Entente de Mar Mikhaël: Vers une rupture… non-totale
L’entente de Mar Mikhaël aura duré 17 ans. Cette alliance conclue entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) le 6 février 2006, et qui a bénéficié aux deux parties mais certainement pas au Liban, semble être sérieusement ébranlée. Les piques verbales échangées récemment par les officiels des deux partis, et notamment par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah et le chef du CPL Gebran Bassil, en sont la preuve. Même si les deux formations n’atteindront pas la rupture totale dans l’immédiat, leur relation actuelle n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était au fil des dernières années. Le bras-de-fer se manifeste de plus en plus clairement, le dernier épisode en date étant le refus du CPL de participer à la séance législative qui devait, notamment, prolonger le mandat du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, un refus qui a empêché la tenue de la réunion parlementaire en question, considérée comme importante par le Hezb.

L’appui à Frangié

La principale cause de divergence est l’élection présidentielle et l’appui, de plus en plus explicite, apporté par le parti dirigé par Hassan Nasrallah à la candidature de l’ancien député Sleiman Frangié. Une position clairement rejetée par Gebran Bassil, qui a tenté désespérément au cours des derniers mois –et qui essaie encore - de convaincre le leadership du Hezbollah de changer d’avis et d’examiner d’autres noms.

Dans ce cadre, le gendre de l’ex-président de la République Michel Aoun n’ambitionne plus de lui succéder à ce poste. Ce rêve qu’il a longtemps caressé, il l’a abandonné aujourd’hui, car il sait pertinemment qu’il n’a aucune chance d’être élu, ayant réussi, au fil de son action politique, à se créer, à lui mais aussi au CPL, des relations d’adversité avec tous les partis. S’il venait à annoncer sa candidature, comme il a récemment « menacé » de le faire, il n’obtiendrait, au mieux, qu’une partie des votes du groupe du Liban fort, qu’il préside. Car non seulement les voix du Tachnag ne lui seraient pas acquises, mais plusieurs députés « aounistes » s’abstiendraient également de voter pour lui, les différends au sein du parti orange, et plus précisément avec lui, étant devenus un secret de polichinelle.

En fait, Gebran Bassil voudrait avoir son mot à dire dans le choix du chef de l’État qui devrait, à ses yeux, être bien intentionné envers le CPL, et à l’écoute des directives du chef du courant. Or le Hezbollah ne l’entend pas de cette oreille. Et encore moins le mouvement Amal, qui n’a jamais caché son hostilité tout aussi bien envers l’ancien que l’actuel chef du courant aouniste, et qui ne l’a mise en sourdine que parce que le CPL était l’allié de son allié.

Vers une rupture

«Il est clair que l’on se dirige vers une rupture», souligne une source bien informée, proche du parti orange. «Gebran Bassil considère que la présidentielle est l'un des fondements de la relation CPL-Hezbollah, qui est supposée être basée sur le partenariat, indique la source susmentionnée. Et quand le Hezbollah fait un choix à ce niveau qui contredit celui de ce parti et des Forces libanaises, qui représentent ensemble la majorité chrétienne au niveau de l’opinion publique, Gebran Bassil estime qu’il s’agit d’un coup porté à toute la logique de l’entente de Mar Mikhaël, relève la source. Le fait que le Hezbollah ne lui ait même pas permis de discuter de ce choix a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase», souligne la source précitée. Elle rappelle que le parti pro-iranien avait déjà vexé le CPL plusieurs fois, notamment en assurant le quorum aux réunions du Conseil des ministres boycottées par le courant aouniste, lui faisant perdre son bras-de-fer avec le Premier ministre sortant Najib Mikati sur la non-constitutionnalité de ces réunions.

Pas totalement

Néanmoins, cette rupture ne sera pas totale, du moins dans l’immédiat. Le chef du CPL «est plus intelligent que de suivre cette voie et préfère exercer une sorte de chantage, de manière à dire au Hezb: la présidentielle est l’un des fondements de notre alliance, et si vous allez jusqu’au bout dans votre choix, je ne respecterai plus notre entente», estime la source proche du CPL.

Une autre raison pour laquelle Gebran Bassil ne peut pas couper totalement avec le parti de Hassan Nasrallah est le fait qu’il n’a aucun autre allié, ou même ami, en politique. Un observateur proche du 8 Mars note à cet égard que le Hezbollah ne se pliera pas au chantage de M. Bassil et le lui a clairement fait savoir. Quant au refus de participer à la séance législative - également boycottée par d’autres députés, notamment ceux des Forces libanaises et du Changement-, «il fait plus de tort au CPL qu’au Hezb, car le blocage parlementaire qui empêche également le vote de textes comme la loi sur le contrôle des capitaux, est très mal vu par les pays qui suivent la situation au Liban», souligne la source proche du 8 Mars.

