Le pianiste slovaque Marian Lapsansky, auréolé de plusieurs prix internationaux, a donné un concert de piano dans le cadre de la cinquième saison musicale du festival Beirut Chants, mettant en scène un programme haut en couleurs, allant de la musique baroque à la musique contemporaine en passant par la musique romantique, qui s’avère parfaitement maîtrisé.
Le samedi 10 novembre, à l’Assembly Hall de l’Université américaine de Beyrouth, le pianiste slovaque Marian Lapsansky proposait un concert fin aux couleurs rutilantes, et au programme olympien tissé hors des sentiers battus, qui donnait à entendre une pléthore d’interprétations magistrales, débordantes de ferveur et de poésie échevelée, dont certains passages, nimbés d’une rare sensibilité, confinaient à l’enivrement. L’interprétation du soliste septuagénaire fut traversée d’onctueux épanchements lyriques, tout particulièrement au niveau de l’Intermezzo op.117 no.1 de Johannes Brahms (1833-1897) et de la Paraphrase de concert sur Rigoletto, S.434 de Franz Liszt (1811-1886), des aveux évanescents qui détendent la griserie du rythme des Pièces lyriques d’Edvard Grieg (1843-1907), notamment la Marche des nains, et nuancent d’une émotion sensible l’impétuosité de ce virtuose qui dompta son Steinway, dans la Suite espagnole op. 47 d’Isaac Albéniz (1860-1909), jusqu’à l’ivresse.
En ce samedi soir, les pendules n’étaient pas à l’heure: le coup d’envoi de ce concert tant attendu est donné quinze minutes en retard. Il est 20h15, Marian Lapsansky entame enfin sa pérambulation musicale, avec un jeu d'une souplesse exquise, plaçant explicitement, avec l’Intermezzo op.117 no.1 de Johannes Brahms, le premier volet du concert sous le signe d’un romantisme exacerbé. Le pianiste accorde dès lors une attention acérée à l’articulation dialectique et aux équilibres sonores, en évitant toutefois toute pesanteur excessive et tout affect superfétatoire. On retiendra particulièrement de cette pièce l’atmosphère ouatée qui permet de montrer toute la sensibilité du soliste qui poursuit son exploration du répertoire brahmsien avec l’Intermezzo op.118 no.6. Sous ses doigts fulgurants, se déploie un flot harmonique d’une sensibilité inégalée avec une force expressive allant en crescendo, distillant ainsi une sonorité virile et s’imbibant d’une profondeur éthérée. L’éloquence pianistique de Lapsansky vaut à l’auditoire quelques instants magiques d’une délicieuse langueur.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
La deuxième partie du concert est consacrée au compositeur fondateur de la musique nationale slovaque: Eugen Suchoň (1908-1993). Abandonnant tout jeu romantique, Marian Lapsansky fait ressortir, entre les ébranlements de la main droite et les accords dissonants de la Petite suite avec passacaille, l’originalité d’un langage musical contemporain d’une complexité harmonique déconcertante. Son jeu est fluide, bien équilibré, parfois morose, alourdissant de ce fait le propos de certains passages. Le pianiste slovaque offre toutefois au public libanais un voyage raffiné à l’époque des nationalismes. Il insuffle au Prélude et à l’Ariette une plénitude sereine et subjugue tout auditeur attentif par son rubato bien contenu, avant que l’ardente tempête du Scherzo vienne balayer les réminiscences de cette quiétude. Une ardeur grondante, marquée par un molto marcato et un accelerando frénétique, s'installe dans la passacaille au bout de laquelle un diminuendo brusque, menant à un triple piano, annonce le dernier mouvement Réminiscences, auréolé de mystères. Lapsansky déploie avec brio une palette aussi colorée que subtile des nuances pianissimo, tout en mettant à profit sa science du toucher soyeux.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
