L’interdiction de voyager imposée mardi par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, au gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, convoqué également jeudi par la juge, se distingue surtout par son timing. Elle intervient dans un contexte de crise exacerbée et d’une tension palpable dans la rue. Les mouvements de protestation dirigés à la base contre le gouvernement, en raison du laxisme officiel face à une dépréciation incontrôlable de la monnaie nationale et une aggravation conséquente de la crise socio-économique, se sont en effet subitement réorientés vers le secteur bancaire. En témoignent les violences qui ont éclaté en début de soirée mercredi devant la Banque du Liban, à Hamra où des manifestants ont essayé d’entrer par la force dans le bâtiment et d’incendier des bureaux, après avoir bloqué la route et brûlé des pneus, en scandant des slogans contre le pouvoir. Une autre manifestation est prévue jeudi à 11h à Tabaris, dans le secteur d’Achrafieh, devant l’ambassade de Suisse. Les protestataires veulent que les autorités suisses poursuivent en justice le président de l’Association des banques, Sélim Sfeir, qu’ils accusent notamment d’avoir « essayé de tuer des manifestants et pillé l’argent des déposants ». Toujours jeudi, les syndicats des transports routiers envisagent de bloquer tout le pays dans le cadre d’une « journée de la colère » qui risque d’être émaillée d’actes de violence, conformément à des informations de sécurité qui ont poussé le ministère de l’Intérieur à ordonner la fermeture des écoles et des universités. Le Liban semble danser sur un volcan.
Au plan politique, la situation n’est pas meilleure si l’on tient compte de la reprise des escarmouches politiques à la faveur de l’échec de l’initiative de dialogue national lancée par le président de la République Michel Aoun et de l’escalade à laquelle le Hezbollah s’est livré dans la guerre qu’il déclare à l’Arabie saoudite, en parrainant, à partir de Beyrouth, la création d’un front d’opposants anti-arabes dirigé contre les monarchies du Golfe et plus particulièrement l’Arabie saoudite.
De là à établir un lien entre ce tableau explosif et la procédure judiciaire relancée contre le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, et les banques où « une descente » judiciaire a été effectuée mardi, il n’y a qu’un pas que nombreux n’ont pas hésité à franchir.
Le Premier ministre, Nagib Mikati, semble être la principale personne visée politiquement par cette démarche dont l’initiateur serait le Courant patriotique libre (CPL) - fondé par le président Michel Aoun et dirigé par son gendre, Gebran Bassil -, estime-t-on de sources concordantes. De même sources, on indique que la nouvelle action judiciaire contre le gouverneur de la BDL est destinée à importuner le chef du gouvernement, afin de lui plier le bras et de l’amener à convoquer le gouvernement, comme l’a indiqué une source proche du Grand Sérail à Ici Beyrouth. Cet obstacle serait donc utilisé par le CPL comme un moyen de pression politique contre le Premier ministre qui, lassé par ces manœuvres, s’apprêterait à démissionner, à croire des rumeurs qui ont circulé dans la journée. Un scénario qui a été cependant vite écarté par la source précitée.
Le chef du CPL, Gebran Bassil, a ouvertement reproché au Premier ministre de ne pas convoquer le gouvernement, (bloqué depuis octobre par le tandem chiite Amal-Hezbollah qui exerce des pressions sur l’Exécutif pour qu’il écarte le juge d’instruction, Tarek Bitar, du dossier de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth) mercredi à la fin de son entretien avec le président de la République Michel Aoun sur la conférence de dialogue. Il l’avait accusé, au même titre que le Hezbollah et le mouvement Amal, de ne pas « assumer ses obligations ».
L’intérêt que porte M. Bassil à la reprise des réunions du Conseil des ministres est loin d’être anodin, car le chef du CPL miserait sur un retour du gouvernement à ses activités normales pour essayer d’obtenir que « Riad Salamé soit écarté et qu’un autre gouverneur proche du CPL le remplace à la tête de la Banque centrale, avant la fin du mandat du président Aoun ʺ, dans le cadre d’un projet de nominations et de permutations administratives, confie une source informée à Ici Beyrouth.
