Si la décision du Conseil constitutionnel d’accepter deux recours en invalidation à Tripoli a fait perdre deux voix à Michel Moawad, le candidat souverainiste pourrait en gagner dix autres lors de séances à venir, peut-être même jeudi prochain.

L’assiduité paie toujours. C’est ce qu’a dû se dire Béchara Abi Younès, candidat présidentiel, en obtenant jeudi une première voix en sa faveur lors de la 8eme séance électorale, à laquelle il assistait comme d’habitude dans les tribunes. Si ce candidat déclaré n’est pas ressorti bredouille cette fois de l’hémicycle, l’entrée de deux nouveaux députés au Parlement a constitué l’un des faits marquants de la séance. Quant à la prochaine, qui se tiendra le jeudi 8 décembre, elle pourrait apporter une surprise de taille, à savoir le vote des députés de la Modération nationale (Akkar) et de leurs alliés en faveur de Michel Moawad, dont la candidature est déjà appuyée par des blocs et députés souverainistes.

Photos Ali Fawaz

Nasser et Karamé

Les deux nouveaux députés de Tripoli, Faycal Karamé (sunnite) et Haidar Nasser (alaouite), qui ont respectivement remplacé Rami Finge et Firas Salloum, après l’acceptation jeudi dernier par le Conseil constitutionnel de leurs recours en invalidation des députations de ces derniers, ont occupé jeudi le devant de la scène médiatique. L’impact de la décision du Conseil constitutionnel n’a pas tardé à apparaître, d’ailleurs, puisque Michel Moawad a perdu les voix de MM. Finge et Salloum. Si le premier avait voté pour lui lors de plusieurs séances, le second l’avait fait au moins lors de la dernière séance.

Le positionnement politique des deux nouveaux députés a vite été clarifié par leur attitude. Ils se sont assis parmi les députés du Hezbollah, et ont contribué avec eux au défaut de quorum en sortant de la salle avant la fin du dépouillement des voix. Au niveau des prises de position, M. Karamé a souligné l’importance de « l’entente » et a même glissé dans l’urne un bulletin portant ce mot.

Photos Ali Fawaz

Quant à M. Nasser, il a indiqué à Ici Beyrouth qu’il ne fait pas partie du camp du 8 Mars, ajoutant toutefois qu’il est « en faveur des bonnes relations avec les pays arabes, la Syrie en tête, et des armes qui sont contre Israël ».

Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a regroupé deux recours à Tripoli, soumis par Faycal Karamé et Haidar Nasser, contre les mêmes trois députés : Ihab Matar (sunnite), Firas Salloum (alaouite) et Rami Finge (sunnite). Et c’est ce regroupement qui a permis d’aboutir au résultat actuel : Firas Salloum a été remplacé par Haidar Nasser, et Rami Finge par Faycal Karamé ».

M. Nasser, qui était candidat sur la liste Intafid (Révolte-toi), parrainée par Rami Finge, a donc présenté un recours contre sa propre « tête de liste ». Interrogé à ce sujet, il a répondu : « Il n’y a rien contre Rami Finge dans le dossier que j’ai présenté ».

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Surprise jeudi prochain ?

Si la décision du Conseil constitutionnel a fait perdre à Michel Moawad deux voix, des sources parlementaires bien informées n’excluent pas qu’il obtienne lors de la prochaine séances les votes du bloc de la Modération nationale et de leurs alliés. Ces dix députés, en majorité des anciens haririens, auraient décidé de ne plus se contenter de voter « Liban nouveau ». Dès la prochaine séance, ils devraient changer de stratégie afin d’exercer une pression sur les autres blocs, selon les mêmes sources. Dans ce cadre, ils débattent de trois options : boycotter la séance, venir au Parlement mais s’abstenir de rentrer dans la salle, ou voter pour M. Moawad. Cette troisième option semble la plus probable, selon des sources proches du bloc.

L’un des alliés de la Modération, Nabil Badr, député de Beyrouth , a d’ailleurs déclaré à l’issue de la séance que le groupe s’entretiendra avec les députés PSP, FL et Michel Moawad, « pour tenter de s’entendre, en tant qu’opposition, sur un même candidat ».

M. Moawad a également confirmé que « le dialogue avec le bloc de la Modération nationale et ses alliés en vue d’une feuille de route pour l’élection présidentielle est sérieux et a atteint une étape avancée ».

Quoi qu’il en soit, cette démarche interviendrait une semaine après la rencontre entre M. Moawad et l’ambassadeur saoudien au Liban, Walid Boukhari. Le Royaume, duquel sont proches les députés de la Modération, aurait-il décidé d’intervenir de plus près dans la présidentielle libanaise ?  La visite du Premier ministre désigné Najib Mikati à Riyad, à l’invitation du roi Salman ben Abdelaziz pour assister au sommet arabo-chinois le 9 décembre, s'inscrit-elle dans le même cadre ?


