Entre les États-Unis et l’Iran, une guerre d’usure

La guerre d’usure entre les États-Unis et l’Iran se poursuit parallèlement au conflit en cours entre Israël et le Hamas. Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’armée américaine a mené «des frappes aériennes d’autodéfense» à Deir Ezzor, dans l’est de la Syrie, contre des sites utilisés par les Gardiens de la révolution islamique et des groupes affiliés.
Jeudi, neuf personnes affiliées à des groupes soutenus par l’Iran ont péri des suites de frappes américaines contre une installation de stockage d’armes en Syrie. Il s’agit d’une «réponse (la seconde, après celle du 26 octobre dernier, NDLR) à une série d’attaques contre le personnel américain en Irak et en Syrie», comme l’a précisé le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, dans un communiqué. Il convient de souligner qu’entre le 7 octobre et le 7 novembre, ces attaques (menées par le biais de drones d’attaque à sens unique et de roquettes) se sont multipliées: 40 attaques à ce jour, dont 22  en Irak et 18 en Syrie. «(Les attaques) n’ont pas été couronnées de succès. Nos troupes n’ont pas été gravement blessées et nos infrastructures (…) n’ont pas été sérieusement endommagées», a évalué un porte-parole du Pentagone. Et de préciser: «Nous décidons de réagir de manière ponctuelle, à l’heure et au lieu de notre choix. Nous œuvrons de manière stratégique lorsque nous décidons d’entreprendre toute action.»
«Ces frappes de légitime défense contribuent à la crédibilité de la politique de dissuasion américaine qui a déployé des moyens énormes pour que Téhéran se tienne hors du conflit», explique à Ici Beyrouth l’ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, le général Dominique Trinquand. D’après lui, «la dissuasion ne porte ses fruits que si elle s’avère crédible, d’où la démarche américaine d’employer de tels moyens pour renforcer la crédibilité de ladite politique». En ciblant des stocks d’armes qui pourraient être utilisées contre Israël dans le cadre de la guerre actuelle, les États-Unis «adressent un avertissement clair aux Iraniens, sans pour autant frapper directement Téhéran, et donc sans provoquer d’escalade», estime le général Trinquand.
Dans son communiqué, M. Austin a, par ailleurs, adressé, un message clair aux dirigeants iraniens, les appelant à «ordonner aux groupes (pro-iraniens) d’arrêter d’attaquer (les forces américaines)». Or, selon l’ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, «les Iraniens ne se plieront pas forcément aux directives du chef du Pentagone, les ripostes ne les dissuaderont pas et les attaques contre les bases américaines se poursuivront en Irak et en Syrie». Pourquoi? Interrogé par Ici Beyrouth, le général à la retraite Khalil Hélou précise que les «Iraniens sont conscients de l’absence de volonté des Américains de s’immiscer dans une guerre au Moyen-Orient, pour la simple raison qu’ils sont préoccupés tant par la guerre en Ukraine que par l’expansion de la Chine dans le Pacifique». Partant de cette considération, «Téhéran se lance dans un test qui va crescendo avec les États-Unis», poursuit le général Hélou. On rappelle, dans ce contexte, que, depuis trois semaines, les activités des milices pro-iraniennes contre les bases américaines s’intensifient progressivement, ce qui permet aux Iraniens de «connaître le seuil de la tolérance de Washington qui se doit désormais de se détourner de ses objectifs stratégiques initiaux, en s’occupant d’attaques de ce genre», souligne le général à la retraite.

Stratégie américaine
«Les États-Unis ont la capacité de s’attaquer massivement à l’Iran», assure le général Hélou. Il suffit de revenir à l’an 1988, lorsqu’en pleine guerre entre l’Iran et l’Iraq, un destroyer américain a été endommagé par des mines semées par Téhéran sur des zones de passage dans le détroit d’Ormuz. L’US Navy a mené alors l’opération Praying Mantis (Mante religieuse), une bataille aéronavale qui a abouti à la destruction du tiers des effectifs de la marine iranienne, un souvenir qui, pour Téhéran, suggère aujourd’hui la prudence. Il n’en demeure pas moins que les États-Unis «s’abstiendront aujourd’hui de se lancer dans un tel jeu militaire, ne voulant pas subir une guérilla sans fin au Moyen-Orient», affirme le général Hélou. Il considère que l’Iran et les États-Unis sont dans une logique de guerre de positions et de «conflit à intensité réduite, où la politique de dissuasion américaine a un impact sur l’Iran, mais pas sur ses alliés qui sont prêts à tout pour être sur l’échiquier politique et militaire dans la région».
Une affaire de «corridors»
Interrogé par Ici Beyrouth, Jean-Sébastien Guillaume, fondateur du cabinet Celtic Intelligence, explique que d’un point de vue américain, «l’objectif stratégique de l’Iran est d’établir un corridor terrestre est-ouest s’étendant de l’Iran au Liban, en complément du couloir aérien existant qui sert de canal d’approvisionnement en armes iraniennes au Hezbollah». Le contrôle d’Al-Tanf faciliterait cet objectif. Située en Syrie, à la frontière irakienne et à quelques kilomètres de la frontière jordanienne, la garnison américaine d’Al-Tanf sert depuis 2016 de point de lancement d’opérations de lutte contre l’État Islamique et de formation pour les factions de l’opposition syrienne combattant le groupe djihadiste. L’ONG International Crisis Group (ICG) explique que «les forces iraniennes et celles soutenues par l’Iran sont déployées à proximité immédiate de l’avant-poste du désert d’Al-Tanf, situé sur l’autoroute stratégiquement importante Bagdad-Damas». Selon l’ICG, les forces américaines à Al-Tanf ont établi une zone dite de «déconfliction» (terme utilisé par les militaires pour désigner les mesures prises pour éviter les accidents liés à la présence de différents acteurs combattant des ennemis dans une même zone) de 55 km, au-delà de laquelle se trouve un ensemble de forces soutenues par l’Iran et qui ont établi des points de contrôle dans la région.
D’après M. Guillaume, et d’un point de vue iranien, «les États-Unis cherchent à développer un corridor nord-sud dans l’est de la Syrie, s’étendant de la frontière turque à la frontière jordanienne, contrôlé par les partis kurdes syriens et d’autres forces soutenues par les États-Unis, afin de restreindre l’accès de l’Iran à ses alliés au Proche-Orient».
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