrouverait en effet avec un Parlement capable de légiférer et un gouvernement ayant étendu son champ d’action à la fonction du chef de l’Etat, ce qui remettrait inéluctablement en cause le fragile équilibre communautaire au niveau de l’exercice du pouvoir.
Un réel danger plane ainsi sur l’esprit de Taëf – qui a défini les fondements politiques du vivre ensemble, sur base de la parité communautaire. Ce danger ne pourra être écarté qu’avec l’élection d’un président de la République qui doit représenter, de ce fait, une priorité absolue dans le contexte présent. Tant que les choses ne seront pas rentrées dans l’ordre au niveau des institutions constitutionnelles, il faudrait s’attendre au cours de la prochaine étape à une grave montée aux extrêmes dans plus d’un milieu politique.
Cette montée aux extrêmes a déjà pointé du nez au cours des dernières vingt-quatre heures. Il n’en fallait pas plus pour que le courant aouniste ressorte rapidement ses anciennes rengaines populistes de 1989 en essayant de réitérer en outre l’expérience d’une mobilisation populaire semblable à celle de cette funeste époque. D’où les prémices d’un sit-in «à la belle étoile», sous des tentes, dans le périmètre du palais présidentiel. Peu importe le but recherché. Le directoire du courant aouniste, renforcé par un Michel Aoun libéré de ses contraintes présidentielles, se chargera, à coups de discours enflammés à connotation confessionnelle, d’alimenter les polémiques politiciennes qui s’annoncent déjà particulièrement fiévreuses. «C’est le début d’une nouvelle phase de résistance politique» (!), a souligné samedi soir Gebrane Bassil, sans prendre la peine de préciser ce (et surtout «ceux», en l’occurrence son allié privilégié, le Hezbollah) qui l’a empêché de réaliser pendant les six dernières années les objectifs de sa «résistance politique».
La riposte à cette relance du populisme de la part du courant aouniste n’a pas tardé à se manifester samedi en soirée à travers l’introduction incendiaire du bulletin d’information de la chaîne NBN relevant du chef du Législatif et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, qui s’est littéralement déchainé contre le président Michel Aoun et le CPL. «Parce que vous êtes revenus, nous revenons et nous sortons de l’enfer. Dégage, personne ne te regrette, prends avec toi ta cour et ton gendre», a lancé la présentatrice du bulletin de la chaîne «berryste».
Ce déchainement verbal risque fort d’être le trait marquant des prochains jours, voire de la prochaine étape. Seule l’élection dans les plus brefs délais d’un président crédible, audacieux et clairvoyant pourrait juguler et stopper ce torpillage de l’esprit de Taëf en refusant que l’effondrement actuel des institutions étatiques et des secteurs vitaux du pays soit sciemment aggravé et exploité pour remettre en cause les fragiles équilibres qui sont à la base de la spécificité et de la Raison d’être du Liban.
Lire aussi
Commentaires