On a beau chercher, le phénomène qui décrit le mieux la situation aujourd’hui dans le pays c’est le chaos. Il fallait donc bien qu’on y consacre un jour un petit laïus. C’était inévitable. Pour être précis, le chaos se définit, selon les dictionnaires, par ‘confusion générale, désordre grave, ensemble sens dessus dessous’. Le bordel quoi, mais en termes plus civilisés.
Le chaos est dans tous les domaines. Mais si l’on s’en tient aux manifestations économiques, ses illustrations sont claires déjà maintenant, et elles gagnent tous les jours en acuité. Elles portent des titres tels que: administrations, taxation, électricité, décharges, affaires bancaires, eau, internet, inflation, dollarisation, finances de l’État, application des lois, enseignement public, CNSS… et plein d’autres ingrédients de la sauce âcre avec laquelle on est en train d’être avalés.
Les ministres tiennent généralement à ajouter une couche à ce chaos, pour en faire un vrai bordel. Alors que les donateurs internationaux tentent de sauver ce qui peut l’être, en se tapant la tête contre le mur.
Ceci dit, chaos ou pas, l’économie ne s’arrête pas, ne s’arrête jamais tant qu’il y a des gens qui consomment et/ou qui produisent. À partir de là, on arrive à notre concept de base, illustré dans le titre: l’économie du chaos.
Et ce n’est pas une invention qu’on vient de découvrir. Le concept du chaos existe, il est même théorisé et étudié par de grosses pointures nobélisées dans différents domaines, y compris l’économie.
Généralement, pour ces savants, le chaos existe quand on est face à des fluctuations apparemment aléatoires, non périodiques, donc impossibles à prévoir. Les paramètres fluctuent d’une façon erratique dans un sens ou dans l’autre, sans personne aux commandes pour réguler, ou même pour prévoir, la prochaine fluctuation.
Si on veut faire une comparaison, prenons la météo. Même les méga-ordinateurs qui sont utilisés maintenant pour prévoir le temps ne peuvent aller au-delà d’une semaine, et encore, avec une marge d’erreur importante, car trop d’éléments sont incontrôlables.
Le chaos a donc ceci de particulier qu’il rend extrêmement difficile de prévoir l’avenir. Cela au moment où, justement, la question la plus fréquente que tout le monde renvoie à tout le monde est: qu’est ce qui va arriver (pour le dollar, l’argent à la banque, l’inflation, le pays…)? Le gros souci est l’avenir, alors que c’est là où réside la difficulté.
Ce qui complique surtout la tâche des prévisionnistes ce sont deux phénomènes que les théoriciens du chaos ont largement développés. Le premier est que déjà les données de départ sont inconnues: on ignore le décompte de la population résidente, combien ont déjà quitté (et puis combien veulent encore émigrer, et combien finiront par revenir), puis le revenu moyen (en dollars et en LL), les montants mis à l’abri dans les maisons ou à l’étranger, les vrais chiffres du commerce (y compris la contrebande)... En réalité, si l’on veut avoir le degré de précision nécessaire pour bâtir des scénarios, on ne sait presque rien sur presque tout.
Les organismes internationaux sont d’ailleurs perplexes. Les rapports sortis au cours des mois passés illustrent ce chaos. Pressés de devoir prévoir l’avenir, ces organismes donnent souvent deux ou trois scénarios qu’on peut illustrer par le célèbre film: The Good, the Bad, and the Ugly, selon qu’on applique les réformes entièrement, partiellement, ou pas du tout.
Ainsi, la valeur du dollar en 2026 atteindra, selon ces scénarios de ‘prévisions’, un chiffre quelque part entre 50.000 LL et 1,5 million! Concernant le temps nécessaire pour revenir à la situation ante-2019, il nous faut, selon quel scénario est applicable, entre 5 et 19 ans! Pourquoi ces différences? Parce que, dans notre situation de chaos où les fluctuations futures sont déjà aléatoires, même le point de départ, à partir duquel on veut bâtir la formule de prévision, est mal connu.
Et si ces deux ingrédients sont tellement flous, c’est parce qu’aucune feuille de route n’est suivie, aucune étude statistique n’est actualisée, aucune initiative n’est prise ou prévue. Parce que le pays n’est pas gouverné du tout.
Le deuxième phénomène c’est cette idée connue sous le nom de ‘butterfly effect’. Le concept, tel qu’il est parfois présenté, est qu’un battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait, par vagues successives, provoquer une tornade aux États-Unis. ‘’C’est idiot,’’ commente le mathématicien et grand théoricien du chaos Edward Norton Lorenz. Car il faut dans ce cas étudier les battements d’ailes de tous les papillons du monde, ainsi que les effets des autres animaux et humains.
D’après lui, le sens qui est visé par cette métaphore du papillon est que parfois il suffit d’une petite impulsion pour qu’un grand phénomène se produise. C’est un peu cette dernière goutte qui fait tomber le barrage, ou ce dernier flocon de neige qui provoque l’avalanche… ou une petite taxe pour enflammer une population (en 2019).
Pour revenir donc à notre idée de base, celle de prévoir l’avenir, ce n’est pas uniquement qu’on ignore avec un minimum de précision les données de départ, mais on ne sait pas non plus à quel moment un battement d’ailes, un petit facteur, peut provoquer quel phénomène. Un phénomène qui se situe quelque part entre ‘’le grand effondrement’’, comme titrent parfois les journaux (sans nécessairement savoir de quoi ils parlent), et ‘’le pays pourra se rétablir beaucoup plus vite qu’on ne le croit,’’ comme le pensent les milieux économiques du privé.
Autrement dit, ceux qui cherchent à deviner ou déceler un peu l’avenir, c’est-à-dire presque tout le monde dans ce pays d’angoissés, auront des prévisions aussi précises que le bulletin météo du journal télévisé.
Cela ne veut pas dire que le déterminisme est de mise, qu’on devra attendre passivement pour voir quelle foudre va tomber sur nous. Le battement d’ailes fonctionne toujours. Donc des actions positives, individuelles ou collectives, peuvent faire la différence, en attendant ce dernier papillon qui indiquera par un battement d’ailes le bout du tunnel.
En résumé, face à ce flou, on est acculé à être bêtement optimistes ou bêtement pessimistes. Mais il vaut toujours mieux être optimiste et se tromper que pessimiste et avoir raison.
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