Du temps de son père, Toros était un magasin d’alimentation. Au début, il n’y avait pas grand-chose sur les longues étagères en bois qu’il a construites de ses mains, mais petit à petit, elles se sont remplies et ce fut "un beau magasin".
Gamine, Virgine aimait jouer à la marchande après l’école. Ses devoirs terminés, elle descendait peser, emballer, compter les pièces et les billets. Et puis, ça aidait aussi un peu ses parents, qui trimaient dur. Ce n’est pas comme sa sœur qui, elle, "ne faisait rien". Elles allaient à l’école de la Sainte Famille à Jeïtaoui, pas loin d’ici. Sa sœur est partie pour la Grèce, il y a longtemps. Elle a deux nièces, Louise et Denise, mais les nouvelles sont rares.
Virgine est d’origine arménienne, comme en témoigne cette image pieuse qu’elle sort d’un tiroir. C’est son père qui est venu au Liban, depuis la Turquie. Il a sauvé sa peau, comme beaucoup qui ont transité par la Syrie avant de se fixer à Beyrouth. Elle dit que "les plus riches ont pris le bateau, pour la France, l’Amérique. Les autres sont restés ici".
Elle a gardé une vieille lampe à pétrole qui prend la poussière dans un coin du magasin. Un jour, quelqu’un a voulu la lui acheter, mais elle a refusé net. Elle lui rappelle le temps du marchand ambulant qui passait à cheval dans le quartier de Ghabi pour vendre le précieux combustible. Aujourd’hui, elle utilise des bougies pour s’éclairer le soir. Comment faire autrement, quand il faut débourser un million de livres libanaises (dans les cinquante euros) par mois pour avoir le courant? Enfin, trois heures par jour et encore pas tous les jours.
Virgine survit plus qu’elle ne vit, comme tant de Libanais que la crise a mis sur la paille. Elle sait pouvoir compter sur les sœurs de la paroisse qui livrent régulièrement des repas et, parfois, lui donnent un peu d’argent. Elle vend aussi des Pepsi et des Seven Up, mais comme le frigo ventru des années cinquante qui trône dans l’arrière-boutique n’est plus alimenté, ses boissons sont tièdes. Le mini-market, plus haut dans la rue, lui fait une rude concurrence. Et puis, on y trouve de presque tout, alors que chez Virgine, les marchandises sont plutôt des vestiges d’un temps meilleur. Des sentinelles du passé. Dans sa vitrine, il ne reste plus que des petits sapins de Noël qui doivent passer l’année-là, à cuire sous le soleil qui cogne sur la vitre.
Virgine vient d’avoir 80 ans. Elle dit que les années de guerre étaient moins dures que ce qu’ils vivent aujourd’hui, "même si c’est calme". Une voisine la salue depuis la rue. Elle prend des nouvelles. Forcément, tout le monde se connaît dans ce petit quartier populaire en contre-bas d’une rue souvent embouteillée, qui descend vers Bourj Hammoud où vivent beaucoup d’Arméniens.
Elle n’a jamais quitté sa rue, habite toujours au-dessus du magasin et dit ne même plus attendre que ça aille mieux. Comme Virgine, combien de Libanais aujourd’hui ne survivent que grâce à une solidarité qui, tant bien que mal, répare au quotidien l’incurie de l’État.
C’est terrible un pays qui sombre.
Prochain article le mardi 21 décembre
Gamine, Virgine aimait jouer à la marchande après l’école. Ses devoirs terminés, elle descendait peser, emballer, compter les pièces et les billets. Et puis, ça aidait aussi un peu ses parents, qui trimaient dur. Ce n’est pas comme sa sœur qui, elle, "ne faisait rien". Elles allaient à l’école de la Sainte Famille à Jeïtaoui, pas loin d’ici. Sa sœur est partie pour la Grèce, il y a longtemps. Elle a deux nièces, Louise et Denise, mais les nouvelles sont rares.
Virgine est d’origine arménienne, comme en témoigne cette image pieuse qu’elle sort d’un tiroir. C’est son père qui est venu au Liban, depuis la Turquie. Il a sauvé sa peau, comme beaucoup qui ont transité par la Syrie avant de se fixer à Beyrouth. Elle dit que "les plus riches ont pris le bateau, pour la France, l’Amérique. Les autres sont restés ici".
Elle a gardé une vieille lampe à pétrole qui prend la poussière dans un coin du magasin. Un jour, quelqu’un a voulu la lui acheter, mais elle a refusé net. Elle lui rappelle le temps du marchand ambulant qui passait à cheval dans le quartier de Ghabi pour vendre le précieux combustible. Aujourd’hui, elle utilise des bougies pour s’éclairer le soir. Comment faire autrement, quand il faut débourser un million de livres libanaises (dans les cinquante euros) par mois pour avoir le courant? Enfin, trois heures par jour et encore pas tous les jours.
Virgine survit plus qu’elle ne vit, comme tant de Libanais que la crise a mis sur la paille. Elle sait pouvoir compter sur les sœurs de la paroisse qui livrent régulièrement des repas et, parfois, lui donnent un peu d’argent. Elle vend aussi des Pepsi et des Seven Up, mais comme le frigo ventru des années cinquante qui trône dans l’arrière-boutique n’est plus alimenté, ses boissons sont tièdes. Le mini-market, plus haut dans la rue, lui fait une rude concurrence. Et puis, on y trouve de presque tout, alors que chez Virgine, les marchandises sont plutôt des vestiges d’un temps meilleur. Des sentinelles du passé. Dans sa vitrine, il ne reste plus que des petits sapins de Noël qui doivent passer l’année-là, à cuire sous le soleil qui cogne sur la vitre.
Virgine vient d’avoir 80 ans. Elle dit que les années de guerre étaient moins dures que ce qu’ils vivent aujourd’hui, "même si c’est calme". Une voisine la salue depuis la rue. Elle prend des nouvelles. Forcément, tout le monde se connaît dans ce petit quartier populaire en contre-bas d’une rue souvent embouteillée, qui descend vers Bourj Hammoud où vivent beaucoup d’Arméniens.
Elle n’a jamais quitté sa rue, habite toujours au-dessus du magasin et dit ne même plus attendre que ça aille mieux. Comme Virgine, combien de Libanais aujourd’hui ne survivent que grâce à une solidarité qui, tant bien que mal, répare au quotidien l’incurie de l’État.
C’est terrible un pays qui sombre.
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