Têtes chercheuses
Capital de valeur inestimable, la recherche scientifique est le label de qualité du Liban. Les chercheuses libanaises rayonnent partout, «Ici Beyrouth» vous invite à rencontrer trois d’entre elles.

Avec une moyenne de 60% de femmes chercheuses, le Liban se démarque du reste du monde, où la moyenne ne dépasse pas les 33%. Biologistes, physiciennes, mathématiciennes, chimistes, philosophes… les Libanaises excellent dans plusieurs domaines. Les échos de leur succès retentissent dans les quatre coins du monde.

Toutefois, le travail des femmes chercheuses n’est pas apprécié à sa juste valeur. Seul 3% des prix Nobel sont décernés à des femmes et très peu de chercheuses sont connues par le grand public à travers le monde. À la question «nommez une femme chercheuse», la majorité des personnes citeront Marie Curie. Une chercheuse certes talentueuse, mais dont les travaux remontent à plus de cent ans.

Pour mettre les femmes chercheuses plus en avant, de nombreuses initiatives, libanaises et internationales, visent à leur offrir une plus grande visibilité. Au nombre de ces initiatives, celle lancée par la Fondation L’Oréal, en partenariat avec l’Unesco, qui organisent chaque année le prix L’Oréal-Unesco pour les femmes dans la science (Women in Science). Celui-ci est remis à cinq femmes scientifiques en Afrique et dans les pays arabes, en Asie et dans le Pacifique, en Europe, en Amérique latine et aux Caraïbes, ainsi qu’en Amérique du Nord. Et ce, en reconnaissance de leurs réalisations scientifiques. Les domaines retenus pour le prix alternent entre les sciences de la vie (durant les années paires) et les sciences de la matière, les mathématiques et les sciences informatiques (durant les années impaires).

Pour l’édition 2023, trois chercheuses libanaises ont été primées par L’Oréal-Unesco: Nancy Fayad, enseignante-chercheuse en microbiologie à l’Université libano-américaine (LAU), Rania Kassir, doctorante et enseignante en neuroscience à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), et Zeina Habli, doctorante en ingénierie biomédicale à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Elles ont reçu chacune la somme de 10.000 dollars pour soutenir leurs recherches.

Des parcours très variés

«J’ai toujours été une personne curieuse, raconte Nancy Fayad. La recherche est pour moi un moyen de canaliser cette curiosité vers quelque chose qui, je l’espère, profitera à la société et à la communauté scientifique. Je ne peux pas m’imaginer faire autre chose.»

Détentrice d’une licence en sciences de la vie et de la terre-biochimie, d’un master en génomique et protéomique (qui relève du monde des protéines) fonctionnelles, Nancy Fayad a déjà reçu une bourse offerte par le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS-L) et l’USJ et une autre, la bourse «Coopération au développement – CAI», de l’Université catholique de Louvain, en Belgique. Elle obtient haut la main un doctorat en sciences de la vie de l’USJ et un autre en sciences agronomiques et bio-ingénierie de l’Université catholique de Louvain. Depuis 2021, elle travaille au sein du laboratoire multi-omique (approche pluridisciplinaire alliant plusieurs niveaux d’études moléculaires) de l’école de pharmacie de l’Université libano-américaine (LAU).


Nancy Fayad mène actuellement une recherche sur le microbiote (ensemble des micro-organismes vivant dans un environnement spécifique) des voies respiratoires. «La nature des micro-organismes, qui change selon le mode de vie, la géographie… aide le corps à réagir aux maladies, explique-t-elle. Nous manquons sévèrement d’informations concernant le microbiote respiratoire au Liban et dans la région», affirme la bibliophile.

Titulaire d’une licence en biologie et d’un master en biotechnologie de la faculté des sciences de l’Université libanaise, Zeina Habli, a décroché, en 2019, une bourse de doctorat cofinancée par le CNRS-L et l’AUB. Elle poursuit actuellement son doctorat en génie biomédical à la faculté d’ingénierie et d’architecture Maroun Semaan de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). «Mes travaux visent à sonder et à identifier les diverses propriétés mécaniques et électriques des cellules cancéreuses du sein à différents stades métastatiques, souligne-t-elle. Nous étudions le comportement viscoélastique (élastique et visqueux) et les profils d’adhésion, ou ce que nous appelons l’empreinte mécanique, des cellules cancéreuses du sein avec différentes expressions géniques et un potentiel métastatique. Sur la base de notre analyse, nous développerons des biocapteurs électroniques sans étiquette pour détecter les cellules tumorales circulantes dans un échantillon de sang, c’est-à-dire les cellules qui se détachent de la tumeur et propagent le cancer dans le corps. Ce travail est interdisciplinaire et vise à développer des plateformes de dépistage précoce du cancer du sein dans différents points de service. Celui-ci se fera de manière peu invasive et rapide.»

Après avoir obtenu sa licence en orthophonie de l’USJ, Rania Kassir a intégré l’Université de Lyon où elle a poursuivi un master en neuropsychologie et neurosciences cliniques, avant de retourner à l’USJ pour son doctorat. «Je travaille sur l’effet du bilinguisme sur les fonctions motrices, confie-t-elle. Mon travail est particulièrement axé sur la maladie d’Alzheimer et la démence. Le Liban est l’un des pionniers dans ce domaine. De plus, il constitue un terrain parfait pour cette étude, puisque la majorité des Libanais sont bilingues ou trilingues. Nous sommes fiers de parler plusieurs langues. Cela a aussi des avantages d’un point de vue médical puisqu’il éloigne le risque de développer un Alzheimer ou une démence». Passionnée par son travail, Rania Kassir se bat corps et âme pour poursuivre ses travaux de recherche, malgré les aléas au Liban. Des recherches qui constituent un capital précieux que le pays pourrait exporter dans le monde.

Des obstacles de taille

Pour les trois femmes, le financement est le principal obstacle auquel fait face tout chercheur dans le monde. Un problème qui se fait ressentir encore plus au Liban, avec la crise économique, la dévaluation de la monnaie nationale et le manque d’investissements.

Les chercheuses ont expliqué que les frais du matériel de laboratoire, des licences pour les logiciels informatiques et de la participation aux séminaires internationaux doivent être payés en dollars «frais». «Poursuivre une carrière dans la recherche scientifique est généralement difficile, déplore Rania Kassir. Ce qui l’est encore plus, c’est de rester motivée et de maintenir un bon équilibre entre mon travail et ma vie personnelle, surtout lorsque le stress et les délais sont importants.»

«Au cours de mon parcours, j’ai été confrontée à plusieurs défis sur le plan personnel et professionnel, mais aussi financier, puisque l’obtention de subventions avec la situation actuelle au Liban devient de plus en plus difficile, confie de son côté Nancy Fayad. J’ai cependant la chance d’avoir le soutien de mes parents, mon fiancé et mes amis.»

Dévouées, créatives, visionnaires et passionnées, les chercheuses libanaises sont des pionnières dans leurs domaines, malgré les défis rencontrées au quotidien. Les recherches qu’elles mènent sont reconnues et appréciées à l’échelle internationale, comme l’affirment les trois femmes. «Malgré les ressources limitées dont nous disposons et tous les problèmes auxquels ce pays est confronté, nous avons encore la capacité de produire une recherche de qualité dans plusieurs domaines différents.»
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