Né en Antiochène et mort en 707 à Kphar-Haï, saint Jean Maron est reconnu comme le fondateur de l’Église syriaque maronite d’Antioche et comme l’initiateur de l’idée du Liban. Il a fondé le Liban moderne sur les assises territoriale (le Mont-Liban), religieuse (le christianisme chalcédonien), linguistique (le syriaque) et militaire (les mardaïtes).
Jean (Yohanon), fils d’Agathon et d'Anohemia, est né au VIIᵉ siècle dans la région d’Antioche, à Sermin (Sermania). Bilingue grec-syriaque, il a effectué ses études à la fois à Antioche et à Constantinople. Alors que ses écrits sont conservés en langue syriaque, son nom apparaît souvent sous la forme Ioannes Maro.
Ses origines
Sa biographie est entachée de nombreuses zones d’ombre et d’anachronismes. Selon la Series chronologica, Aghathon, son père serait apparenté à la famille de Charlemagne. Toutefois, ses liens incontestables avec la communauté franque d’Antioche peuvent-ils justifier une ascendance aussi noble, ou même aussi précise, sachant que Charlemagne ne naîtra qu’un siècle plus tard? D’autre part, selon son éditeur, l’abbé François Nau, «si l’on n’avait que ses œuvres pour fixer son époque, on la placerait certainement au VIᵉ ou au commencement du VIIᵉ siècle, car le dernier concile cité est celui de Chalcédoine (451), et le dernier témoignage cité est celui du patriarche Sévère d’Antioche (mort en 543)».
L’histoire de saint Jean Maron est connue grâce au patriarche Estéphanos Douaihy qui l’a rédigée, mille ans plus tard, à la fin du XVIIᵉ siècle, en s’appuyant sur d’anciens manuscrits syriaques, sur les recherches des savants maronites de Rome et sur les chroniques révélées en 1495 par l’évêque maronite Gabriel Barcleius.
Parmi les faits admis par l’Église maronite, il est connu que Jean a intégré le couvent de Saint-Maron pour devenir moine, prenant le nom monastique de Yohanon Moroun (Jean Maron). Contrairement à la majorité des monastères syriaques répartis entre monophysisme et nestorianisme, ceux dits «de Beit-Moroun» étaient chalcédoniens et, donc, professaient la doctrine officielle de l’empire byzantin.
En 677 ou en 686, selon les différentes sources, Jean Maron a été consacré évêque de Botrys (Batroun), en Phénicie, prétendument par le cardinal-légat du pape, à la demande des Francs d’Antioche et de leur prince Eugène. La date exacte demeure difficile à cerner, surtout que l’existence du prince franc Eugène et même du cardinal-légat à Antioche à cette époque est peu vraisemblable.
L’élection au siège patriarcal
Avec la prise d’Antioche par les musulmans, le patriarche s’était enfui à Constantinople où il a fini par mourir, laissant un siège vacant. Byzance s’est alors tournée vers les Syriaques pour leur demander de se faire élire un successeur. C’est tout naturellement qu’elle s’était adressée aux chalcédoniens parmi eux, donc aux moines de Beit-Moroun. Ces derniers se sont réunis afin de placer l’évêque de Botrys sur le siège d’Antioche.
Entre 687 et 701 (la date exacte demeure incertaine), au Saint-Siège, le pape Serge Iᵉʳ, lui-même syriaque originaire d’Antioche, reconnaissait Jean Maron comme patriarche sur le siège de cette cité. La liste des patriarches orthodoxes d’Antioche ne le mentionne cependant pas, et marque une vacance qui s’étale des années 702 à 742, c’est-à-dire de Georges II à Etienne III.
À cette époque, le Mont-Liban affermissait son indépendance grâce à la victoire des mardaïtes sur les Arabes. Pour échapper à l’envahisseur musulman, mais aussi aux ingérences de la hiérarchie byzantine, le nouveau patriarche a choisi de transférer son siège dans le Mont-Liban. Avec Jean Maron, le centre de gravité est ainsi passé du littoral au cœur de la montagne, faisant naître une nouvelle référence politique. L’appellation de Liban, jusque-là géographique, supplantera désormais celle de Phénicie.