D’un point de vue légal, remplacer Riad Salamé n’est pas une affaire simple et ne peut pas se faire sur base de la seule volonté du parti orange ou de n’importe qui d’autre, surtout que les lois libanaises prévoient d’une manière très précise les cas qui justifieraient le limogeage d’un gouverneur de la BDL.
Normalement et au besoin, la loi prévoit qu’en cas de limogeage, le premier vice-gouverneur (aujourd’hui proche du président de la Chambre, Nabih Berry) remplisse les fonctions du gouverneur, en attendant la nomination d’un remplaçant, mais cette option ne concorde pas avec les intérêts du parti aouniste. Gebran Bassil essaie depuis des mois de "plaider pour qu’un mandataire judiciaire provisoire soit désigné, le temps de nommer un nouveau gouverneur" de la Banque centrale, indique une source informée proche de la BDL.
Quoi qu’il en soit, un éventuel limogeage de Riad Salamé est hors de question pour le Premier ministre, qui refuse de discréditer ce dernier en pleine crise politique et économique. Il l’a clairement réaffirmé mercredi en mettant en garde contre toute atteinte aux secteurs financiers et économiques « qui tiennent encore debout dans le pays », en allusion à la procédure judiciaire relancée par la juge Ghada Aoun, proche du courant aouniste, contre le gouverneur. Il y a quelques semaines, M. Mikati qui était interrogé sur le même sujet dans le cadre d’une interview télévisée avait répondu : "En temps de guerre, on ne change pas d’officiers », pour expliquer que cette option n’était pas envisageable.
Des réactions financières
D’aucuns estiment que la cabale politique contre Riad Salamé va au-delà de sa personne. Le secteur bancaire est touché dans son intégralité à travers une procédure judiciaire engagée contre plusieurs banques tenues, seules, pour responsables de l’effondrement financier du pays, alors que la gestion financière désastreuse des affaires publiques, menée par la même classe politique depuis des années, est totalement occultée au niveau judiciaire.
Le procureur adjoint près de la Cour de cassation, Jean Tannous, se serait rendu aux sièges de six banques mardi afin de saisir des données relatives à des personnalités politiques précises et des responsables financiers, dans le cadre de ses investigations liées à des affaires présumées de blanchiment d’argent et de transfert de gros montants à l’étranger. Les banques ʺ perquisitionnées ˮ auraient refusé de délivrer ce genre d’informations, conformément au principe du secret bancaire, d’après des informations fournies par la source proche de la BDL.
Or la levée du secret bancaire au Liban se fait uniquement à travers la Commission spéciale d’investigation (CSI), qui a pour mission de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement terroriste, et non pas par le biais des banques. Cette autorité est légalement mandatée pour permettre aux établissements bancaires de lever le secret de comptes sous investigation judiciaire, à la condition de fournir un mandat émis par un juge à cet effet, précise une source proche du secteur bancaire à Ici Beyrouth.
C’est suite à l’échec de cette opération qu’une campagne de diabolisation du secteur bancaire et financier a été lancée sur les réseaux sociaux, selon la même source qui dénonce « une finalité populiste et électorale » et affirme redouter que cette situation ne dure encore quelques mois. ʺ C’est décidément sexy d’attaquer les institutions financières et de brandir des slogans nuisant à notre réputation ˮ, poursuit-on de même source, en faisant notamment allusion à l’allocution de Gebran Bassil mercredi, dans laquelle ce dernier a dénoncé ʺla mainmise sur l’argent des déposants par le biais de circulaires ˮ émises par la Banque centrale, en occultant le fait qu’en l’absence d’une intervention du gouvernement pour freiner la dépréciation de la livre et lancer un plan de redressement, ces circulaires tendent à limiter la flambée du dollar. Et d’ajouter ʺ ce jeu (politique) est très dangereux pour notre secteur car il compromet l’activité des banques avec leurs interlocuteurs étrangers. Il est aussi nocif puisqu’il se fait en-dehors du cadre régi par la loi ˮ.
