Le 4 août 2020, la double explosion du port de Beyrouth a changé à jamais le cours de la vie des Beyrouthins. Louise Molinaro est française et elle chante. Elle se trouve au Liban pour y passer des vacances avec son fiancé. Le drame, ils y ont échappé de très peu. Quelques jours plus tard, elle lit le poème que la tante de ce dernier, Thilda Moubayed, a écrit, tentant de raconter l’innommable. Louise est conquise par les paroles. Elle s’emploiera, avec l’aide de Pierre Abou Jaoudé qui lui procurera des photos, de cocomposer un clip qu’elle poste sur sa chaîne YouTube. Beyrouth souveraine fait déjà le tour du monde via WhatsApp, tel un ultime cri de vie à une ville fracassée. Ici Beyrouth s’est entretenu avec la poète-parolière Thilda Moubayed, la chanteuse Louise Molinaro (voir la vidéo), et Pierre Abou Jaoudé à qui l’on doit les superbes clichés de la vidéo.

Thilda Moubayed

Thilda Mobayed: «Le peuple sombre et l’intellect avec»

Thilda Moubayed est née au Liban en 1951. Elle a vécu par intermittence les années de guerre 1975-1990, puis poursuivi ses études à Paris où elle a obtenu son doctorat en sciences de l’éducation. Elle a, par la suite, enseigné à L’Institut catholique de Paris, et Paris XII, et à l’université René Descartes-Paris V. En même temps, elle a été membre du comité de la revue Dansons-Magazine, regroupant un ensemble d’universitaires, pour finalement publier deux ouvrages chez l’Harmattan, l’un en 2005, intitulé La Danse conscience du vivant, et un en 2007 intitulé Thami une femme libanaise.

Ce poème a-t-il été écrit pour le 4 août en particulier?

Il faut dire que j'ai vécu ce moment où en quelques fractions de seconde, Beyrouth s'est effondré. Survivre à un tel événement crée une confusion de tout ordre qui se perpétue et dans laquelle on s’enlise indéfiniment. Bien sûr, mille et une questions se profilent; des questions sans réponses dans ce chaos généralisé. Qui sont les auteurs de cette tragédie et pourquoi? Depuis le 13 avril 1975, mille et une hypothèses ont tenté de circonscrire cette guerre lancinante que vivent les Libanais. À part «accuser», on s’enfonce dans une émotion latente, tacite, violente, qui nous malmène et entretient un fatalisme permanent, handicapant nos facultés réelles pour nous en sortir. Le religieux et le politique, emmêlés. Les partis prolifèrent et s’autodétruisent. Le peuple sombre et l’intellect avec.

Quel message souhaitez-vous transmettre à travers ces paroles?

Ce poème je l’ai écrit tout d’abord pour moi quelques jours après ce drame. Ce n’est pas un message, loin de là. Car comment peut-on oser adresser un message au cœur d’un enchevêtrement maléfique que vit un peuple en sursis? Ce poème, comme toute écriture, serait né d’une impulsion surgie, d’une volonté implicite de mise en ordre de mon désordre émotionnel, dans le but de pouvoir le circonscrire, le lire, en vue de le maîtriser autant que possible, avant qu’il ne me maîtrise et m’embarque dans sa confusion.

N’use-t-on pas de barrages pour canaliser et contrecarrer des fleuves qui débordent? Il en est ainsi du rythme qui embrasse la mélodie née d’états d’âme, la structure, la rend signifiante.

Toute jeune, j’ai commencé par écrire des poèmes. Mes muses principales furent Beyrouth et le Liban; une matière abondante nourrie de couleurs et de contradictions. La poésie devint alors pour moi un exutoire où je pouvais ranger mes réflexions et pensées nées de la traversée conflictuelle de ma vie. Comme de la vie de chaque Libanais en particulier: ceux qui vivent ici, et ceux qu’on nomme «exilés».


Comment ce texte est devenu une chanson?

Par hasard… nommons-le ainsi. Ma nièce fiancée à mon neveu, se trouvant à Beyrouth, ce 4 août tragique, et moi au Liban auprès de ma mère. Un jour où ils m'ont rendu visite, Louise a voulu d’emblée créer cette chanson à partir de ce poème... C’est ainsi que tout a démarré et je la remercie vivement d’avoir mis en relief par sa voix belle et émouvante, ce texte, ces mots, auxquels elle a donné vie, forme et force, dans le contexte actuel du Liban où l’énigme se perpétue volontairement autour de la double explosion du port de Beyrouth...

Pierre Abou Jaoudé

Pierre Abou Jaoudé: «Nous voulions rendre hommage aux habitants de Beyrouth»

Pierre Abou-Jaoudé est réalisateur et photographe basé à Beyrouth (www.pjowdy.com).

Quel a été votre rôle dans cette aventure?

Nous avions décidé avec Louise de filmer surtout des visages, ceux des habitants de Beyrouth. Nous voulions leur rendre hommage après tout ce qu’ils ont vécu. Je filmais les images de Beyrouth. Je me promenais avec ma caméra et je demandais aux gens si je pouvais les filmer. C’était une démarche très improvisée presque comme un documentaire. Je lui envoyais les images au fur et à mesure pour qu’elle puisse faire le montage. Nous avons travaillé le clip à distance, Louise étant basée à Paris.

https://youtu.be/7EypuAllYm4

 
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