«L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes» prévient Umberto Eco. Le wokisme déferlant déstabilise nos référents culturels traditionnels. Il empêche de pouvoir discerner le fascisme de toujours derrière le puritanisme des campagnes virulentes contre le film Barbie et contre l’homosexualité masculine. L’homosexuel continue, dans les sociétés puritaines, d’être réduit à l’image de la Grande Zaza de la «La cage aux folles». C’est apparemment le cas du Liban.
L’affaire est donc entendue. Barbie et Zaza font trembler de peur les valeureux guerriers du Hezbollah ainsi que tous ceux, musulmans et chrétiens, qui barbotent dans les eaux des mouvements populistes. Le dépôt, par le député Mark Daou, d’un projet d’amendement de l’article 534 du Code pénal, a ressuscité l’obscurantisme de tous les inquisiteurs et censeurs moraux. Une campagne d’homophobie est menée. Tout le monde s’empresse de sonner l’hallali contre l’homosexuel, «le baudet, le pelé, le galeux» dont vient tout le mal qui mine les «valeurs traditionnelles» d’une société libanaise qui se suicide.
Le puritanisme qui déferle n’est pas uniquement d’ordre moral. Il est également politique. Il reflète la tentation totalitaire qui se met en place. Du côté musulman, il s’enracine dans la loi coranique et dans l’utopie eschatologique du Hezbollah. Du côté chrétien, il se nourrit de la rigueur traditionnelle de la morale chrétienne; mais aussi du populisme ambiant qui déconstruit les fondements du Liban. Une aile de ce courant prend actuellement les allures d’une idéologie nationaliste identitaire, savamment et patiemment construite par des intellectuels, dont les diplômes leur permettent de dissimuler la haine de toute altérité qui les anime. Leur discours, où s’amalgament tous les sophismes, rappelle celui des anthropologues racistes européens du XIXème siècle.
Parlant du fascisme italien du siècle dernier, Umberto Eco identifie quatorze critères permanents du fascisme de toujours. Trois d’entre eux se retrouvent dans tous les modèles totalitaires, y compris le nazisme. Ce sont : l’Homophobie, le Machisme, ainsi que le Racisme tapi au fond de toute xénophobie.
Vouloir amender l’article 534 du Code pénal constitue, précisément, un équivalent au film Barbie. Cet article criminalise tout rapport sexuel «non conforme à la nature». On ne décrit pas quels sont les rapports précis conformes à ladite nature.
Sultan Soliman le Magnifique (Halit Ergenç) et Ibrahim Pacha (Okan Yalabık) dans la série turque Muhteşem Yüzyıl
Les puritains oublient, aujourd’hui, les exemples innombrables, où le choix sexuel de l’individu n’entrave pas l’expression des vertus viriles en lui. A Sparte, les amours masculines étaient favorisées au sein des troupes de choc de la cité guerrière. A Thèbes, la Phalange était uniquement composée de couples d’amants. On citera le cas d’Alexandre le Grand et d’Héphaïstos ; ou bien celui du Grand Achille et de Patrocle. Suétone nous apprend que Jules César était «l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes». Michel Ange, tout en peignant le plafond de la Chapelle Sixtine, composait des poèmes torrides à Tommaso Cavalieri, son grand amour. On rapporte la passion de Soliman le Magnifique à l’égard d’Ibrahim Pacha, un prisonnier grec entré au Palais comme «esclave de la chambre». On soupçonne l’autre grand amour de Soliman, Roxelane ou Hürrem Sultane, d’avoir ourdi son assassinat. Soliman avait comblé Ibrahim en le nommant Grand Vizir et en lui confiant la conquête de l’Égypte.
Au Japon, au sein de la caste militaire des Samouraï, l’institution de l’amour des éphèbes, le Wakashudô, avait le rang d’une voie au même titre que l’arc et le sabre.
Toute la littérature persane et sa poésie courtoise sont traversées par des tonalités homo-érotiques. Pour dire le bien-aimé, le ghazal persan emprunte à l’arabe les termes de maʿšuq, maḥbub, et ḥabib, tous du genre masculin. Le Dîvân-e Shams-e Tabrîzî de Rumi est une vaste anthologie de poésie soufie en 23 volumes, dont le dernier chante l’émoi de l’amour unissant platoniquement Rumi et son maître spirituel Shams. Toute l’expérience mystique, dans toutes les cultures, est un ravissement de tout l’être de l’homme, chair et esprit. Les transes de Catherine de Sienne, de Thérèse d’Avilla ou de Hindiyyé de Bkerké illustrent le fait que "l'orgasme est à l'humain ce qu'est l'extase au divin". Les mystiques persans n’échappent pas à cette dimension. L’homoérotisme de leurs odes fait écho à la sentence du fondateur du judaïsme hassidique, Rabbi Israël Baal Shem Tov (1698-1760): «La prière est un coït avec la présence divine».
Derviche tourneur disciple de la confrérie soufie Mawlawiyya fondée par Rûmi
Tous les exemples cités ne disent pas que l’homosexualité, au sens moderne, était acceptée comme de nos jours. Ils ne légitiment pas, non plus, le prosélytisme LGBTQ+. Ils ne ressemblent en rien au «wokisme» actuel dont le rejet est parfaitement légitime. Cette idéologie imbécile dilue l’être humain dans une essence floue de masculinité ou de féminité à laquelle il choisit d’adhérer à sa guise. Le rejet sans discernement du wokisme peut, inconsciemment, ramener la triade : Machisme ; Homophobie ; Racisme. Ces trois termes sont indissociables. Ils expriment ensemble la condition de l’altérité, dans les sociétés traditionnelles patriarcales. C’est la femelle qui incarne, à son corps défendant, cette altérité tant méprisée par la société des mâles dominants. La femme en burqa, l’insignifiante Barbie, Zaza la folle, sont les victimes expiatoires d’une pensée machiste et totalisante.
Les critères d’Umberto Eco affirment : «[…] l’Ur-fascisme cherche le consensus en exploitant la peur de la différence. Il est donc raciste par nature […] Il transfère sa volonté de guerre permanente et d’héroïsme viril sur des questions sexuelles, d’où le machisme méprisant les femmes et l’homosexualité».
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