Il n’y a plus d’accord qui vaille, ni de traité formel, ni d’agrément tacite, ni de pacte exprès. Gaza a tout bousculé, les Conventions de Genève ont été passées à la trappe. Et il semble qu’Israël se soit libéré des règles d’engagement qui régissaient ses petites guerres avec le Hezbollah. Aussi, à force de jouer au matamore, le parti de Dieu va nous entraîner dans un conflit ouvert avec l’État hébreu!
On parle d’escalade, mais c‘est bien pire: notre voisin du sud ne fait plus la différence entre territoire libanais, territoire syrien et cibles iraniennes. Ce sont les mêmes killing fields: plus question de prendre en considération les frontières tracées par l’accord Sykes-Picot, plus de traitement préférentiel pour tel ou tel autre adversaire. Demain, Israël ciblera Beyrouth et pourquoi pas les sièges de nos ministères, de même qu’il a ciblé Damas et liquidé le général Reza Zahedi et d’autres hauts responsables des Gardiens de la révolution. La frappe aérienne du lundi premier avril a fait plus d’une quinzaine de victimes dans la capitale des Omeyyades. Et elle était d’autant plus grave qu’elle visait le consulat et la résidence de l’ambassadeur iranien en Syrie. Ce qui, en droit international, constitue une atteinte à la souveraineté du pays des ayatollahs. Ces derniers, qui n’en sont pas à un coup de Jarnac près, auraient dû se douter que leurs résidences diplomatiques n’étaient pas suffisamment «sanctuarisées» pour servir de quartier général aux bassidjis.
«La réponse décisive»
L’ambassadeur d’Iran en Syrie a précisé que l’attaque avait été menée par des avions de combat F-35 et six missiles. Avant d'ajouter aussitôt, à l’adresse des journalistes, que son pays apportera une «réponse décisive» à cet attentat commis par Israël. Il ne serait donc pas présomptueux d’avancer qu’une représentation consulaire israélienne, quelque part dans le monde, est désormais le point de mire des spadassins de Téhéran. On ne joue pas avec les ambassades à moins de vouloir mettre le feu aux poudres. C’est bien la tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien à Londres en 1982, par un commando palestinien, qui donna le signal de l’invasion du Liban par Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.
Ainsi, on doit s’attendre à une guerre «débridée»: tous les coups seraient permis, tout objectif serait légitime. Les communautés juives dans le monde et principalement en Amérique latine vont probablement payer le prix fort. Qu’on se souvienne de l’attentat qui avait pris pour cible en juillet 1994 l’Asociación Mutual Israelita Argentina, à Buenos Aires, attentat commandité par le Hezbollah qui avait fait dans les quatre-vingts victimes.
Le Hezbollah, un pis-aller
Israël a-t-il le vent en poupe pour élargir le champ de ses frappes comme il n’arrête pas de le faire? On nous dit que son armée est engluée à Gaza et qu’elle n’a pu, depuis le 7 octobre, remporter de victoire décisive ou éclatante. Une victoire dont un Netanyahou en perte de vitesse sur la scène internationale a besoin pour se maintenir au pouvoir. Et comme pour ne pas lui faciliter la tâche, les familles des otages n’arrêtent pas d’exiger la libération des leurs. Quel qu’en soit le prix! Auquel cas un cessez-le-feu s’imposerait et, par conséquent, l’assaut sur Rafah devrait être reporté. La diplomatie américaine n’aurait plus qu’à s’en féliciter, elle qui retient le bras vengeur du cabinet de guerre; elle le fait pour des raisons humanitaires comme pour certains calculs électoraux.
Cela dit, il n’en reste pas moins que l’ennemi juré est le Hezbollah, le proxy du Guide suprême. Si le gouvernement israélien doit subir la pression des familles des otages pris à Gaza, il doit également répondre aux exigences des déplacés de Kyriat Shmona et de ses environs: ceux-là font plus de soixante mille personnes. De plus en plus impatients, ils exigent de «changer la donne sécuritaire» dans le Nord afin de pouvoir retourner dans leurs foyers. Et que croyez-vous qu’il arrivera? Ce sera encore le Liban qui paiera le prix de l’aventurisme d’une milice aux ordres de Téhéran. Quant à la résolution 1701, ultime planche de salut, elle ne pourra être appliquée qu’une fois le Hezbollah désarmé de manière pacifique ou démantelé par la fournaise qu’il aura provoquée.
Une dernière chose
Pour le président américain, Joe Biden, et les démocrates américains, une chose est Israël, autre chose est Netanyahou. Il suffira de dégommer ce dernier quand il aura achevé la «sale besogne» à laquelle répugneraient d’autres que lui: à entendre par là, le nettoyage de Rafah et l’invalidation du Hezb. Alors, quand on en vient à clamer que «le soutien américain à Israël n’est plus inconditionnel»(1), on devrait nous expliquer pourquoi et comment. Car, aux dernières nouvelles, l’administration américaine a approuvé la fourniture à Jérusalem de jets de combat et de munitions. Une fourniture qui porterait sur des milliards de dollars (2).
En faut-il tant pour investir Rafah ou pour s’aménager un no man’s land au sud du Litani? Pensez-vous? C’est bien pour le jour du jugement, quand il s’agira d’en découdre avec l’Iran et ses installations nucléaires! Ce sera «la der des ders», une guerre qui embrasera le Moyen-Orient. Un conflit ravageur dans lequel le Hezb ne manquera pas de nous entraîner. Comme à son habitude.
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1- «Renaud Girard: Le soutien américain à Israël n’est plus inconditionnel», Le Figaro, 2 avril 2024
2- «US reportedly approves transfer to Israel of bombs and jets worth billions», The Guardian, 30 mars 2024
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