Les discussions sur l’identité se multiplient dernièrement, parallèlement à un chaos émotionnel dépourvu de toute attitude cartésienne. Certains Libanais sont solidement ancrés dans des appartenances étroites, exclusives, contradictoires, dans une logique de confrontation entre elles, notamment les appartenances confessionnelles, ou au contraire laïques fondamentalistes, aussi sectaires que le confessionnalisme, ou encore les nationalismes : libanais, arabe, syrien, syriaque etc. Ceux-ci, ayant tranché leurs identités meurtrières, et j’emprunte le terme à Amine Maalouf, ont la fausse impression de progresser en terrain ouvert et arrivent à gonfler leurs rangs devant « la faiblesse du vrai », comme le dit Myriam Revault d'Allonnes, et devant la force de la désinformation et du mensonge qui font bouger les émotions.
En ce sens, les réflexions à froid conformément à la logique cartésienne, se font plutôt rares. Les solutions partitionnistes ou pseudo-partitionnistes qu’ils proposent aspirent à la sécurité dans toutes ses dimensions, et sont fondées sur de fausses perceptions de l’histoire. Ceci est illusoire, car des frontières cantonales floues, en l’absence d’un Etat central fort, ne pourraient rien garantir. Un siècle après la déclaration du Grand-Liban, il est grand temps de relire l’histoire calmement, froidement, raisonnablement, en maitrisant ses émotions, afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent, dont une qui est évidente : la nécessité de purification de la mémoire collective et individuelle.
Il est impératif de détecter les analyses basées sur les mensonges de l’histoire, devenus des vérités dans le subconscient collectif. Il est également impératif de faire la lumière aussi bien sur les périodes sombres de notre histoire que sur celles prospères et positives. Enfin, après les expériences vécues au cours des dernières cinquante années, il est honteux et condamnable qu’un Libanais condamne systématiquement « l’autre » Libanais avant de bien le connaitre et de percevoir ses aspirations, ses craintes et ses hantises.
Nombre de Libanais, non cantonnés dans leurs appartenances, n’y voient pas clair. Ils sont ballotés, d’une part, entre des poussées émotionnelles d’exacerbation confessionnelle ou de nationalisme, et d’autre part, à l’opposé, des poussées de patriotisme romantique, nuancé d’une laïcité fragile. Ils valsent d’une position à l’autre, vivant ainsi une vraie crise identitaire, sous la pression des évènements du moment, oubliant que nous sommes dans une phase de l’histoire qui un jour prendra fin, et de notre vivant.
L’empire soviétique est bien fini ; l’Allemagne nazie ainsi que les empires ottoman, austro-hongrois, britannique … avaient prospéré puis disparu. La pression des évènements courants n’aide pas à maintenir le cap ; en effet, elle induit incertitude, craintes mutuelles d’assimilation culturelle, craintes mutuelles sécuritaires, ou tout simplement peur de l’inconnu.
Les Libanais en crise identitaire rêvent de solutions messianiques à de faux problèmes existentiels, ou projettent leurs désirs sur une réalité complexe, oubliant tous les penseurs qui ont longuement argumenté avec conviction sur ce Liban, celui de 1920, de la Constitution de 1926, des deux indépendances de 1943 et de 2005, du vivre-ensemble depuis plus de quatre siècles. Ils oublient également les hommes d’Etat, peu nombreux, qui ont soufflé l’esprit d’Etat dans les institutions, et qui ont eux seuls donné au Liban sa juste valeur pendant tout un siècle. Ils oublient surtout que le problème majeur est un problème d’absence de souveraineté qui ne peut être résolu ni par des textes ni par des lois, ni par des amendements de la Constitution qu’il est impensable d’entreprendre sous la pression des armes illégales.
Un jour, le professeur Elie Salem, ex-ministre des Affaires étrangères et ex-président de l’Université de Balamand, avait dit que chaque Libanais perçoit que son propre environnement régional est le Liban. Ainsi, l’habitant de Jounieh pense que tout ce qui ne ressemble pas à Jounieh n’est pas le Liban ; il en est de même des habitants de Nabatiyeh ou de Tripoli. Cela est absurde, insensé et dangereux. Il avait ajouté : « Les politiciens de tous bords se valent par leur médiocrité, seuls les hommes d’Etat brillent par leur compétence ».
Le professeur Antoine Messarra, ex-membre du Conseil Constitutionnel, critique sévèrement certains Libanais qui oublient cent ans de vivre-ensemble et continuent de blâmer les ancêtres de leurs compatriotes qui n’avaient pas voulu du Grand-Liban en 1920. Il les compare à un homme qui fait des reproches à sa femme avec laquelle il vit depuis 50 ans. Je pourrais citer des dizaines de réflexions émises par des penseurs patriotes libanais contemporains, mais qui restent sans échos face aux passions irrationnelles qui empêchent la distinction essentielle entre le vrai et le faux, portant ainsi atteinte à la capacité de jugement.
