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Ce lundi 22 mai 2023, Nada Moghaizel Nasr signe son nouveau livre, É
Avec ce sixième ouvrage, après Joseph et Laure (2008), Des choses simples (2003), D’autres images écrites (1999), Images écrites (1994) et l’Identité piégée (1991), Nada Moghaizel Nasr ajoute une nouvelle pierre à l’édifice de son œuvre littéraire. Déléguée du recteur à l’assurance qualité et la pédagogie universitaire de l’Université Saint-Joseph, elle est également la doyenne honoraire de la Faculté des sciences de l'éducation de la même université. Digne héritière de ses parents militants en faveur des droits de la femme et de la laïcité au Liban, Nada Moghaizel reçoit d’eux le flambeau de l’humanisme et de la culture. Elle ne cesse de consolider sa belle place au soleil de la littérature francophone ainsi que dans le cœur et l’esprit de son public. Elle est nommée chevalier de l’Ordre des palmes académiques de la République française.

Écrits Dans la marge
Et si la marge était un espace voué à l’essentiel, non point pour les phrases banales ou classiques, ni pour les émotions retenues, mais pour exprimer une quête qui transcende la banalité et les diktats? Si la marge était la demeure du beau, abritait les désirs allumés et assumés, les particularités, les spécificités et les différences qui font notre richesse? Pour Nada Moghaizel Nasr, l’éthique et l’esthétique se rejoignent et se fécondent dans la marge. L’éducation, transmise par ses parents aimants et doux se situe aussi dans la marge à l’opposé de la discipline austère, érigée en maîtresse absolue dans la pédagogie traditionnelle. C’est pourquoi, que ce soit dans Images écrites, ou D’autres images écrites, ou quand l’écrivaine raconte le parcours aussi bien héroïque que romantique de ses parents dans Joseph et Laure, on retrouve les fulgurances stylistiques et les envolées poétiques de sa plume sensible et ailée, comme on la trouve dans ce nouveau livre, où Nada Moghaizel est un papillon qui butine les mots.
Qui est l’héroïne omniprésente d’Écrits dans la marge? La vulnérabilité humaine. Contrairement aux idées courantes et aux poncifs, qui ne voient en elle qu’une fêlure à soigner, qu’un handicap à dissimuler et qu’une faiblesse à surmonter, c’est elle qui cherche et détecte la beauté. C’est elle qui se lance le défi d’extraire le nectar caché du bonheur mais aussi celui des malheurs. «Qu’as-tu fait des bonheurs, des malheurs aussi?» La vie et l’écriture de Nada Moghaizel sont entièrement guidées par cette question. Une façon différente de lire les événements à l’écart de la vision linéaire, en marge des interprétations classiques. Avec elle, nous nous situons dans la prose poétique, la relecture revue et corrigée du monde. Initiée par ses parents, particulièrement par sa mère, elle se place dans le sillage de la conception de Baudelaire: «Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.» Tel un papillon, Nada Moghaizel essaiera de polliniser les malheurs, de transformer leur fiel en miel. Libre comme un papillon, elle est comme lui, en marge. Elle sélectionne les citations littéraires, psychanalytiques et historiques pour rehausser ses textes sculptés comme des joyaux, colorés comme la vie. Comme un papillon, elle ne suit pas un itinéraire rigide mais voltige d’un thème à l’autre, selon l’importance sémantique, l’originalité et l’inspiration du moment. Tout est grâce, tout est quête d’harmonie et d’équilibre. Son champ de réflexion peut provenir de n’importe quel détail, de n’importe quel mot a priori anodin, qui retrouveront leur force symbolique et redonneront au contexte, au texte, leur vraie envergure.

On comprend que la beauté est immuable, qu’elle est toujours présente, mais qu’elle est aussi fragile que l’être qui la poursuit et qui essaie de la trouver. Ce livre n’est pas seulement un hommage à l’éducation parentale, mais à leur immense amour, au choix de leurs phrases, qui a toujours une influence majeure sur la psychologie, la santé et l’évolution des enfants. On peut le considérer comme un essai sur l’éducation, avec des moyens insolites, marginaux. C’est aussi une célébration de la vie, une foi dans la renaissance, comme le racontent au printemps, les ailes des papillons. Ce livre est un conseiller, un ami qui nous chuchote à l’oreille des aveux précieux, des conseils judicieux. Sa charge émotionnelle nous remplit le cœur et l’esprit. C’est un livre qu’on ne tient pas entre les mains, mais qui nous tient la main, nous parle, nous tient en haleine, nous retient. On s’y voit, on déchiffre nos peines inavouées, nos tentatives de renaître échouées. On ne perçoit plus notre vulnérabilité comme une malédiction, mais comme un gage d’authenticité, un degré élevé d’humanité. Les textes sont des tranches de vie mais avec l’éclat d’une sensibilité réhabilitée, triomphante, hier déplorée, décriée, portée comme une croix, la voilà enfin en instrument de renaissance. Elle nous dit: je suis la force, l’intelligence intuitive, je peux tout faire. Je ne creuserai point vos tombes, mais vous porterai sur mes ailes. Quel est le mot d’ordre dans ce périple littéraire? L’amour de soi, l’amour des autres et celui de la vie. Vous qui avez été formé.e.s ou plutôt malformé.e.s  par la haine de soi, retrouvez la source pure des commencements heureux. Oubliez les dérives de l’éducation religieuse et familiale, leur lexique haineux et déstabilisant, l’accent qu’elles mettent sur vos échecs et vos failles. Laissez-vous séduire par ce message d’espoir dans la grandeur humaine. Avec ce livre, redessinez votre île, repeuplez-la avec les hommes, les femmes et les mots structurants de Nada Moghaizel Nasr.

