Lève-toi et rentre au Liban

«De la crèche au crucifiement, Dieu nous livre un profond mystère.» Je me suis réveillé, ce matin, sur ce refrain de Noël familier. Le mystère, ici, n’est pas une énigme policière. C’est une réalité inaccessible à la raison. Ou plutôt, à la fois inaccessible et accessible, puisque Dieu s’est fait homme et, comme être humain, il ne peut être incompréhensible. Pas incompréhensible, mais parfois déroutant.
C’est ainsi que, ne comprenant pas que sa fiancée soit enceinte avant qu’ils n’aient vécu ensemble, Joseph décide de la répudier discrètement. Dieu lui parle alors en songe. Pourquoi Dieu parle-t-il à certains en clair et à d’autres en songe? Mystère là aussi. Nous nous sommes tous réveillés, une fois au moins, à un songe par lequel un message nous était transmis. Dieu parle en songe probablement pour nous faire tout comprendre à la fois.
Dans un esprit très pragmatique, les Écritures saintes dédaignent les songes, ces «rêveries de femme enceinte», et recommandent de s’en tenir aux limpides commandements de Dieu, et au bon sens – à moins que ces songes «ne soient envoyés du Très-Haut». Ce dont seul le cœur est témoin.
C’est ce genre «d’avis reçus en songe» que Joseph a suivi. Des songes envoyés du Très-Haut avec des directives très précises. C’est d’abord le conseil qui nous vaut la crèche de Noël: «Ne crains pas de prendre Marie ton épouse, car ce qui a été conçu en elle vient de l’Esprit Saint.» C’est ensuite: «Lève-toi, prends l’enfant et fuis, car Hérode en veut à sa vie.» Puis, quelque temps plus tard: «Lève-toi et rentre au pays, car il est mort celui qui en voulait à la vie de l’enfant.»
Parfois, il est juste de fuir. Voilà une des leçons que nous pouvons tirer des Évangiles de Noël. Que les mères qui parlent si bien des maisons froides de la montagne et des garages transformés en abris en soient réconfortées, elles dont la progéniture est aujourd’hui en France ou au Canada. Elles se sont rendues en montagne «jusqu’à ce que la situation change». Joseph et Marie, eux, sont restés en Égypte jusqu’à ce que le tyran soit mort.

Joseph, Marie et l’enfant, avant de s’installer à Nazareth, ont vécu en migrants et en étrangers, avec les aléas de ce genre de vie nomade. C’est d’actualité. L’excellent site chrétien «Croire» reproduit ce mois-ci un tableau de Brueghel représentant le recensement à Bethléem, une scène évangélique jamais figurée en peinture. On y voit Joseph, Marie et l’âne attendant leur tour pour se faire enregistrer dans un Bethléem brabançon. Bientôt, il fera nuit, et bientôt le temps où Marie devait enfanter sera révolu, sans que Joseph n’ait trouvé de place à l’hôtellerie.
C’est dans la nuit la plus profonde que la miséricorde de Dieu a lui. Elle a lui une première fois à la naissance du petit, au cœur d’une nuit glaciale de Judée. Elle a lui à nouveau en plein jour, dans d’épaisses ténèbres spirituelles, quand le cri «Pourquoi m’as-tu abandonné?» a retenti. Aujourd’hui, elle luit encore au milieu des ténèbres de Gaza, de l’Ukraine, du Haut Karabakh, du Soudan de la Maison Blanche, du 10 Downing street, de l’Élysée, des plates-formes pétrolières en Méditerranée, des mines de lithium, etc. La liste est longue des lieux où l’ombre de la mort s’étend et où la lumière luit quand même.
Au milieu de ces ténèbres, qu’est-ce que le Liban? Qu’est-ce que ce rien qui est notre forteresse? Qu’est-ce que ce vivre-ensemble qui ne paie pas de mine, qui tout au plus peut passer pour un ensemble de règles de politesse ou une disposition de fauteuils à la Saint-Maron? Qu’est-ce que cette volonté de vivre en commun qui est notre identité, notre foyer et notre force?
Telle qu’elle se présente, cette convivialité compassée et passablement artificielle est une formidable machine à déminer l’histoire que nous envoyons au-devant de nous. Ce vivre-ensemble se nourrit d’honnêteté. Il se construit. Les institutions l’incarnent et le consolident. En les paralysant, on nous a fait violence et on continue de nous faire violence. L’absence d’un président nous le prouve une fois de plus.
Car l’histoire du Liban est en miettes, et on la ramasse tous les jours au hasard des conversations. Les assassins et les croque-morts sont toujours parmi nous. Triomphants. Quand donc, comme Joseph, entendrons-nous en songe un ange nous dire: «Lève-toi et rentre au Liban, car il est mort celui qui en voulait à la vie du pays»?
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