«L’auberge espagnole» est une expression consacrée, désignant une auberge où chacun apportait sa propre nourriture et autres besoins. En voilà une application financière locale.
Les plans financiers se multiplient et s’entrechoquent, mélangeant «contrôle de capitaux», «plan de récupération des dépôts», «répartition des pertes», «restructuration bancaire» et autres fièvres du samedi soir. Un mouvement frénétique alors que cela fait plus de trois ans qu’on patauge dans un étang insalubre où l’on se contentait de coasser bruyamment entre une ingurgitation et un glapissement.
Mais Dieu ce qu’ils sont lents ces politiciens, durs d’esprit et, ce qui n’arrange pas les choses, dotés d'un ego démesuré – ne jamais négliger cet aspect dans un sujet à débat. On y voit, entre autres, un Saadeh Chami, catapulté vice-Premier ministre et stratège financier en chef, fulminant des invectives à tout opposant à ses théories, un Élias Bou Saab dopé par l’accord maritime, qui, depuis, n’arrête pas de gigoter dans tous les sens, et un Ibrahim Kanaan qui se veut porte-étendard du peuple asservi.
Apparemment, ils hésitent encore dans la marche à suivre pour la suite des affaires financières, tiraillés comme ils sont entre adopter une solution que les économistes réalistes ne cessent de prôner et satisfaire leur base populaire. Mais voyons comment les choses se présentent, à travers tous ces textes à l’étude, sur les différents points de litige.
1- Versement des dépôts. En principe 800 dollars par mois, mais on ne sait pas encore qui va les payer ni comment. Les banques disent que les 400$ de la circulaire 158 (dont la moitié est assurée par la BDL) représentent le maximum de leurs capacités (plus 400 en LL). Élias Bou Saab affirme le contraire dans un élan de lyrisme en pensant aux pauvres citoyens. Mais il précise que «la commission chargée de superviser l’application de cette loi peut, en vertu du texte, revoir ce chiffre en fonction de l’évolution de la situation socio-économique».
Le député Ragy Saad est plus direct: «On n’est pas censé quantifier une valeur monétaire, et c’est à la commission de supervision de l’application de cette loi qu’il revient de déterminer, dépendamment de la situation économique et financière, ce que chaque banque peut faire.» Donc, en principe, les versements peuvent changer d’un moment à l’autre, et peut-être d’une banque à l’autre.
Ce qui est encore une fois désolant, c’est qu’on travaille dans un brouillard statistique ahurissant: «On parle de 1.600.000 déposants qui seraient concernés par cette mesure, mais, à mon avis, il y en a à peine 150.000.» Dixit Élias Bou Saab.
2- Mais ceci ne résout pas le problème. Quid si une ou plusieurs banques ne peuvent assurer le montant décidé par la commission? La banque peut être alors déclarée «non-viable». Et les dépôts devront normalement bénéficier de la «loi de garantie des dépôts», qui impose de verser jusqu’à 50.000 dollars à chaque déposant, sauf que la source de cet argent n’est pas encore claire.
Parallèlement, certains s’invitent dans le débat avec une proposition radicale: «Qu’on déclare la faillite de la banque et qu’on vende ses actifs aux enchères.» Mais tout le monde sait que ce ne sera pas suffisant pour restituer tous les dépôts. En plus, toute récupération future sera irrémédiablement compromise. Alors on enchaîne: «Liquidons alors les actifs personnels des banquiers.» Mais cela ne sera pas suffisant non plus. Ainsi on arrive à une impasse. N’empêche qu’on est des gens de principe et qu’on n’a pas plié.
À ce propos, face aux difficultés financières de quelques banques à appliquer entièrement l’une ou l’autre de ses circulaires, le gouverneur n’a jamais voulu réagir en déclarant une faillite, craignant un effet de cascade et une panique populaire incontrôlable.
3- Actifs étatiques. On veut les utiliser, mais sans en avoir l’air, alors que l’idée était totalement rejetée par le camp Saadeh Chami, appuyé par une panoplie d’associations. Mais on ne sait pas encore quoi faire, comment, pour quel actif et quelle rentabilité, surtout qu’aucune étude sérieuse n’a été réalisée. Élias Bou Saab parle «d’exploiter les nombreux bien-fonds que possède l’État après les avoir estimés à leur juste valeur». Il a même osé dire: «L’État doit assumer une part de responsabilité, et peut-être la plus grande part.» Mais on ne sait toujours pas comment.