Les résultats

Pour en revenir au vote de jeudi, cent onze députés sur les 128 ont pris part à la séance. Le député de Zghorta Michel Moawad, soutenu par les blocs de la République forte (Forces libanaises), du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste), des Kataëb et du Renouveau, ainsi que des indépendants, a obtenu 37 voix, contre 42 jeudi dernier.

La baisse est due à la perte des voix de Rami Finge et Firas Salloum, et l’absence de la séance de députés qui votent traditionnellement pour lui, comme Nadim Gémayel (Kataëb), Ziad Hawat (FL), Ihab Matar et Michel Daher (indépendants). M. Moawad a néanmoins obtenu, comme à chaque séance la voix de Bilal Hchaimi (Zahlé). Trois députés issus de la contestation, Mark Daou et Najat Saliba (du parti Taqaddom) et Waddah Sadek, ont également voté pour lui.

Le nombre des bulletins blancs a en revanche augmenté, passant de 50 à 52. L’un d’entre eux aurait été déposé par Haidar Nasser. Quant au second, il pourrait s’agir d’un bulletin blanc déchiré par le biais, duquel Michel Doueihy (sorti du bloc du Changement) aurait voulu exprimer son refus de la situation actuelle, comme il l’a lui-même précisé.

Les autres votes se sont répartis entre le professeur Issam Khalifé (4, contre 6 jeudi derniers, déposés par trois députés du Changement et le député de Saïda Oussama Saad), l’ancien ministre Ziad Baroud (deux, comme la dernière fois, déposés par le vice-président du Parlement Élias Bou Saab et le député du Changement Elias Jradé), le candidat Béchara Abi Younes (un vote) et Badri Daher (ancien directeur général des douanes, proche du camp de l’ancien président Michel Aoun et détenu dans l’affaire de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui avait déjà obtenu une voix jeudi dernier).

Neuf bulletins avec la mention "Liban nouveau" (contre huit jeudi dernier) ont été déposés par le bloc de la Modération nationale (Akkar) et leurs alliés à Beyrouth, pour la plupart des anciens haririens sunnites. Un bulletin avec la mention "Pour le Liban " a été déposé, une nouvelle fois, par Abdelkarim Kabbara. Quant aux quatre bulletins annulés, ils portent les mentions : Lula Da Silva (président brésilien), entente, positions et constantes.

Photos Ali Fawaz

Habchi à Berry : La balle est dans votre camp

Concernant justement les «positions » parlementaires, le député Antoine Habchi (FL) en a adopté une très claire et virulente à l’ouverture de la séance, dénonçant le blocage des séances électorales par les députés qui s’absentent ou provoquent un défaut de quorum. "Si le blocage était un droit acquis, le règlement intérieur du Parlement n’aurait pas exigé des députés de présenter une excuse pour justifier leur absence. Tout ce qui se passe ôte au Parlement son rôle », a-t-il souligné, d’un ton déterminé.

Poursuivant sur sa lancée et ignorant les tentatives de Nabih Berry de l’interrompre, il s’est adressé directement à ce dernier : "La balle est dans votre camp pour faire appliquer la loi et la Constitution, d’autant qu’une partie des députés qui bloquent les séances sont proches de votre camp. Je vous prie de demander aux chefs des blocs d’assumer leurs responsabilités."

"Je suis le plus attaché à l’élection d’un président de la République. De tels propos ne sauraient m’être adressés", a répliqué M. Berry.

L’appel de M. Habchi à éviter le défaut de quorum n’a pas été écouté, puisque tous les députés du Hezbollah, et certains du mouvement Amal et de blocs alliés, se sont empressés de quitter l’hémicycle avant la fin du dépouillement des voix. Après l’annonce des résultats, et constatant qu’il n’y avait plus que 73 députés, M. Berry a levé la séance, annonçant que la prochaine se tiendra le jeudi 8 décembre.

Après la séance, de nombreux députés ont dénoncé le blocage de la présidentielle par le biais du défaut de quorum, à la fin de chaque séance. Cette position a notamment été exprimée par les députés du parti Taqaddom, Mark Daou et Najat Saliba. La députée du Chouf a appelé les élus à rester à l’intérieur du Parlement jusqu’à l’élection d’un président.

« C’est un nouvel épisode de la comédie qui se joue», a confié Elias Hankache (Kataëb) à Ici Beyrouth, appelant à « enfermer les députés au Parlement pour qu’on puisse élire un président Made in Lebanon ».

https://www.youtube.com/watch?v=RJNB_1JVIhM

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