Les Houthis et l’Iran: une alliance stratégique de guerre? (2/2)

Dans notre article précédent, nous avons introduit les Houthis et leur affinité idéologique avec l’Iran et le Hezbollah, ainsi que le soutien matériel de l’Iran. La question qui en découle est la suivante: pourquoi un groupe, hégémonique dans son pays, s’attaque-t-il à Israël?
Les Houthis, contrairement au Hezbollah, ne sont pas des mandataires de l’Iran au sens où toutes leurs activités ne dépendent pas directement de l’Iran. Cependant, le groupe peut être considéré comme un partenaire informel de Téhéran, leur relation ayant évolué d’un partenariat de commodité à un partenariat plus stratégique.
La convergence (ou pas) des intérêts stratégiques
Les intérêts des deux convergent d’un point de vue géopolitique sous une couverture sectaire. Les Houthis veulent réduire l’influence de l’Arabie saoudite au Yémen alors que l’Iran veut affaiblir le rôle du royaume wahhabite dans la région et, par ailleurs, dissuader les Émirats arabes unis de trop se rapprocher d’Israël après les accords d’Abraham. L’Iran fournit une aide matérielle et les Houthis «menacent» l’Arabie sous couvert d’opposition «chiite/sunnite» afin de parvenir à leur objectif principal qui est de retrouver l’autorité politique au Yémen en légitimant les sacrifices de guerre.
Dans une certaine mesure, Téhéran a profité du succès des Houthis. Leurs capacités ont permis de mettre l’Arabie saoudite sous pression et l’Iran s’est retrouvé avec un accès à la mer Rouge. Ces intérêts stratégiques sont donc des intérêts de circonstance. Dans le cas de la guerre de Gaza, les attaques houthies contre Israël seraient plutôt un moyen de mobiliser leur opinion publique en montrant leur lutte contre l’ennemi et asseoir leur institutionnalisation, leur but ultime, plutôt que de réellement affaiblir militairement les Israéliens. Une position qui ressemble à celle du Hezbollah, qui frappe presque les mêmes cibles israéliennes depuis 50 jours, dans l’objectif de montrer qu’il soutient la cause palestinienne.
Pourquoi la guerre contre Israël?
Le porte-parole des Houthis, Yahya Sarea, a déclaré la guerre à Israël le 31 octobre en tirant des missiles en direction du pays et de ce fait répondant à «l’agression israélo-américaine» contre les Palestiniens de Gaza face à «la faiblesse des régimes arabes officiels et la collusion de certains avec l’ennemi israélien.» Lors de sa déclaration de guerre, le porte-parole houthi a dit lancer la guerre à la demande du peuple yéménite uniquement, se démarquant de l’Iran (un peu comme le discours de Hassan Nasrallah au Liban le 3 novembre).
 

Les Houthis attirent l’attention du monde entier après avoir commencé à lancer des missiles balistiques et des drones sur Israël depuis le 7 octobre. Dans un changement notable, ils ont aussi exécuté une opération sophistiquée en mer Rouge le 19 novembre en détournant un cargo et le dirigeant vers le port de Hodeïda. Ce navire, le Galaxy Leader, est associé à une société britannique appartenant à l’une des personnes les plus riches d’Israël. Le 27 novembre, un navire de transport, Symi, est attaqué par un drone armé iranien de type Chahed 136 dans l’océan Indien alors qu’il bat pavillon maltais.
Comme prévu, les Houthis ont désormais étendu leur champ d’action à la mer Rouge et au golfe d’Aden après avoir démontré leur capacité à atteindre, grâce à leur technologie avancée en matière de missiles et de drones, des villes du sud d’Israël comme Eilat. Le 25 novembre, les défenses aériennes israéliennes ont intercepté un missile de croisière, au-dessus de la mer Rouge, lancé depuis le Yémen.

Mais quel serait l’intérêt des Houthis de déclarer la guerre à Israël? 
Tout d’abord, le groupe a besoin d’arguments pour convaincre sa base que ce sont des «gouvernants» qui écoutent les aspirations de leurs gouvernés. En effet, la lutte des Palestiniens recueille les suffrages de l’ensemble des Yéménites. Le groupe cherche donc à réduire le mécontentement face aux conséquences de leur propre guerre civile et de la guerre contre l’Arabie saoudite qui a provoqué une catastrophe humanitaire au Yémen et la destruction d’infrastructures. À travers la guerre contre «l’ennemi sioniste» le groupe veut remonter le moral de ses combattants et souder ses forces brisées par un horizon de paix hors d’atteinte pour l’instant.
La seconde raison qui pousse le mouvement à déclarer la guerre à Israël est d’accroitre son pouvoir de négociation face à l’Arabie saoudite. Les projets de paix de l’Arabie saoudite sont compromis par la guerre de Gaza. Elle ne pourra pas maintenir un cloisonnement entre les pourparlers de paix avec le Yémen et les attaques des Houthis, surtout que Londres et Washington exercent des pressions pour que les Houthis soient de nouveau désignés comme une organisation terroriste. De plus, les Houthis menacent maintenant d’attaquer aussi les navires qui protègent les navires israéliens en mer Rouge. Ceci signifie qu’ils pourraient s’en prendre à l’International Task Force CTF 153, créé par les États-Unis en 2022 pour lutter contre les activités illégales en mer Rouge. Actuellement, la CTF est dirigée par les forces navales jordaniennes depuis le 22 novembre. Cette présence armée montre que l’enracinement des Houthis dans le port stratégique de Hodeïda pourrait représenter un défi pour les négociations de paix (entre eux et l’Arabie) surtout en montrant qu’ils sont capables de menacer la sécurité dans la mer Rouge, vitale pour l’Arabie saoudite et les intérêts maritimes occidentaux et saoudiens dans cette région.
La déclaration de guerre des Houthis à Israël peut être interprétée comme une tentative stratégique d’influence et doit être reconnue comme entraînant des conséquences sur la géopolitique régionale. Certes, le principe fondamental de la destruction d’Israël et des États-Unis est un élément moteur du système de croyances du groupe yéménite. Mais le véritable danger réside dans leur capacité à mener des attaques qui peuvent avoir des ramifications majeures comme mettre en péril les intérêts maritimes – particulièrement ceux des États du Golfe –, les marchés pétroliers, ainsi que le conflit au Yémen.
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