Il n’en reste pas moins que la saga de Riad Salamé et des banques avec la justice est loin d’être terminée. La convocation du gouverneur de la Banque du Liban jeudi matin par la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, dans le cadre du mandat émis contre lui, ʺsera contrée par une intervention des avocats de ce dernier qui vont demander la levée de l’interdiction de voyager » imposée à leur client. Ce sont eux qui se rendront auprès de la juge jeudi et pas Riad Salamé, confie la source précitée.
Au plan politique, la situation n’est pas meilleure si l’on tient compte de la reprise des escarmouches politiques à la faveur de l’échec de l’initiative de dialogue national lancée par le président de la République Michel Aoun et de l’escalade à laquelle le Hezbollah s’est livré dans la guerre qu’il déclare à l’Arabie saoudite, en parrainant, à partir de Beyrouth, la création d’un front d’opposants anti-arabes dirigé contre les monarchies du Golfe et plus particulièrement l’Arabie saoudite.
De là à établir un lien entre ce tableau explosif et la procédure judiciaire relancée contre le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, et les banques où « une descente » judiciaire a été effectuée mardi, il n’y a qu’un pas que nombreux n’ont pas hésité à franchir.
Le Premier ministre, Nagib Mikati, semble être la principale personne visée politiquement par cette démarche dont l’initiateur serait le Courant patriotique libre (CPL) - fondé par le président Michel Aoun et dirigé par son gendre, Gebran Bassil -, estime-t-on de sources concordantes. De même sources, on indique que la nouvelle action judiciaire contre le gouverneur de la BDL est destinée à importuner le chef du gouvernement, afin de lui plier le bras et de l’amener à convoquer le gouvernement, comme l’a indiqué une source proche du Grand Sérail à Ici Beyrouth. Cet obstacle serait donc utilisé par le CPL comme un moyen de pression politique contre le Premier ministre qui, lassé par ces manœuvres, s’apprêterait à démissionner, à croire des rumeurs qui ont circulé dans la journée. Un scénario qui a été cependant vite écarté par la source précitée.
Le chef du CPL, Gebran Bassil, a ouvertement reproché au Premier ministre de ne pas convoquer le gouvernement, (bloqué depuis octobre par le tandem chiite Amal-Hezbollah qui exerce des pressions sur l’Exécutif pour qu’il écarte le juge d’instruction, Tarek Bitar, du dossier de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth) mercredi à la fin de son entretien avec le président de la République Michel Aoun sur la conférence de dialogue. Il l’avait accusé, au même titre que le Hezbollah et le mouvement Amal, de ne pas « assumer ses obligations ».
L’intérêt que porte M. Bassil à la reprise des réunions du Conseil des ministres est loin d’être anodin, car le chef du CPL miserait sur un retour du gouvernement à ses activités normales pour essayer d’obtenir que « Riad Salamé soit écarté et qu’un autre gouverneur proche du CPL le remplace à la tête de la Banque centrale, avant la fin du mandat du président Aoun ʺ, dans le cadre d’un projet de nominations et de permutations administratives, confie une source informée à Ici Beyrouth.
D’un point de vue légal, remplacer Riad Salamé n’est pas une affaire simple et ne peut pas se faire sur base de la seule volonté du parti orange ou de n’importe qui d’autre, surtout que les lois libanaises prévoient d’une manière très précise les cas qui justifieraient le limogeage d’un gouverneur de la BDL.
