La visite de l’émissaire américain, Amos Hochstein, lundi au Liban, la troisième depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre, a fait couler beaucoup d’encre. La raison en est tant le timing que les sujets abordés lors de ses discussions avec les responsables libanais. L’élément nouveau de cette visite reste sa réunion, hautement symbolique, avec des députés de l’opposition au Parlement.
Lors de ses deux précédentes visites au Liban courant novembre 2023, puis janvier 2024, l’émissaire américain, Amos Hochstein, avait eu des entretiens essentiellement avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, le président du Parlement, Nabih Berry, le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, et le vice-président de la Chambre, Elias Bou Assi. Pourquoi a-t-il choisi cette fois d’élargir le spectre de ses concertations pour y inclure le leader druze, Walid Joumblatt, et des députés de l’opposition?
Avant de prendre l’avion pour Israël, où il a poursuivi mardi ses contacts dans la perspective d’un arrêt des hostilités au Liban-Sud, M. Hochstein s’est entretenu au Parlement, lundi, en début de soirée, avec les députés Michel Moawad, Samy Gemayel, Georges Adwan, Elias Hankache et Georges Okais. Selon les parlementaires, l’émissaire voulait entendre un son de cloche autre que celui des officiels libanais, surtout qu’il semble, jusqu’à l’heure, que la formule la plus appropriée pour un rétablissement du calme sur le front sud n’ait pas été encore dégagée. Plusieurs idées sont cependant sous étude.
«Il n’est pas possible pour un émissaire étranger de n’avoir accès qu’à un seul point de vue, surtout lorsque la question relève du destin de tout un peuple et d’une question de guerre et de paix», dit Elias Hankache (Kataëb-Metn) à Ici Beyrouth. D’après lui, les représentants de l’opposition ne veulent pas la guerre, or «l’opposition représente 70% des Libanais».
Même son de cloche chez le député Michel Moawad (Renouveau-Zghorta): «En tant qu’opposition, nous considérons que cette réunion est importante. En effet, lors de ses visites précédentes, M. Hochstein n’avait rencontré que des responsables qui partagent le même point de vue, lequel n’a cependant pas de légitimité constitutionnelle». Et M. Moawad d’expliquer: «Ces responsables ont décidé de sous-traiter la souveraineté du pays, soit la décision de guerre et de paix, au Hezbollah. De plus, leur point de vue ne représente pas celui de la majorité des Libanais. Les sondages d’opinion montrent que les trois quarts des Libanais sont contre l’enlisement du Liban dans une guerre qui n’est pas la sienne. D’ailleurs, ils représentent une minorité parlementaire. Si l'on considère les positions officielles des blocs qui ne veulent pas être entraînés dans la guerre, celles-ci représentent les deux tiers du Parlement. Le Liban est pris en otage».
L’émissaire américain a ainsi eu accès à une version de la politique libanaise autre que celle qui «sous-traite la souveraineté» libanaise, pour reprendre les propos de M. Moawad. Surtout que, comme l’a rappelé M. Hankache, l’opposition avait fait le tour de plusieurs capitales pour exposer son point de vue.
La teneur des entretiens
Hochstein n’aurait rien proposé de nouveau à ses interlocuteurs. Les discussions ont porté sur l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU et de la désescalade que Washington veut obtenir au Sud, ainsi que sur le dossier de la présidentielle. «Pour nous, la 1701 constitue un package complet. La communauté internationale ne peut pas faire un choix sélectif dans l’intérêt d’Israël, c’est-à-dire garantir que seuls les colons israéliens rentrent chez eux», commente M. Hankache.
Il affirme que la priorité de l’opposition est «l’instauration d’un cessez-le-feu, l’arrêt des agressions israéliennes et des violations du territoire libanais et le déploiement de l’armée le long des frontières, avec un soutien international».
L’importance de ce package réside dans le fait qu’il doit permettre à l’État libanais de récupérer son rôle constitutionnel. M. Moawad rappelle dans ce contexte à Ici Beyrouth qu’avec la fin de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, la communauté internationale avait perdu tout intérêt pour le Liban dès l’arrêt des hostilités. «La non-application de la 1701 a favorisé une mainmise du Hezbollah sur l’État, ce qui a constitué la principale raison à l’isolement et à l’effondrement du pays et de ses institutions. Elle a également entraîné une escalade progressive des deux côtés de la frontière, laquelle a fini par exploser le 8 octobre», explique-t-il. «C’est pour cela que nous tenons à ce que la solution envisagée pour le Sud ne consiste pas en un compromis boiteux, mais qu’elle soit durable, à travers une application sérieuse et globale de la 1701», poursuit le député de Zghorta.
Pour son collègue du Metn, l’opposition soutient les Palestiniens et leur cause à Gaza, mais refuse que le sort du Liban soit militairement lié à celui de cette enclave palestinienne. «Le Liban ne peut plus se permettre d’aller de guerre en guerre avec un coût insurmontable pour tous les Libanais, surtout que ce sont des guerres d’influence régionale qui sont menées sur notre territoire», ajoute M. Moawad.
Toutefois, de source informée, M. Hochstein, bien que d’accord avec l’opposition, se trouve dans une impasse. Il se pose notamment la question de savoir s’il faut privilégier un arrêt des hostilités immédiat, ou bien attendre afin d’aboutir à une solution durable. C’est la première solution qui semble être une voie possible vers un règlement, alors que l’opposition n’a pas un bon historique avec les formules comportant «on verra plus tard pour la suite».
La présidentielle
En ce qui concerne le dossier de la présidentielle, les députés de l’opposition ont expliqué leur position à l’émissaire américain. Ils ont insisté sur le point que «toute échéance interne doit être dissociée de ce qui se passe au Liban-Sud» dit Elias Hankache. «Il y a dissociation entre la guerre et la présidentielle. Nous n’acceptons pas de lier les deux. L’élection d’un président relève d’une décision souverainiste libanaise. Tout ce que nous demandons au Quintette est un soutien pour inciter les parties concernées à respecter la Constitution», assure à son tour Michel Moawad. Par là, il fait allusion au tandem Amal-Hezbollah qui bloque la présidentielle pour pousser l’opposition à un dialogue devant déboucher sur le choix d’un candidat dit de compromis.
Selon M. Hankache, M. Hochstein n’était pas porteur d’une initiative présidentielle et n’est certainement pas en conflit avec l’initiative française pour un déblocage.
Tous, au sein de l’opposition, sont d’accord pour affirmer que le seul moyen d’élire un président consiste, pour les 128 députés, à se rendre au Parlement et à procéder au vote. Or, une seule partie, le tandem, bloque ce processus.
«Nous sommes aussi ouverts à ce que le Quintette appelle «la troisième voie» (un candidat autre que celui de l’opposition – Jihad Azour – et celui du tandem – Sleiman Frangié), mais il faut que le Hezbollah renonce à son candidat. Il sait qu’il ne pourra pas lui assurer démocratiquement ni majorité ni quorum des deux tiers. Par conséquent, son attachement formel à ce candidat est une façon de bloquer la présidentielle et de lier les dossiers, ce que nous refusons», insiste M. Moawad. Il ajoute que «l’opposition n’acceptera pas que le Liban soit un lot de consolation pour un compromis autour de la guerre au Sud, une guerre qui a déjà coûté deux milliards de dollars aux Libanais. L’opposition n’acceptera de lier aucune échéance constitutionnelle (entendre par là la présidentielle) à la nécessité d’appliquer la 1701», martèle le député de Zghorta.
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