La querelle politique autour de la projection du film Barbie, dont la sortie en salle est prévue lundi, se corse. Elle oppose deux groupes de Libanais. Un groupe, représenté par le Hezbollah, dont le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, est proche, qui veut imposer aux Libanais ses choix culturels, et un autre, représenté par les forces de l’opposition, déterminé à défendre bec et ongles les libertés publiques.
La polémique, qui s’est envenimée durant le week-end, notamment entre le député Mark Daou (indépendant) et M. Mortada, et les échanges acerbes qui l’ont ponctuée ont mis en relief les divergences profondes autour des valeurs prônées et défendues par les uns et par les autres. Ce que le député Nadim Gemayel (Kataëb) a d'ailleurs souligné lorsqu’il a relevé sur X que le Hezbollah n’a aucun problème à montrer à des enfants des films sur des meurtres, mais s’indigne de films qui abordent des thèmes en rapport avec l’homosexualité.
La confrontation s’est étendue tout au long du week-end entre Mohamad Mortada et Mark Daou qui s’est déchaîné avec une violence particulière sur X contre le ministre. Pour lui, M. Mortada est «une honte pour la culture et la magistrature». Ce dernier a réagi au quart de tour, répondant, à travers son bureau de presse, par des termes qu’il a voulus insultants à l’égard du député. Il s’est surtout offusqué d’une proposition de loi datant de juillet et présentée par un groupe de parlementaires, dont M. Daou, pour un amendement des lois pénalisant l’homosexualité.
Dans une déclaration faite samedi pour attaquer ses détracteurs, M. Mortada avait fait allusion à ce texte signé par neuf députés (Najat Aoun, Mark Daou, Paula Yacoubian, Cynthia Zarazir, Adib Abdel Massih, Georges Okais, Elias Hankache, Nada Boustany et Camille Chamoun) en date du 12 juillet 2023. Celui-ci vise à abolir l’article 534 du Code pénal libanais qui sanctionne les «relations sexuelles contre-nature» d’une peine d’emprisonnement d’un an. Et bien que non définis dans la loi, en pratique, les rapports homosexuels tombent sous le coup de cette loi. Cet article permet aussi aux forces de l’ordre de procéder à des examens anaux, une fois les «suspects» en détention.
Pour contrecarrer cette proposition de loi, le ministre Mortada a fait allusion aux articles 9 et 10 de la Constitution qui appellent, selon son interprétation strictement personnelle des textes, «au respect des enseignements religieux et qui condamnant la déviance sexuelle». Il s’est par ailleurs longuement étendu sur des textes religieux chrétiens pour essayer de montrer que l’homosexualité est aussi condamnée par la religion chrétienne. Une argumentation également attaquée par Mark Daou.
S’agissant des articles 9 et 10 de la Constitution, «M. Mortada a fait référence à notre proposition de loi dans sa demande de bannir le film Barbie. Il a parlé des articles 9 et 10 pour imposer sa propre perspective religieuse», a souligné Mark Daou à Ici Beyrouth.
Pour rappel, l’article 9 stipule que, «en rendant hommage au Très-Haut, l’État respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public». Quant à l’article 10, il dispose que «l’enseignement est libre tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et qu’il ne touche pas la dignité des confessions».
M. Mortada a appelé les députés à retirer leur projet de loi en déclarant qu’il n’était «pas approprié de chercher à élaborer des lois qui détruisent nos valeurs et sapent nos systèmes moraux et de foi», selon les mots du ministre. Dans la même déclaration, il a associé le film Barbie à cette proposition de loi. «Nous répétons ce que nous avons dit à propos du film Barbie qui fait la promotion de la déviance sexuelle et nous considérons que cela s’applique aussi à cette proposition de loi», a-t-il dit.
«Une croisade»
Il faut dire qu’aucune critique du film ne mentionne qu’il promeut l’homosexualité. M. Mortada aurait peut-être dû demander de le bannir parce qu’il encourage l’autonomisation des femmes, plutôt.
Le député a aussi déclaré à Ici Beyrouth que le ministre sortant de la Culture «se lance dans une croisade contre ceux qui pensent différemment de lui. Il veut leur imposer sa propre vision des choses». Il avait d’ailleurs évoqué cela sur son compte X en utilisant des propos cinglants. «Cette personne ne mérite que le mépris pour ses atteintes à la Constitution, ses prétentions morales, son raisonnement théocratique et son discours diffamatoire», a-t-il écrit.
M. Daou a en outre accusé le ministre, toujours sur X, «d’avoir peur du film Barbie et de certaines couleurs» en allusion au rose de Barbie. Il a contre-attaqué en faisant référence aux articles 7 et 8 de la Constitution. L’article 7 confirme l’égalité des Libanais devant la loi et l’article 8 garantit et protège la liberté individuelle.
Le parlementaire a aussi critiqué le choix du ministre Mortada de citer l’épitre de Saint-Paul aux Romains. «Si vous essayez de citer sélectivement Saint-Paul, je vous suggère de faire des recherches approfondies, après avoir terminé vos recherches sur Barbie, afin de comprendre la position de l’Église, y compris celle du Pape François qui a clairement déclaré que l’homosexualité n’est pas un crime».
En résumé, le ministre de la Culture voudrait imposer sa culture au Liban et aux Libanais dont une grande partie ne va pas se laisser faire. «Si la projection du film Barbie est interdite dans les cinémas, nous le présenterons dans les espaces publics du Liban. Qu'ils essaient de nous en empêcher», a ainsi lancé Nadim Gemayel sur son compte X.
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