Normalement et au besoin, la loi prévoit qu’en cas de limogeage, le premier vice-gouverneur (aujourd’hui proche du président de la Chambre, Nabih Berry) remplisse les fonctions du gouverneur, en attendant la nomination d’un remplaçant, mais cette option ne concorde pas avec les intérêts du parti aouniste. Gebran Bassil essaie depuis des mois de "plaider pour qu’un mandataire judiciaire provisoire soit désigné, le temps de nommer un nouveau gouverneur" de la Banque centrale, indique une source informée proche de la BDL.
Quoi qu’il en soit, un éventuel limogeage de Riad Salamé est hors de question pour le Premier ministre, qui refuse de discréditer ce dernier en pleine crise politique et économique. Il l’a clairement réaffirmé mercredi en mettant en garde contre toute atteinte aux secteurs financiers et économiques « qui tiennent encore debout dans le pays », en allusion à la procédure judiciaire relancée par la juge Ghada Aoun, proche du courant aouniste, contre le gouverneur. Il y a quelques semaines, M. Mikati qui était interrogé sur le même sujet dans le cadre d’une interview télévisée avait répondu : "En temps de guerre, on ne change pas d’officiers », pour expliquer que cette option n’était pas envisageable.
Des réactions financières
D’aucuns estiment que la cabale politique contre Riad Salamé va au-delà de sa personne. Le secteur bancaire est touché dans son intégralité à travers une procédure judiciaire engagée contre plusieurs banques tenues, seules, pour responsables de l’effondrement financier du pays, alors que la gestion financière désastreuse des affaires publiques, menée par la même classe politique depuis des années, est totalement occultée au niveau judiciaire.
Le procureur adjoint près de la Cour de cassation, Jean Tannous, se serait rendu aux sièges de six banques mardi afin de saisir des données relatives à des personnalités politiques précises et des responsables financiers, dans le cadre de ses investigations liées à des affaires présumées de blanchiment d’argent et de transfert de gros montants à l’étranger. Les banques ʺ perquisitionnées ˮ auraient refusé de délivrer ce genre d’informations, conformément au principe du secret bancaire, d’après des informations fournies par la source proche de la BDL.
Or la levée du secret bancaire au Liban se fait uniquement à travers la Commission spéciale d’investigation (CSI), qui a pour mission de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement terroriste, et non pas par le biais des banques. Cette autorité est légalement mandatée pour permettre aux établissements bancaires de lever le secret de comptes sous investigation judiciaire, à la condition de fournir un mandat émis par un juge à cet effet, précise une source proche du secteur bancaire à Ici Beyrouth.
C’est suite à l’échec de cette opération qu’une campagne de diabolisation du secteur bancaire et financier a été lancée sur les réseaux sociaux, selon la même source qui dénonce « une finalité populiste et électorale » et affirme redouter que cette situation ne dure encore quelques mois. ʺ C’est décidément sexy d’attaquer les institutions financières et de brandir des slogans nuisant à notre réputation ˮ, poursuit-on de même source, en faisant notamment allusion à l’allocution de Gebran Bassil mercredi, dans laquelle ce dernier a dénoncé ʺla mainmise sur l’argent des déposants par le biais de circulaires ˮ émises par la Banque centrale, en occultant le fait qu’en l’absence d’une intervention du gouvernement pour freiner la dépréciation de la livre et lancer un plan de redressement, ces circulaires tendent à limiter la flambée du dollar. Et d’ajouter ʺ ce jeu (politique) est très dangereux pour notre secteur car il compromet l’activité des banques avec leurs interlocuteurs étrangers. Il est aussi nocif puisqu’il se fait en-dehors du cadre régi par la loi ˮ.
Il n’en reste pas moins que la saga de Riad Salamé et des banques avec la justice est loin d’être terminée. La convocation du gouverneur de la Banque du Liban jeudi matin par la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, dans le cadre du mandat émis contre lui, ʺsera contrée par une intervention des avocats de ce dernier qui vont demander la levée de l’interdiction de voyager » imposée à leur client. Ce sont eux qui se rendront auprès de la juge jeudi et pas Riad Salamé, confie la source précitée.
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