Lors de la conférence annuelle de l’«Institute for Counter-Terrorism Policy» de l’université Reichmann, lundi, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a montré les images d’un «aéroport» construit au Sud-Liban, près de Birket Jabbour et Jezzine, à 20 km de Metulla, une ville frontalière au nord d’Israël. Selon le ministre, le drapeau iranien flotterait sur les pistes d’atterrissage de cette infrastructure aérienne, preuve pour lui qu’il s’agirait bien d’une «base iranienne de la terreur» utilisée pour mener des «actions hostiles contre Israël».
À la suite de ces révélations, Yoav Gallant a mis en garde le Hezbollah contre toute opération hostile, en affirmant que «le Liban en paiera le prix».
Des images satellitaires prises par l’entreprise américaine Planet Labs PBC, fin juillet, montrent une piste en construction, d’une longueur de 1,2 km, longée de hangars. Des images du même endroit prises en janvier affichent une piste encore non pavée, révélant ainsi que des travaux ont bien été menés.
Si le ministre israélien estime que cette piste peut accueillir des appareils de taille moyenne, une source anonyme abondamment citée par les médias israéliens ainsi que par l’agence Reuters affirme qu’elle pourrait servir de base de décollage à des drones de grande envergure. Selon cette même source, la direction prise par cette piste laisse à penser qu’elle serait principalement utilisée pour des opérations extérieures.
Jusqu’à présent, ni le Hezbollah, ni les responsables iraniens n’ont commenté ces révélations.
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Une «guerre psychologique» menée par le Hezbollah
En l’absence d’une enquête menée par les autorités libanaises, plusieurs questions demeurent en suspens: quand cette base aérienne a-t-elle réellement été construite, et quelle est son utilité stratégique?
Selon des sources sécuritaires interrogées par Ici Beyrouth, la base aérienne serait en réalité un terrain d’entraînement utilisé par les soldats du Hezbollah depuis la libération du Sud-Liban en 2000. Au départ doté d’une infrastructure basique, ce terrain aurait été graduellement agrandi, jusqu’à l’extension récente de la piste. Il ne s’agirait donc pas d’une construction récente, une hypothèse renforcée par le fait que le ministre israélien de la Défense n’a pas spécifié la date à laquelle ont été prises les photographies présentées publiquement.
Selon Khalil Helou, général de l’armée libanaise à la retraite, la piste photographiée par l’armée israélienne servirait au décollage et à l’atterrissage de drones de reconnaissance ainsi que de drones porteurs de missiles. La révélation de l’existence de cette piste coïncide avec l’annonce faite par le président iranien Ibrahim Raissi, quinze jours plus tôt, au sujet de la fabrication du nouveau drone iranien «Mohajir», capable de porter des missiles sur une portée de 2.000 km.
L'Iran a considérablement développé sa technologie de drones, avec notamment les modèles "Shahid" et "Mohajir" (AFP)
Pour autant, l’intérêt stratégique de cette hypothétique base aérienne est des plus incertains. «Installer une piste à 20 kilomètres de la frontière n’a aucune logique militaire, car ces drones pourraient être lancés depuis une zone plus sûre et plus lointaine, au vu de la portée atteinte par les drones iraniens», estime Khalil Helou.
À plusieurs reprises, le Hezbollah a lancé des drones de reconnaissance vers Israël depuis la Syrie (notamment le Golan). En 2015, une piste aérienne appartenant au Hezbollah avait même été découverte dans le Hermel, bien loin de la frontière libano-israélienne.
«Il pourrait donc s’agir d’une tentative du Hezbollah de provoquer des tensions, comme il l’avait fait lorsqu’il avait dressé deux tentes au niveau de la Ligne bleue en juin», estime Khalil Helou, en s’appuyant notamment sur les photographies diffusées par les autorités israéliennes. La piste y apparaît très claire, de même que la signalisation et la plateforme d’atterrissage qui répond aux normes internationales en la matière. Pour lui, nul doute quant au fait que le Hezbollah n’a pas tenté de cacher cette base aérienne.