Pour ma part, voici ce que je pense de l’appartenance et de l’identité : nul ne peut avoir une seule et unique identité ! Effectivement, on ressent fortement des appartenances : familiale, villageoise, citadine, professionnelle, culturelle, sociale, académique, linguistique, ethnique, religieuse, patriotique, régionale, mondiale, universelle … et aucune n’est en mesure d’en annuler une autre. Il est inutile de s’enfermer dans l’une de ces identités et de se mettre les menottes aux mains ; là est le vrai isolement, corollaire du suicide.
L’identité libanaise, comme l’a dit le professeur Antoine Courban dernièrement lors d’un séminaire ayant pour thème la défense de l’identité libanaise, est cette carte délivrée par le ministère de l’Intérieur prouvant que l’on est citoyen libanais. La citoyenneté regroupe toutes ces identités et se résume par l’égalité des droits et des devoirs, conformément à la Constitution et aux lois. Inutile de chercher ailleurs !
En ce qui me concerne, le moment le plus fort en émotions de ma vie, du temps de mon service dans l’armée, était en septembre 2007, le jour où nos régiments sont rentrés par colonnes motorisées de la bataille de Nahr el-Bared (Akkar) à la caserne de Ghosta (Kesrouan), après 105 jours de combats ininterrompus et une victoire totale contre les terroristes de Chaker Al Absi. Le chemin nous a pris 14 heures de route, car les convois étaient arrêtés par les foules en liesse à Minyeh, Beddawi, Tripoli, Qalmoun, Enfé, Chekka, Batroun, Amchit, Jbeil, Safra, Jounieh, Antélias, Tarik Jdidé (détour à la demande de ses habitants), Ghosta … Les gens nous ovationnaient, nous portaient à bout de bras, nous lançaient des pétales, du riz … l’émotion patriotique était à son comble.
Parmi les 170 militaires martyrs de Nahr el-Bared, je n’oublierai jamais en ce jour du 9 Juin 2007 (mon premier jour là-bas) la scène des soldats qui transportèrent à la station de tri des blessés, un tout jeune sous-lieutenant nommé Ali Smidi, originaire de la Békaa Ouest, tombé martyr. Son image m’est inoubliable, tel le « Dormeur du Val » de Rimbaud. Lui, nos martyrs de Nahr el-Bared, et tous ceux, militaires ou combattants ou civils, tombés pour le Liban depuis l’indépendance, sont mon identité ! Une identité élaborée par la mémoire, la pensée, l’émotion, l’action et la raison, et affirmée par les sacrifices ; une identité salvatrice.
En ce sens, les réflexions à froid conformément à la logique cartésienne, se font plutôt rares. Les solutions partitionnistes ou pseudo-partitionnistes qu’ils proposent aspirent à la sécurité dans toutes ses dimensions, et sont fondées sur de fausses perceptions de l’histoire. Ceci est illusoire, car des frontières cantonales floues, en l’absence d’un Etat central fort, ne pourraient rien garantir. Un siècle après la déclaration du Grand-Liban, il est grand temps de relire l’histoire calmement, froidement, raisonnablement, en maitrisant ses émotions, afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent, dont une qui est évidente : la nécessité de purification de la mémoire collective et individuelle.
Il est impératif de détecter les analyses basées sur les mensonges de l’histoire, devenus des vérités dans le subconscient collectif. Il est également impératif de faire la lumière aussi bien sur les périodes sombres de notre histoire que sur celles prospères et positives. Enfin, après les expériences vécues au cours des dernières cinquante années, il est honteux et condamnable qu’un Libanais condamne systématiquement « l’autre » Libanais avant de bien le connaitre et de percevoir ses aspirations, ses craintes et ses hantises.
Nombre de Libanais, non cantonnés dans leurs appartenances, n’y voient pas clair. Ils sont ballotés, d’une part, entre des poussées émotionnelles d’exacerbation confessionnelle ou de nationalisme, et d’autre part, à l’opposé, des poussées de patriotisme romantique, nuancé d’une laïcité fragile. Ils valsent d’une position à l’autre, vivant ainsi une vraie crise identitaire, sous la pression des évènements du moment, oubliant que nous sommes dans une phase de l’histoire qui un jour prendra fin, et de notre vivant.
L’empire soviétique est bien fini ; l’Allemagne nazie ainsi que les empires ottoman, austro-hongrois, britannique … avaient prospéré puis disparu. La pression des évènements courants n’aide pas à maintenir le cap ; en effet, elle induit incertitude, craintes mutuelles d’assimilation culturelle, craintes mutuelles sécuritaires, ou tout simplement peur de l’inconnu.