Par ailleurs, dans des milieux proches du CPL, certains se demandent si Gebran Bassil a les coudées libres et s’il n’a pas conclu, au long de ces 17 ans, des accords ou des marchés qui l’empêcheraient d’une façon ou d’une autre de rompre totalement avec son allié des beaux jours. «Il peut geler la relation, mais probablement pas la briser», soulignent-ils.

Dans le même contexte, ces milieux croient savoir que le chef du CPL avait conclu un marché en vertu duquel il avait accepté de proroger le mandat de Abbas Ibrahim, en échange d'«acquis» au niveau de certains postes chrétiens. Mais il avait été contraint de renoncer à cela, après le refus de plusieurs députés du bloc de considérer les articles à l’ordre du jour de la séance parlementaire comme étant «urgents» et de participer à la séance.

La position du Hezbollah


Alors que le secrétaire général du Hezbollah a publiquement déclaré qu’en raison des échéances importantes dans le pays, «l’entente de Mar Mikhaël est dans une phase délicate», les autres officiels du parti préfèrent ne pas s’étendre sur la question.

«La relation entre le CPL et le Hezbollah traverse une période délicate, mais jusqu’à présent, la décision d’un divorce définitif n’a pas encore été prise», explique Kassem Kassir, analyste politique qui suit de près le dossier du Hezbollah.

«Les deux parties étudient la question», précise-t-il à Ici Beyrouth, affirmant que «le Hezbollah est attaché à la poursuite du dialogue».

M. Kassir reconnait que le désaccord porte sur l’élection présidentielle, «et le refus de la part de Gebran Bassil des candidatures de Sleiman Frangié et Joseph Aoun».

Concernant la position du Hezbollah sur la candidature du commandant de l’armée, il précise que le parti en question «n’a pas annoncé une position négative à son sujet, et a indiqué qu’il n’avait pas de véto sur sa candidature, sachant qu’il préfère Sleiman Frangié».

À la question de savoir si les attaques menées récemment par le quotidien « Al-Akhbar » contre le général Joseph Aoun, l’accusant notamment de transformer l’armée en ONG, et de vendre les armes de la troupe, signifient que le Hezbollah rejette sa candidature, M. Kassir répond que «Al-Akhbar n’est pas le porte-parole officiel du parti et ne reflète pas nécessairement sa position».

Toujours au sujet de la présidentielle, il souligne que des dialogues sont en cours pour parvenir à des «visions communes» afin de trancher les positions.

Couverture chrétienne

Le Hezbollah n’a-t-il donc plus besoin de la «couverture chrétienne» que le CPL lui garantit depuis 2005 ?

«Avec ses armes et sa présence régionale, il n’a jamais vraiment eu besoin des chrétiens», estime une source proche du CPL, pour qui cette entente n’était pas essentielle et ne constituait en fait que la «cerise sur le gâteau».

Un observateur note dans ce contexte que les deux parties ont profité de l’entente. Mais aujourd’hui, après la "redistribution des cartes» au Liban et dans la région, une telle alliance n’est utile à aucune des deux formations.

La constitution d’un groupe de cinq pays qui s’intéressent au Liban, à savoir la France, les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et l’Arabie saoudite, et qui ont tenu une réunion à Paris le 6 février dernier, rappelle à cet observateur la mission menée par le médiateur arabe Lakhdar Ibrahimi au Liban, qui avait abouti à la signature de l’accord de Taëf en 1989. Une solution à la crise politique libanaise actuelle pourrait résulter des tractations entreprises par le «comité de Paris», souligne-t-il, relevant cependant qu’elle n’est pas encore mûre.

En tout état de cause, l’entente de Mar Mikhaël, qui avait abouti à l’élection de Michel Aoun, ne conduira pas à celle de Gebran Bassil. Elle a, par contre, mené à un isolement quasi-total du CPL sur la scène politique libanaise. Quant aux «droits des chrétiens» qu’elle se promettait de protéger, elle aura surtout, aux yeux de nombreux observateurs, dont des proches du CPL, satisfait des intérêts personnels, au détriment des droits de tous les Libanais.
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