Le récital se poursuit avec la Suite espagnole, op. 47 d’Isaac Albéniz, qui, dans sa version de 1901, est constituée de huit pièces. Marian Lapsansky choisit cependant d’en interpréter uniquement trois: Granada, Sevilla et Castilla. Clarté des lignes mélodiques, netteté des nuances agrémentée d’un large spectre de couleurs, précision des ornementations et fulgurance aiguisée des rythmes, le pianiste s’en dégage un cantabile dansant empreint d’un exotisme orientaliste savoureux. Parmi les pièces précitées, c’est bien la troisième qui brillera de mille feux, dans laquelle les doigts du virtuose semblent caresser les touches du piano avec une facilité et une maîtrise technique digne d’un grand maître. Ensuite, il parcourt le dédale musical des Pièces lyriques d’Edvard Grieg: parmi les soixante-six morceaux publiés dans le "journal" poétique du compositeur norvégien, le Slovaque n’en revivifie que huit: Ariette op.12 no.1, Valse op.12 no.2, Danse des sylphes op.12 no.4, Mélodie populaire op.12 no.5, Mélodie norvégienne op.12 no.6, Papillons op.43 no.1, Oisillon op.43 no.4, Au printemps op.43 no.6, Marche des nains op.54 no.3, et Ruisseau op. 62 no 4. Alternant moments forts et d’autres moins forts, Marian Lapsansky égrène religieusement ces pièces lyriques où l’élément folklorique s’impose avec force. Il se joue avec prestesse des difficultés techniques et s’impose avec la Marche des nains op.54 no.3 où une virtuosité impétueuse côtoie une nostalgie consolable. Le maestro parvient admirablement à canaliser les sonorités éparses en un jaillissement bien architecturé.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
Pour la dernière partie de ce long périple, Lapsansky donne une lecture magnifique de la Paraphrase de concert sur Rigoletto, S.434 de Franz Liszt. La première octave à peine plaquée, un silence religieux règne aussitôt dans la salle. Cette paraphrase lisztienne, issue du quatuor de l’acte III de l’opéra Rigoletto de Giuseppe Verdi (1813-1901), intitulé "Bella figlia dell’amore" ("Belle fille de l’amour"), s’ouvre sur un prélude presqu’improvisé, faisant référence aux principales idées musicales associées à Maddalena et Gilda, et cela par le biais d’une succession d’octaves, animées dans l’Allegro et passionnées dans l’Andante. Une cadence en filigrane, qu’on pourrait assimiler au son cristallin d’une harpe, se fait entendre avant le passage consacré au ténor, suite auquel le bavardage de Maddalena et les réponses angoissées de Gilda, mènent à un point culminant, où un imposant triple forte fait rugir le Steinway. Le pianiste roule et déroule, par la suite, avec une précision d’orfèvre, ses gammes chromatiques menant, dans le Presto, à un orage, une foudre d’accords à quatre, six et huit sons, sublimant ainsi toute la véhémence du maître slovaque. Ce chef-d’œuvre s’achève sur une ruée rapide d’octaves doublées aux couleurs typiquement lisztiennes, un cataclysme sonore que le public libanais n’est pas prêt d’oublier de sitôt.
Marian Lapsansky gratifie finalement son auditoire d’un bis de l’époque baroque: la Sonate en ré mineur K.1 de Domenico Scarlatti (1685-1757). À travers ses accents solennels et ses trilles habilement exécutées, le maître slovaque confère à la toccata à deux voix du compositeur italien une remarquable souplesse rythmique doublée d’une somptueuse harmonie. Très honorable réussite de la part du virtuose dont la performance restera gravée dans les annales du festival.
Le samedi 10 novembre, à l’Assembly Hall de l’Université américaine de Beyrouth, le pianiste slovaque Marian Lapsansky proposait un concert fin aux couleurs rutilantes, et au programme olympien tissé hors des sentiers battus, qui donnait à entendre une pléthore d’interprétations magistrales, débordantes de ferveur et de poésie échevelée, dont certains passages, nimbés d’une rare sensibilité, confinaient à l’enivrement. L’interprétation du soliste septuagénaire fut traversée d’onctueux épanchements lyriques, tout particulièrement au niveau de l’Intermezzo op.117 no.1 de Johannes Brahms (1833-1897) et de la Paraphrase de concert sur Rigoletto, S.434 de Franz Liszt (1811-1886), des aveux évanescents qui détendent la griserie du rythme des Pièces lyriques d’Edvard Grieg (1843-1907), notamment la Marche des nains, et nuancent d’une émotion sensible l’impétuosité de ce virtuose qui dompta son Steinway, dans la Suite espagnole op. 47 d’Isaac Albéniz (1860-1909), jusqu’à l’ivresse.
