Le cours suivi par les démarches entreprises dans certaines capitales occidentales et arabes autour de la présidentielle et son lien avec le «dialogue» fait penser à l’éternelle, absurde, question de savoir si «la poule vient avant l’œuf ou l’œuf avant la poule»! Dans notre cas de figure spécifique, les tractations menées sous la conduite de l’émissaire présidentiel français Jean-Yves Le Drian butent, de la même façon, sur le fait de savoir si un dialogue national devrait être instauré avant la présidentielle ou, au contraire, être mené sous la houlette du nouveau chef de l’État…
Puisque nous sommes au Liban, le président de la Chambre Nabih Berry a poussé l’absurdité jusqu’à avancer une solution «à la libanaise», en d’autres termes boiteuse: un «dialogue» limité à sept jours, suivi de séances ouvertes pour «l’élection» du président. L’histoire ne dit pas quel serait l’ordre du jour de tels échanges en amont du scrutin: porterait-il sur le choix du futur président ou plutôt sur une feuille de route qui constituerait le programme d’action du nouveau régime?
Une telle approche est, convient-il de le relever, en déphasage total avec la réalité actuelle qui sévit au Liban… Et dans la région. Car une douloureuse évidence s’impose aux Libanais depuis de nombreuses années: toute perspective de dialogue sérieux, de sortie de crise, de solution et de redressement est bloquée par le comportement obstructionniste observé par une faction pour qui le pays du Cèdre n’est qu’une simple pièce maitresse dans le grand jeu régional auquel se livrent les dirigeants du nouvel empire perse. Le Liban, dans cette optique, est carrément pris en otage par les mollahs iraniens, par le biais du Hezbollah, pour soutenir et préserver les desseins géostratégiques de la République islamique iranienne.
Certains dirigeants occidentaux ont prôné à maintes reprises un dialogue avec le «parti de Dieu» ou, tout au moins, une politique d’ouverture envers la formation pro-iranienne. C’est vite oublier toutefois que ce chimérique dialogue a été entamé, en réalité, en 2006 et a été relancé, mais toujours en vain, à l’occasion des différentes conférences organisées par les présidents qui se sont succédé à Baabda depuis la Révolution du cèdre.
L’une de ces conférences – sans doute la principale – qui s’était tenue le 12 juin 2012, sous la présidence du général Michel Sleiman, avait débouché sur la fameuse Déclaration de Baabda dans laquelle toutes les factions s’engageaient, entre autres, à tenir le Liban à l’écart des conflits régionaux. Même le Hezbollah avait signé cet engagement. Il s’était toutefois rétracté par la suite et avait retiré sa signature quelques jours plus tard…
Dix-sept ans… Presque deux décennies qu’un «dialogue» est ainsi engagé avec la formation pro-iranienne. Et durant ces dix-sept années, non seulement aucun pas – ne fut-ce qu’un tout petit pas – n’a été franchi dans le sens d’un redressement, mais bien au contraire, ces longues années ont permis à la «tête de pont» des pasdaran de renforcer son emprise sur le pouvoir et les institutions étatiques et, surtout, de mettre en place patiemment sa diabolique stratégie de déconstruction de l’État, du système politique et des principaux secteurs vitaux du pays. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement lorsque la mission et le projet politique transnational du Hezbollah est de se placer au service des Gardiens de la révolution islamique, de façon inconditionnelle et absolue ?
Durant ces dix-sept années écoulées, toutes les conférences de «dialogue» ont été court-circuitées lorsque les grands problèmes de fond étaient mis sur la table, en l’occurrence la stratégie de défense, le sort de l’arsenal militaire illégal, les moyens de surmonter les multiples spoliations de la souveraineté de l’État… Ce qui nous est proposé aujourd’hui en amont de l’élection du président, c’est une feuille de route sans doute beaucoup plus modeste qui définirait les grandes bases de la ligne de conduite du prochain chef de l’État.
Une telle approche constituerait le seul moyen d’éviter un défaut de quorum, mais elle présenterait comme risque majeur d’avoir pour aboutissement de permettre au Hezbollah d’imposer son candidat, ou tout au moins de limiter d’office les possibilités d’action de l’heureux «élu», sous prétexte de garantir que la «résistance ne soit pas poignardée dans le dos»! Ce qui reviendrait à prolonger de six nouvelles années la situation de crise actuelle.
La quadrature du cercle? Peut-être pas si les pays du groupe des Cinq qui se sont saisis, fort heureusement, du dossier de la présidentielle mettent tout leur poids dans la balance pour trouver, dans une action multilatérale concertée, la formule magique (en politique, «impossible n’est pas français»!) qui permettrait de faciliter l’élection d’un président qui ne soit pas, d’entrée de jeu, totalement inféodé au poulain des mollahs de Téhéran. Il y va de la stabilité du Liban, de la région et par ricochet, peut-être même, d’une certaine façon, de l’Europe.
Les événements de Aïn el-Heloué et le nouveau flux de réfugiés syriens hautement suspects qui franchissent illégalement, par centaines, les frontières avec le Liban illustrent une volonté de l’axe iranien de s’agripper encore davantage à l’otage en or que représente pour lui le Liban. Pour libérer un otage, une action combinée multinationale, avec tous les moyens nécessaires, est un passage obligé, incontournable. Et dans le contexte présent, les possibilités de pressions efficaces contre Téhéran ne manquent sans doute pas.
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