«Mesure suicidaire»
Barah Mikhail, directeur du programme des sciences politiques et relations Internationales au sein de l’Université Saint-Louis de Madrid, estime qu’il «faudrait être suicidaire pour vouloir installer un aérodrome à la frontière avec Israël, alors que l’armée israélienne bombarde systématiquement le moindre cargo de munitions iraniennes qu’elle identifie en Syrie», pays qui héberge de nombreuses plateformes de lancement de drones, contrôlées par le Hezbollah.
L’ouverture, fin août, du nouveau «Musée du Jihad» à Baalbeck s’inscrit dans le prolongement de cette même guerre psychologique, basée sur la promotion des capacités militaires du Hezbollah.
En effet, le parti-milice y expose des missiles sol-air de fabrication russe, révélant pour la première fois de son histoire qu’il est en possession d’armes anti-aériennes. Le but de cette stratégie est multiple: renforcer la crédibilité militaire du Hezbollah, provoquer une escalade des tensions à la frontière ou utiliser ces atouts stratégiques comme monnaies d’échange avec l’État hébreu.
Alors que l’escalade verbale se poursuit entre Israël et le Hezbollah, faisant craindre une reprise des hostilités, les autorités libanaises restent, comme toujours, aux abonnés absents. «Il faut que le pouvoir exécutif prenne des mesures pour détruire cet aéroport qui viole la résolution 1701 des Nations-Unies», affirme Khalil Helou, pour qui la défense de l’intégrité territoriale du Liban doit passer uniquement par l’armée libanaise.
Le Hezb, ennemi idéal pour rassembler une société israélienne divisée
Du côté israélien, la déclaration du ministre de la Défense arrive à un moment de grandes tensions politiques et de divisions au sein de l’appareil sécuritaire israélien. En cause: le projet de réforme du système judiciaire qui vise à affaiblir ses prérogatives vis-à-vis de la Knesset (Parlement israélien).
Face à une réforme perçue comme liberticide et menaçant le statut d’Israël de «seule démocratie du Moyen-Orient», une véritable fronde s’est organisée parmi les réservistes de l’armée israélienne.
Plusieurs dirigeants politiques et militaires, dont l’ancien Premier ministre Ehud Barak, l’ancien chef des Forces de défense israéliennes Dan Halutz, ou encore le président de la Cour suprême de justice, Aharon Barak, ont publiquement manifesté leur opposition à la réforme, créant un véritable schisme au sein de l’État hébreu. De nombreux militaires ont déclaré qu’ils refuseraient de servir si la réforme, actuellement étudiée par la Cour suprême, était avalisée.
Le ministre de la Défense israélien, Yoann Gallant (AFP)
«Nous devons montrer à nos ennemis que, lorsqu’Israël est menacé, sa population sait mobiliser toutes ses ressources et mettre ses différends de côtés», a affirmé le ministre de la Défense à la suite de ses révélations concernant la base aérienne. «Les luttes intestines qui opposent plusieurs factions au sein de l’Etat d’Israël se sont infiltrées au sein de Tsahal (armée israélienne) et l’affaiblissent d’une manière telle qu’elle ne peut le supporter» a-t-il ajouté.
En août dernier, le ministre israélien de la Coopération régionale, David Amsalem, avait adopté le même ton, accusant les réservistes opposés à la réforme d’être à l’origine d’une potentielle future défaite militaire: «Si 90 % de nos réservistes refusent de servir, alors Nasrallah saura comment profiter de la situation», avait-il dénoncé.
Alors que l’État hébreu n’a jamais été autant divisé, et que ses fractures internes se répercutent sur le sacro-saint appareil sécuritaire, la montée des tensions avec le Hezbollah constitue un précieux moyen pour le leadership israélien de mobiliser sa population autour d’un ennemi commun et de divertir son attention des controverses politiques.
Pour Barah Mikhail, il faut ainsi appliquer une lecture politique davantage que militaro-stratégique à cette question: «Si Israël estimait que cette installation pose un véritable risque stratégique, elle ne l’aurait pas laissée se développer, au vu de sa connaissance du terrain et des capacités de ses services de renseignement», affirme-t-il à Ici Beyrouth, ajoutant que «les autorités israéliennes ont besoin de reprendre la fuite en avant et d’utiliser la menace du Hezbollah pour mettre fin aux critiques internes.»
Ainsi, le timing de ces révélations semble avoir été étudié avec soin, alors que, selon toute vraisemblance, Israël était au courant de ces installations militaires depuis un certain temps déjà.
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