Entretien
«Serions-nous plus intelligents parce que vulnérables?» Une de vos phrases minimalistes qui en dit long, au milieu des citations philosophiques et littéraires tissant votre livre et lui conférant une grande charge poétique. La fragilité déconcertante du roseau pensant serait-elle à l’origine de l’excellence humaine et du besoin de se surpasser?
Je pense que notre capacité à l’émotion est une vulnérabilité qui peut être une force. Elle nous permet de ressentir la beauté des êtres et des choses et de s’en nourrir. Elle nous alerte aussi sur les «dangers» qui viennent de nous ou du monde. Cette fragilité active notre intelligence, dont la fonction principale est de rétablir un équilibre perdu, d’inventer des solutions nouvelles et de nous réinventer aussi. Le grand linguiste Alain Rey nous apprend que le verbe «penser» vient du mot «peser». Et puis nos fêlures laissent entrer la lumière. Nos souffrances nous enseignent beaucoup. J’aime cet art japonais ancestral qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices de poudre d’or, au lieu de les cacher. L’objet en devient d’autant plus précieux. Nous pratiquons tous cet art japonais sans le savoir.
«Pécher par omission» est ce qu’il y a de pire, dites-vous. «Pécher en parole», «pécher en action» peut être racheté par des excuses. Mais ne pas avoir essayé vous paraît le plus grave. Que dénoncez-vous principalement, la lâcheté ou la médiocrité, l’absence de foi en soi et en la vie, ou une forme tacite de désespoir?

Personnellement, n’avoir pas osé dire, m’être tue quand il fallait parler, ne pas avoir défendu une idée ou une personne, je ne me le pardonne pas. À cause, ou plutôt grâce à cette famille dans laquelle j’ai grandi et qui m’a enseigné le courage et le devoir de parler.

Il y a dans votre livre une invitation à redonner aux valeurs, à la beauté, leur dimension primordiale. Le lecteur voit dans vos textes la quête du beau et se laisse séduire. Est-ce votre méthode pédagogique personnelle après un doctorat en sciences de l’éducation et une longue expérience?
Vous faites référence aux textes qui montrent que la beauté est utile. Je le pense très fort. Et je pense que Saint Exupéry avait bien raison de dire «c’est sûrement utile puisque c’est joli». Un bouquet de roses renforce l’effet d’un analgésique. Un texte est plus clair s’il est beau. Une pensée positive amortit la douleur. Une équipe joyeuse est plus productive. La beauté d’une ville protège du froid. L’art amortit la douleur. La science le prouve. L’Organisation mondiale de la santé le préconise. La beauté nous sauve. Un mimosa, dans ma rue, m’avait protégée de la guerre. Une grande résistante française, dans un camp de concentration raconte que le bleu du ciel l’avait dissuadée de mettre fin à sa vie.
 Vous désirez honorer «la dette» parentale qu’on vous a donnée: une aptitude ou une initiation au bonheur, à l’amour des autres, à l’amour de soi, une célébration de la vie. Cela est clair dans tous vos écrits et dans tous vos livres. Pensez-vous avoir réussi dans cette mission au niveau familial, professionnel et social? 
Oui, cet amour parental me protège et m’oblige. Les parents décèdent un jour, mais on ne les «perd pas». Ils sont notre boussole, à jamais. Leur amour définitif nous rassure, on peut alors accueillir les autres, être heureux de leur réussite, se nourrir de leur intelligence. J’évoque, dans un des textes, les jeux de l’enfance que l’on devrait interdire. Le jeu des chaises musicales, par exemple, qui consiste à bousculer les autres pour prendre une place. Avoir été aimé fait que l’on refuse de jouer à ce jeu idiot.

Votre mère, Laure Moghaizel, est votre muse éternelle. Dans quelle mesure une mère exemplaire, une épouse aimante et adorée, une grande militante qui a été derrière la modification de dix lois en faveur de la femme au Liban, dont la loi électorale et l’égalité successorale, est-elle plutôt un lourd fardeau?
Ces textes expriment un regard sur le monde et sur nos vies, et ce regard a été forgé par ma mère. «J’ai tout appris de toi sur les choses humaines, qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut être bleu», dit Aragon. Ma mère m’a appris qu’un ciel peut être bleu. Elle m’a appris aussi la puissance des mots. Pour m’expliquer des choses, elle me citait un vers ou une phrase tirée d’une œuvre littéraire. Avoir habité ou pas avec Le Petit Prince ne fait pas de vous la même personne. Vous n’aimez pas de la même façon, après avoir compris que c’est le temps accordé à votre rose qui la rend si importante. Des phrases rencontrées orientent, à notre insu, notre façon d’aimer, de sentir, de voir, de penser, même de marcher. Pour comprendre et expliquer, c’est vers la poésie que je me tourne souvent, cette parole sans bruit qui résume et clarifie. Ma mère m’a enseigné l’élégance dans le malheur, surtout dans le malheur.

En encourageant nos enfants à poursuivre leurs études et leur carrière à l’étranger (c’est le cas des vôtres, des miens, de la majorité des Libanais.es), sommes-nous du côté de la vie qui veut triompher des calamités subies ou de la mort définitive du pays?
Nous espérons tous que ce pays saura ramener ses enfants partis vivre à l’étranger. Nous espérons qu’ils n’auront plus à choisir entre deux souffrances: celle de rester dans un pays meurtri et celle de partir. Nos enfants et nos petits-enfants. Pour le moment, et comme beaucoup d’autres, je suis une grand-mère «virtuelle», à distance. J’attends, chaque jour, une vidéo ou un appel de l’étranger, ma dose d’oxygène. Comme beaucoup d’autres, la plus belle partie de ma vie se déroule loin de moi, sur un autre continent.
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