4- Les gros dépôts. Là, il y a une contradiction avec l’intention affichée par les ténors du Parlement qu’aucun dépôt ne devra être perdu. C’est que, selon le second texte soumis à l’étude, les montants «non éligibles» – ceux qui ont été convertis de livres en dollars au taux de 1.500 LL depuis octobre 2019 – seront de nouveau «lirifiés» à un taux inférieur à Sayrafa. Ensuite, on doit soustraire les intérêts «excessifs» versés depuis 2015. Néanmoins, ce sont uniquement les dépôts de moins de 100.000$ qui seraient entièrement sauvés.
Mais, surtout, un «fonds de récupération des dépôts» devra être créé et financé par tout un tas de sources aussi vagues qu’imprécises l’une que l’autre: actifs bancaires, revenus publics futurs, argent récupéré de la corruption, titres et autres instruments financiers...
5- Dépôts transférés à l’étranger. On tombe ici encore une fois dans la démagogie! Dans les textes, on mélange les dépôts transférés à l’étranger («fuités») avec l’argent sale, mal acquis… alors que les premiers n’ont jamais été illégaux. Certains tentent de justifier quand même une telle clause: «Si on oblige les déposants à rapatrier les fonds transférés à l’étranger depuis 2019, les banques n’auront plus de problème de liquidité, comme ils semblent, ou prétendent, en avoir maintenant.»
Encore faut-il que les déposants concernés veuillent bien être coopératifs à ce niveau et que ces fonds n’aient pas déjà été dépensés ou investis, ce qui veut dire qu’ils ne sont plus liquides. Ensuite, rectifient les banquiers «(…) ces fonds, même rapatriés, appartiennent toujours à leurs détenteurs, et on ne peut les utiliser pour rembourser les autres.»
Bref, on n’est pas encore sorti de l’auberge espagnole où justement chacun apporte sa propre recette en enchérissant à qui mieux mieux qu’il n’est pas question de priver à terme les déposants de leur argent. Le comment du pourquoi reste en suspens.
[email protected]
Les plans financiers se multiplient et s’entrechoquent, mélangeant «contrôle de capitaux», «plan de récupération des dépôts», «répartition des pertes», «restructuration bancaire» et autres fièvres du samedi soir. Un mouvement frénétique alors que cela fait plus de trois ans qu’on patauge dans un étang insalubre où l’on se contentait de coasser bruyamment entre une ingurgitation et un glapissement.
Mais Dieu ce qu’ils sont lents ces politiciens, durs d’esprit et, ce qui n’arrange pas les choses, dotés d'un ego démesuré – ne jamais négliger cet aspect dans un sujet à débat. On y voit, entre autres, un Saadeh Chami, catapulté vice-Premier ministre et stratège financier en chef, fulminant des invectives à tout opposant à ses théories, un Élias Bou Saab dopé par l’accord maritime, qui, depuis, n’arrête pas de gigoter dans tous les sens, et un Ibrahim Kanaan qui se veut porte-étendard du peuple asservi.
Apparemment, ils hésitent encore dans la marche à suivre pour la suite des affaires financières, tiraillés comme ils sont entre adopter une solution que les économistes réalistes ne cessent de prôner et satisfaire leur base populaire. Mais voyons comment les choses se présentent, à travers tous ces textes à l’étude, sur les différents points de litige.
1- Versement des dépôts. En principe 800 dollars par mois, mais on ne sait pas encore qui va les payer ni comment. Les banques disent que les 400$ de la circulaire 158 (dont la moitié est assurée par la BDL) représentent le maximum de leurs capacités (plus 400 en LL). Élias Bou Saab affirme le contraire dans un élan de lyrisme en pensant aux pauvres citoyens. Mais il précise que «la commission chargée de superviser l’application de cette loi peut, en vertu du texte, revoir ce chiffre en fonction de l’évolution de la situation socio-économique».
Le député Ragy Saad est plus direct: «On n’est pas censé quantifier une valeur monétaire, et c’est à la commission de supervision de l’application de cette loi qu’il revient de déterminer, dépendamment de la situation économique et financière, ce que chaque banque peut faire.» Donc, en principe, les versements peuvent changer d’un moment à l’autre, et peut-être d’une banque à l’autre.
