Trente ans déjà… Le sanglant attentat à la bombe perpétré le 27 février 1994 à l’église Notre Dame de la Délivrance de Zouk Mihaël, en pleine messe, a été commémoré dans la plus grande discrétion. L’événement représentait pourtant un grave point d’inflexion dans l’interminable conflit libanais. Il s’agissait de la première manifestation de la chape de plomb imposée au Liban après la phase de Taëf (1989-1990) dans le but de bétonner le feu vert obtenu par Damas au Liban, après la guerre du Golfe de 1991. Pour le régime Assad, il fallait ainsi «défricher le terrain», en quelque sorte, et ouvrir la voie à une vaste stratégie de mainmise sur tous les rouages du pouvoir public et du pays. Une stratégie qui avait en réalité été initiée dès le début de la guerre libanaise et qui s’est avérée être celle d’une déconstruction systématique et diabolique de l’État central, accompagnée d’une mise au pas manu militari, par des moyens inavouables, de toute partie susceptible de se dresser contre le tuteur qui tirait les ficelles à Damas.
L’attentat du 27 février 1994 avait pour fonction de servir de catalyseur à l’action maléfique de l’appareil sécuritaire libano-syrien de l’époque qui, d’emblée, avait accusé ouvertement le directoire des Forces libanaises d’être l’instigateur de cet acte terroriste. Une accusation montée de toute pièce, comme l’a prouvé le verdict de la Cour de Justice qui a lavé les F.L. de tout soupçon sur ce plan. Mais cette affaire a débouché, sur base de dossiers préfabriqués dans les salles sombres des Services, sur la dissolution pure et simple du parti des FL., l’incarcération de Samir Geagea et une véritable chasse aux sorcières lancée contre les principaux responsables et cadres de la formation chrétienne.
À la suite de la Révolution du Cèdre enclenchée après l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, les F.L. seront réhabilitées, remonteront rapidement la pente après la libération de Samir Geagea, sortiront même renforcées de l’épreuve, et réussiront à hisser au Parlement le plus grand bloc parlementaire au stade actuel.
L’intérêt de ce bref rappel historique – au-delà de l’importance intrinsèque de l’événement – réside dans le fait qu’il illustre un mode d’action «politique» qui a été appliqué, dans un premier temps, par l’occupant syrien, jusqu’au retrait des troupes de Damas au printemps 2005, et repris ensuite par le Hezbollah, au bénéfice de la stratégie expansionniste du pouvoir des mollahs iraniens. Ce mode d’action consiste à lancer des opérations militaires d’envergure, initier des guerres, perpétrer des attentats terroristes à grande échelle et commanditer des assassinats politiques en série dans le seul but de marquer des points face à l’adversaire ou de renforcer son positionnement politique.
Parallèlement à l’explosion du 27 février 1994 à Zouk, l’histoire de la guerre libanaise est jalonnée de ce genre d’opérations «coups de poing». Au début de la guerre libanaise, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, l’armée syrienne s’est livrée, pendant longtemps, à des bombardements à l’aveugle, à l’artillerie lourde, des quartiers d’Achrafieh, de Aïn el-Remmaneh, et Furn el-Chebback, et plus tard de Zahlé (en 1981), afin de mettre au pas le Front libanais de l’époque (regroupant les Kataëb, les Forces libanaises, le Parti national libéral, et des personnalités indépendantes de premier plan).
Au début des années 2000, lorsque Rafic Hariri avait atteint en tant que leader sunnite une dimension dépassant les frontières nationales, et que la présence des forces syriennes commençait à être contestée par les États-Unis et la France, sous l’impulsion des présidents George W. Bush et Jacques Chirac, l’axe Damas-Hezbollah a réagi en commanditant, d’abord, un attentat à la voiture piégée contre Marwan Hamadé, en octobre 2004, suivi de la forte explosion d’un camion piégé le 14 févier 2005, qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à plus d’une vingtaine de personnes.
Pour stopper le formidable élan souverainiste de la coalition du 14 Mars, une longue série d’assassinats politiques visant des personnalités hostiles à l’occupation syrienne sera commanditée. Mais cela n’était pas suffisant: afin de remettre en question la dynamique de la Révolution du cèdre, ayant pour leitmotiv «Le Liban d’abord», quoi de plus efficace qu’une bonne guerre contre Israël, celle de juillet 2006, suivie d’un véritable chantage milicien («nous briserons la main à celui qui tentera de s’en prendre aux armes de la résistance»). Pour parachever cette contre-révolution anti-souverainiste, le Hezbollah lancera le 7 mai 2008 une attaque sanglante contre les régions de Beyrouth et de la montagne contrôlées par le Courant du futur et le Parti socialiste progressiste, faisant plus de 150 tués.
A l’échelle régionale, c’est cette même logique guerrière, adoptée comme mode d’action «politique», qui a été suivie par la République islamique iranienne en commanditant la guerre lancée par le Hamas le 7 octobre dernier contre Israël dans le but bien précis de stopper la normalisation en cours saoudo-israélienne et de replacer Téhéran sur l’échiquier régional. «Manœuvre» réussie, mais au prix de la destruction totale de Gaza et de près de 30 000 tués palestiniens!
Le pays du Cèdre est confronté de la sorte depuis la fin des années 1970 à cette double stratégie de déconstruction, d’abord syrienne puis iranienne, visant non seulement l’État central, mais – plus grave encore – la spécificité et la raison d’être de l’entité libanaise. Face à cet implacable rouleau compresseur, une seule parade s’impose: l’union sacrée de toutes les parties souverainistes face à la faction maléfique qui tente par tous les moyens de torpiller les fondamentaux qui ont façonné le Liban à travers les siècles, contre vents et marées.
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