Les Libanais en crise identitaire rêvent de solutions messianiques à de faux problèmes existentiels, ou projettent leurs désirs sur une réalité complexe, oubliant tous les penseurs qui ont longuement argumenté avec conviction sur ce Liban, celui de 1920, de la Constitution de 1926, des deux indépendances de 1943 et de 2005, du vivre-ensemble depuis plus de quatre siècles. Ils oublient également les hommes d’Etat, peu nombreux, qui ont soufflé l’esprit d’Etat dans les institutions, et qui ont eux seuls donné au Liban sa juste valeur pendant tout un siècle. Ils oublient surtout que le problème majeur est un problème d’absence de souveraineté qui ne peut être résolu ni par des textes ni par des lois, ni par des amendements de la Constitution qu’il est impensable d’entreprendre sous la pression des armes illégales.
Un jour, le professeur Elie Salem, ex-ministre des Affaires étrangères et ex-président de l’Université de Balamand, avait dit que chaque Libanais perçoit que son propre environnement régional est le Liban. Ainsi, l’habitant de Jounieh pense que tout ce qui ne ressemble pas à Jounieh n’est pas le Liban ; il en est de même des habitants de Nabatiyeh ou de Tripoli. Cela est absurde, insensé et dangereux. Il avait ajouté : « Les politiciens de tous bords se valent par leur médiocrité, seuls les hommes d’Etat brillent par leur compétence ».
Le professeur Antoine Messarra, ex-membre du Conseil Constitutionnel, critique sévèrement certains Libanais qui oublient cent ans de vivre-ensemble et continuent de blâmer les ancêtres de leurs compatriotes qui n’avaient pas voulu du Grand-Liban en 1920. Il les compare à un homme qui fait des reproches à sa femme avec laquelle il vit depuis 50 ans. Je pourrais citer des dizaines de réflexions émises par des penseurs patriotes libanais contemporains, mais qui restent sans échos face aux passions irrationnelles qui empêchent la distinction essentielle entre le vrai et le faux, portant ainsi atteinte à la capacité de jugement.
Pour ma part, voici ce que je pense de l’appartenance et de l’identité : nul ne peut avoir une seule et unique identité ! Effectivement, on ressent fortement des appartenances : familiale, villageoise, citadine, professionnelle, culturelle, sociale, académique, linguistique, ethnique, religieuse, patriotique, régionale, mondiale, universelle … et aucune n’est en mesure d’en annuler une autre. Il est inutile de s’enfermer dans l’une de ces identités et de se mettre les menottes aux mains ; là est le vrai isolement, corollaire du suicide.
L’identité libanaise, comme l’a dit le professeur Antoine Courban dernièrement lors d’un séminaire ayant pour thème la défense de l’identité libanaise, est cette carte délivrée par le ministère de l’Intérieur prouvant que l’on est citoyen libanais. La citoyenneté regroupe toutes ces identités et se résume par l’égalité des droits et des devoirs, conformément à la Constitution et aux lois. Inutile de chercher ailleurs !
En ce qui me concerne, le moment le plus fort en émotions de ma vie, du temps de mon service dans l’armée, était en septembre 2007, le jour où nos régiments sont rentrés par colonnes motorisées de la bataille de Nahr el-Bared (Akkar) à la caserne de Ghosta (Kesrouan), après 105 jours de combats ininterrompus et une victoire totale contre les terroristes de Chaker Al Absi. Le chemin nous a pris 14 heures de route, car les convois étaient arrêtés par les foules en liesse à Minyeh, Beddawi, Tripoli, Qalmoun, Enfé, Chekka, Batroun, Amchit, Jbeil, Safra, Jounieh, Antélias, Tarik Jdidé (détour à la demande de ses habitants), Ghosta … Les gens nous ovationnaient, nous portaient à bout de bras, nous lançaient des pétales, du riz … l’émotion patriotique était à son comble.
Parmi les 170 militaires martyrs de Nahr el-Bared, je n’oublierai jamais en ce jour du 9 Juin 2007 (mon premier jour là-bas) la scène des soldats qui transportèrent à la station de tri des blessés, un tout jeune sous-lieutenant nommé Ali Smidi, originaire de la Békaa Ouest, tombé martyr. Son image m’est inoubliable, tel le « Dormeur du Val » de Rimbaud. Lui, nos martyrs de Nahr el-Bared, et tous ceux, militaires ou combattants ou civils, tombés pour le Liban depuis l’indépendance, sont mon identité ! Une identité élaborée par la mémoire, la pensée, l’émotion, l’action et la raison, et affirmée par les sacrifices ; une identité salvatrice.
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