Ce qui est encore une fois désolant, c’est qu’on travaille dans un brouillard statistique ahurissant: «On parle de 1.600.000 déposants qui seraient concernés par cette mesure, mais, à mon avis, il y en a à peine 150.000.» Dixit Élias Bou Saab.
2- Mais ceci ne résout pas le problème. Quid si une ou plusieurs banques ne peuvent assurer le montant décidé par la commission? La banque peut être alors déclarée «non-viable». Et les dépôts devront normalement bénéficier de la «loi de garantie des dépôts», qui impose de verser jusqu’à 50.000 dollars à chaque déposant, sauf que la source de cet argent n’est pas encore claire.
Parallèlement, certains s’invitent dans le débat avec une proposition radicale: «Qu’on déclare la faillite de la banque et qu’on vende ses actifs aux enchères.» Mais tout le monde sait que ce ne sera pas suffisant pour restituer tous les dépôts. En plus, toute récupération future sera irrémédiablement compromise. Alors on enchaîne: «Liquidons alors les actifs personnels des banquiers.» Mais cela ne sera pas suffisant non plus. Ainsi on arrive à une impasse. N’empêche qu’on est des gens de principe et qu’on n’a pas plié.
À ce propos, face aux difficultés financières de quelques banques à appliquer entièrement l’une ou l’autre de ses circulaires, le gouverneur n’a jamais voulu réagir en déclarant une faillite, craignant un effet de cascade et une panique populaire incontrôlable.
3- Actifs étatiques. On veut les utiliser, mais sans en avoir l’air, alors que l’idée était totalement rejetée par le camp Saadeh Chami, appuyé par une panoplie d’associations. Mais on ne sait pas encore quoi faire, comment, pour quel actif et quelle rentabilité, surtout qu’aucune étude sérieuse n’a été réalisée. Élias Bou Saab parle «d’exploiter les nombreux bien-fonds que possède l’État après les avoir estimés à leur juste valeur». Il a même osé dire: «L’État doit assumer une part de responsabilité, et peut-être la plus grande part.» Mais on ne sait toujours pas comment.
4- Les gros dépôts. Là, il y a une contradiction avec l’intention affichée par les ténors du Parlement qu’aucun dépôt ne devra être perdu. C’est que, selon le second texte soumis à l’étude, les montants «non éligibles» – ceux qui ont été convertis de livres en dollars au taux de 1.500 LL depuis octobre 2019 – seront de nouveau «lirifiés» à un taux inférieur à Sayrafa. Ensuite, on doit soustraire les intérêts «excessifs» versés depuis 2015. Néanmoins, ce sont uniquement les dépôts de moins de 100.000$ qui seraient entièrement sauvés.
Mais, surtout, un «fonds de récupération des dépôts» devra être créé et financé par tout un tas de sources aussi vagues qu’imprécises l’une que l’autre: actifs bancaires, revenus publics futurs, argent récupéré de la corruption, titres et autres instruments financiers...
5- Dépôts transférés à l’étranger. On tombe ici encore une fois dans la démagogie! Dans les textes, on mélange les dépôts transférés à l’étranger («fuités») avec l’argent sale, mal acquis… alors que les premiers n’ont jamais été illégaux. Certains tentent de justifier quand même une telle clause: «Si on oblige les déposants à rapatrier les fonds transférés à l’étranger depuis 2019, les banques n’auront plus de problème de liquidité, comme ils semblent, ou prétendent, en avoir maintenant.»
Encore faut-il que les déposants concernés veuillent bien être coopératifs à ce niveau et que ces fonds n’aient pas déjà été dépensés ou investis, ce qui veut dire qu’ils ne sont plus liquides. Ensuite, rectifient les banquiers «(…) ces fonds, même rapatriés, appartiennent toujours à leurs détenteurs, et on ne peut les utiliser pour rembourser les autres.»
Bref, on n’est pas encore sorti de l’auberge espagnole où justement chacun apporte sa propre recette en enchérissant à qui mieux mieux qu’il n’est pas question de priver à terme les déposants de leur argent. Le comment du pourquoi reste en suspens.
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