Articulation dialectique
En ce samedi soir, les pendules n’étaient pas à l’heure: le coup d’envoi de ce concert tant attendu est donné quinze minutes en retard. Il est 20h15, Marian Lapsansky entame enfin sa pérambulation musicale, avec un jeu d'une souplesse exquise, plaçant explicitement, avec l’Intermezzo op.117 no.1 de Johannes Brahms, le premier volet du concert sous le signe d’un romantisme exacerbé. Le pianiste accorde dès lors une attention acérée à l’articulation dialectique et aux équilibres sonores, en évitant toutefois toute pesanteur excessive et tout affect superfétatoire. On retiendra particulièrement de cette pièce l’atmosphère ouatée qui permet de montrer toute la sensibilité du soliste qui poursuit son exploration du répertoire brahmsien avec l’Intermezzo op.118 no.6. Sous ses doigts fulgurants, se déploie un flot harmonique d’une sensibilité inégalée avec une force expressive allant en crescendo, distillant ainsi une sonorité virile et s’imbibant d’une profondeur éthérée. L’éloquence pianistique de Lapsansky vaut à l’auditoire quelques instants magiques d’une délicieuse langueur.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
Complexité harmonique
La deuxième partie du concert est consacrée au compositeur fondateur de la musique nationale slovaque: Eugen Suchoň (1908-1993). Abandonnant tout jeu romantique, Marian Lapsansky fait ressortir, entre les ébranlements de la main droite et les accords dissonants de la Petite suite avec passacaille, l’originalité d’un langage musical contemporain d’une complexité harmonique déconcertante. Son jeu est fluide, bien équilibré, parfois morose, alourdissant de ce fait le propos de certains passages. Le pianiste slovaque offre toutefois au public libanais un voyage raffiné à l’époque des nationalismes. Il insuffle au Prélude et à l’Ariette une plénitude sereine et subjugue tout auditeur attentif par son rubato bien contenu, avant que l’ardente tempête du Scherzo vienne balayer les réminiscences de cette quiétude. Une ardeur grondante, marquée par un molto marcato et un accelerando frénétique, s'installe dans la passacaille au bout de laquelle un diminuendo brusque, menant à un triple piano, annonce le dernier mouvement Réminiscences, auréolé de mystères. Lapsansky déploie avec brio une palette aussi colorée que subtile des nuances pianissimo, tout en mettant à profit sa science du toucher soyeux.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
Exotisme et poésie
Le récital se poursuit avec la Suite espagnole, op. 47 d’Isaac Albéniz, qui, dans sa version de 1901, est constituée de huit pièces. Marian Lapsansky choisit cependant d’en interpréter uniquement trois: Granada, Sevilla et Castilla. Clarté des lignes mélodiques, netteté des nuances agrémentée d’un large spectre de couleurs, précision des ornementations et fulgurance aiguisée des rythmes, le pianiste s’en dégage un cantabile dansant empreint d’un exotisme orientaliste savoureux. Parmi les pièces précitées, c’est bien la troisième qui brillera de mille feux, dans laquelle les doigts du virtuose semblent caresser les touches du piano avec une facilité et une maîtrise technique digne d’un grand maître. Ensuite, il parcourt le dédale musical des Pièces lyriques d’Edvard Grieg: parmi les soixante-six morceaux publiés dans le "journal" poétique du compositeur norvégien, le Slovaque n’en revivifie que huit: Ariette op.12 no.1, Valse op.12 no.2, Danse des sylphes op.12 no.4, Mélodie populaire op.12 no.5, Mélodie norvégienne op.12 no.6, Papillons op.43 no.1, Oisillon op.43 no.4, Au printemps op.43 no.6, Marche des nains op.54 no.3, et Ruisseau op. 62 no 4. Alternant moments forts et d’autres moins forts, Marian Lapsansky égrène religieusement ces pièces lyriques où l’élément folklorique s’impose avec force. Il se joue avec prestesse des difficultés techniques et s’impose avec la Marche des nains op.54 no.3 où une virtuosité impétueuse côtoie une nostalgie consolable. Le maestro parvient admirablement à canaliser les sonorités éparses en un jaillissement bien architecturé.
Marian Lapsansky. © Sally Mire
Orage lisztien
Pour la dernière partie de ce long périple, Lapsansky donne une lecture magnifique de la Paraphrase de concert sur Rigoletto, S.434 de Franz Liszt. La première octave à peine plaquée, un silence religieux règne aussitôt dans la salle. Cette paraphrase lisztienne, issue du quatuor de l’acte III de l’opéra Rigoletto de Giuseppe Verdi (1813-1901), intitulé "Bella figlia dell’amore" ("Belle fille de l’amour"), s’ouvre sur un prélude presqu’improvisé, faisant référence aux principales idées musicales associées à Maddalena et Gilda, et cela par le biais d’une succession d’octaves, animées dans l’Allegro et passionnées dans l’Andante. Une cadence en filigrane, qu’on pourrait assimiler au son cristallin d’une harpe, se fait entendre avant le passage consacré au ténor, suite auquel le bavardage de Maddalena et les réponses angoissées de Gilda, mènent à un point culminant, où un imposant triple forte fait rugir le Steinway. Le pianiste roule et déroule, par la suite, avec une précision d’orfèvre, ses gammes chromatiques menant, dans le Presto, à un orage, une foudre d’accords à quatre, six et huit sons, sublimant ainsi toute la véhémence du maître slovaque. Ce chef-d’œuvre s’achève sur une ruée rapide d’octaves doublées aux couleurs typiquement lisztiennes, un cataclysme sonore que le public libanais n’est pas prêt d’oublier de sitôt.
Marian Lapsansky gratifie finalement son auditoire d’un bis de l’époque baroque: la Sonate en ré mineur K.1 de Domenico Scarlatti (1685-1757). À travers ses accents solennels et ses trilles habilement exécutées, le maître slovaque confère à la toccata à deux voix du compositeur italien une remarquable souplesse rythmique doublée d’une somptueuse harmonie. Très honorable réussite de la part du virtuose dont la performance restera gravée dans les annales du festival.
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