Depuis le 8 octobre, le Liban, un pays exsangue, est en guerre. Seule l’armée tient bon, contre vents et marées, malgré les cabales auxquelles fait face son commandement.
L’envoyé spécial du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, vient de clôturer sa quatrième visite à Beyrouth depuis juin. Dans sa mallette aux Libanais, trois messages: de la retenue au Liban-Sud, des deux côtés de la frontière; un changement à la tête de l'armée en ces circonstances est irresponsable, et enfin, la guerre chez nos voisins du Sud doit être un accélérateur pour débloquer la présidentielle et toutes les impasses institutionnelles causées par la vacance à la tête de l’État.
L’ancien ministre français des Affaires étrangères a réitéré son appel aux responsables libanais de trouver une «troisième voie», c’est-à-dire de s’entendre autour d’un candidat autre que Jihad Azour, que soutiennent l’opposition et le CPL, et Sleiman Frangié, qui bénéficie de l’appui du Hezbollah et d’Amal.
Selon les milieux qui suivent de près les aller-retours de M. Le Drian, la situation est simple: la France, et le reste du Groupe des cinq (dont elle fait partie avec les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte) sont en phase et d’accord sur la nécessité de maintenir le général Joseph Aoun à la tête des forces régulières. Pour eux, il serait irresponsable et irréaliste de refuser la prolongation du mandat du général Aoun qui atteindra l’âge officiel de la retraite dans un peu plus d’un mois.
Il s’agit aussi d’une question de sécurité pour la France qui contribue à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) avec 700 militaires déployés et qui mène ses missions au Liban-Sud en coordination avec les forces régulières.
L’appui international exprimé à Joseph Aoun ne semble cependant pas se limiter à sa fonction de commandant en chef de l'armée, si l’on tient compte des formules «très diplomatiques» avancées pour expliquer le souci de le voir maintenu à son poste. Dans toutes ces formules, le mot «confiance» revient toujours avec insistance, surtout lorsqu’un diplomate est interrogé sur une corrélation possible entre une rallonge du mandat du chef des forces régulières et la présidentielle.
Jean-Yves le Drian a par ailleurs été très clair au sujet de la Troupe lors de ces différentes rencontres politiques, mercredi et jeudi à Beyrouth, notamment avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui voit en Joseph Aoun l'homme à abattre pour pouvoir survivre politiquement.
L’entretien, jeudi, entre les deux hommes a été très bref et très tendu. Dans les mêmes milieux, proches du dossier, on raconte que l’envoyé français aurait simplement expliqué à Gebran Bassil qu’il était le seul à s’opposer à une prolongation du mandat du commandant en chef de l’armée, et que les désaccords sont tellement nombreux qu’il n’était pas nécessaire de continuer la conversation. Une situation qui isole encore plus le gendre de l’ancien président de la République, Michel Aoun, qui aborde la politique sous le seul prisme de ses intérêts personnels, qui est honni par une majorité de la population et par les chancelleries occidentales et qui est sous le coup de sanctions américaines pour corruption.
Soutenu internationalement, Joseph Aoun l’est également sur le plan national. Même le Hezbollah, pourtant champion des blocages depuis plus de 15 ans, n’empêcherait pas la prolongation de son mandat. Selon des informations obtenues par Ici Beyrouth, si la prorogation de son mandat est soumise à un vote, en Conseil des ministres ou au Parlement, la formation pro-iranienne s’abstiendra de voter. Cette abstention lui permettra de maintenir le dernier fil fragile qui l’unit au CPL (les deux partis, contestés et isolés sur le plan local, ont besoin l’un de l’autre), mais assurera tout de même le quorum nécessaire pour que le vote ait lieu.
Bassil sait qu’une vacance à la tête de l’armée pose un risque pour le pays et qu’il n’est pas possible de nommer un nouveau commandant en chef en l’absence d’un président de la République. Néanmoins, il continue sa fuite en avant. Vendredi, le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim, proche du chef du CPL, a indiqué que le fait de retarder le départ à la retraite de Joseph Aoun «n’est pas autorisé par la loi de Défense». Ces propos ont été tenus au terme d'un entretien avec le patriarche maronite, Béchara Raï. Une excuse sortie du chapeau du CPL. Tout et n’importe quoi pour écarter Joseph Aoun.
Selon des informations obtenues par Ici Beyrouth, Paris, à travers M. Le Drian, a senti que les responsables libanais ont pris conscience de l’urgence de la situation. Même le Hezbollah ne veut pas courir le risque de voir l’armée sans chef.
Parallèlement, en réponse à la question de savoir si le forcing du Groupe des cinq pour le maintien du général Aoun à son poste peut être interprété comme un pas vers son élection à la tête de l’État – puisqu'il est considéré comme un des candidats les plus sérieux à la succession de Michel Aoun –, on indique de sources diplomatiques occidentales qu’«il est important que la personne qui sera choisie par les Libanais pour présider le pays inspire confiance et soit digne de cette confiance. Il faut qu’elle puisse s’atteler à toutes les missions nécessaires pour que le Liban se remette sur pied». Un peu plus tôt, de mêmes sources, on soulignait la confiance que l'armée et son commandement inspirent.
Joseph Aoun est, qu’on l’apprécie ou pas, l’homme de la situation quand il est aux commandes. À Yarzé aujourd’hui, à Baabda, peut-être, demain, fort de cette confiance qu’il inspire tant sur le plan local qu'international.
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