La fondation du Liban
C’est dans son diocèse épiscopal, à Kphar-Haï (en syriaque le village de vie), qu’il a établi son siège patriarcal. Le nouveau prélat a ainsi fondé le Liban moderne sur les assises territoriale (le Mont-Liban), religieuse (le christianisme chalcédonien), linguistique (le syriaque), et militaire (les mardaïtes).
Les mardaïtes étaient un peuple guerrier probablement originaire du Caucase, qui avait pour mission la protection du Levant. Ils ont infligé de nombreuses défaites aux Arabes, tant dans les villes du littoral que dans la Beqaa, leur imposant même le paiement de lourds tributs. À la suite de la signature du traité de paix de 667 entre le calife Muawiya et l’empereur byzantin Constantin IV, ce dernier ordonnait le retrait de ses troupes mardaïtes du Liban. Il a obtenu en échange le versement d’un tribut annuel de la part du califat.
Un second retrait de 12.000 mardaïtes allait se produire encore sous Justinien II qui s’était déjà opposé militairement aux maronites en 684. Vers 695, ces contingents partaient pour l’Isaurie, au nord de la Cilicie. Ce sont donc les mardaïtes restés au Liban qui ont constitué l’armée indispensable à l’établissement de l’entité politique du patriarche Jean Maron.
Représentation moderne de saint Jean Maron avec l’inscription «iqoro de Levnon nétihév léh» (que «la gloire du Liban lui soit donnée»).
Représentation ancienne de saint Jean Maron avec l’inscription «iqoro de Levnon nétihév léh» (que «la gloire du Liban lui soit donnée»).
Ayant établi leur capitale à Baskinta, ils ont imposé le respect aux nouveaux voisins arabes, acculant deux califes omeyyades à leur verser des tributs sur une période allant de 661 à 750 (Encyclopædia Britannica). Aucune dynastie arabe n’a pu les soumettre jusqu’à l’arrivée des Francs au Levant, à la fin du XIe siècle, et la prise de Tripoli par Raymond de Saint-Gilles, en 1109. Les successeurs de saint Jean Maron, notamment Jérémie de Amchit (1199-1230), allaient dès lors s’associer à la nouvelle force militaire chrétienne incarnée par les Croisés.
Littérature
Bien que le monde savant exprime nombreuses réserves quant à l’authenticité des faits et de la littérature de saint Jean Maron, l’Église maronite lui reconnaît trois œuvres conservées en langue syriaque et éditées par l’abbé François Nau. Il s’agit de trois traités théologiques, dont un exposé de la foi, un traité polémique contre le monophysisme et un autre contre le nestorianisme.
Parmi les manuscrits qui contiennent ces textes, quatre mentionnent clairement le nom de l’auteur comme étant «Jean Maron patriarche d’Antioche». Il s’agit néanmoins d’exemplaires tardifs. Deux d’entre eux mentionnent respectivement les dates de 1392 et de 1470.
Jean Maron est reconnu comme le fondateur de l’Église syriaque maronite d’Antioche et comme l’initiateur de l’idée du Liban. Son image sainte apparaît toujours surmontée du verset du Livre d’Achaïa (Isaïe) «iqoro de Levnon métihév léh» (la gloire du Liban lui est donnée) inscrit en caractères syriaques. C’est de lui que les Syriaques chalcédoniens tiennent leur nom alors que jusque-là, ce terme (maronites) ne faisait allusion qu’aux moines.
Ce grand patriarche est reconnu comme saint par l’Église catholique et c’est le 2 mars qu’il est célébré. Il est inhumé au monastère de Kphar-Haï qui porte son nom, là où il avait siégé et là où il est mort, le 5 février de l’an de grâce 707.
Lire aussi
Commentaires