©Crédit : Atta Kenare / AFP
«Il n'oserait!». L’Iran ne se lancerait pas à l’aventure: la République islamique ne peut se permettre des représailles consistantes, de la taille de l’offense qui lui fut faite, si l’on en croit les sources diplomatiques occidentales. L’exécution, le 31 juillet dernier, d’Ismaël Haniyé en plein centre de Téhéran ne nécessiterait pas le déclenchement d’une guerre d’envergure qui, de fil en aiguille, pourrait entraîner la chute du régime des ayatollahs. Ces derniers, qui savent avaler les couleuvres, n’en sont pas à une esquive près: en témoigne la discrétion avec laquelle ils ont traité l’accident – sinon l’attentat – qui a coûté la vie à leur président, Ebrahim Raïssi, en mai dernier. Ce qui vaut pour ce dernier vaut bien pour leur hôte, le leader du Hamas. Au-delà des rodomontades d’usage, ils vont, leur intérêt général bien compris, fermer les yeux et passer à autre chose. C’est de meilleure politique, nous dira-t-on.
On aura beau rétorquer que l’Iran n’est pas désarmé et qu’il a démontré ses capacités militaires en lançant en avril dernier, sur Israël pris pour cible, les Shahed 129 et 136 et autres missiles balistiques ou de croisière comme le Paveh 351. Tout cela est bien entendu tout à l’honneur de Téhéran qui, en dépit des sanctions handicapantes, s’est construit un arsenal offensif. Mais cela ne fait pas qu’Israël et l’Iran soient à armes égales. Un affrontement entre eux serait à l’évidence asymétrique.
Les armadas occidentales font la différence
Par ailleurs, l’État hébreu n’est pas isolé dans la tourmente qui s’annonce, dit-on. Un haut responsable américain, ayant requis l’anonymat, n’a pas hésité à déclarer: «Nous voudrions dissuader les Iraniens d’emprunter la voie des représailles parce que les conséquences seraient cataclysmiques, en particulier pour l’agresseur»1. Et d’ajouter que les États-Unis feraient tout ce qui est nécessaire pour défendre l’État hébreu contre les attaques de l’Iran. De son côté, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, allait confirmer lesdits propos dans un communiqué, le vendredi 16 août; il a ainsi dit s’attendre à ce que les alliés de son pays se joignent à lui, non seulement pour le défendre, mais également pour «attaquer des cibles importantes en Iran», si d’aventure Téhéran osait l’attaquer.
Cette déclaration fut faite alors que Katz recevait ses homologues français et britannique. C’est dire combien Israël peut dormir tranquille, les armadas occidentales veillant sur sa sécurité. Il n’aura pas à craindre, comme certains l’auraient laissé entendre, d’avoir à mener le combat simultanément sur plus d’un front2. Au contraire, l’État hébreu en profiterait, soutenu qu’il serait par des puissances atlantiques, pour rabattre la morgue des descendants de Darius et de Cyrus, ces nostalgiques de l’empire et de son périmètre élargi jusqu’à la mer Égée.
En somme, Benjamin Netanyahou a été à la manœuvre et l’a emporté. Car voilà que l’administration américaine, même méfiante à son égard et guère satisfaite de ses incartades, se réaffirme encore une fois être son alliée indéfectible. Et voilà qu’il réussit à mettre face à face Téhéran et Washington au grand dam du département d’État américain. Le Premier ministre ne pouvait rêver déploiement de forces, allant du golfe Persique à la mer Méditerranée, qui lui serait aussi favorable.
L’Iran neutralisé et le «shying off tactic»
Tel qu’en lui-même, l’Iran est neutralisé. Et Tel-Aviv n’a plus à se faire de souci, sauf à envisager une petite guerre avec le Hezbollah, son voisin turbulent du nord, à qui le grand manitou de Téhéran peut confier des missions de diversion. D’autant plus que, d’après certains rapports pas encore confirmés, la République islamique a fait parvenir à Washington, par l’intermédiaire d’une Suisse jouant les bons offices, un message d’intentions louables préconisant des obligations réciproques pour assurer une sortie de crise honorable. En voici les termes: l’Iran lancerait une opération de représailles contre Israël, mais une opération qui ne causerait que des dommages minimes; en revanche, Tel-Aviv ne prendrait pas la peine de riposter3.
On nous dira que c’est pure spéculation. Certes, mais une spéculation qui condamne, à court ou moyen terme, le Hamas, les Houthis ou le Hezbollah à un grignotage au quotidien ou à une liquidation sanguinaire. Téhéran, se retirant du coup, laisserait ses «proxies» seuls dans l’arène se faire décimer dans l’attente de l’estocade finale. Après tout, ce ne serait que du sang arabe et sémite versé pour la plus grande gloire des satrapes iraniens prétendument de souche aryenne. Conséquence irrémédiable de ce qu’on désigne par la tactique de l’évitement de Khamenei ou son «shying off tactic», car est insensé celui qui croit que l’empire des Perses se laisserait sacrifier sur l’autel de la Palestine, territoire arraché à des Arabes qui se morfondent dans leur ineptie4.
Et maintenant…
Or voilà que les États-Unis interviennent de tout leur poids pour sceller un accord de cessez-le-feu à Gaza. Non qu’ils soient motivés par des raisons humanitaires, mais l’administration démocrate ne veut pas d’un embrasement du Proche-Orient, ni même d’une poursuite des combats et du carnage à la veille de la présidentielle américaine. Et ce n’est pas tout, car, en imposant la trêve, Washington ferait d’une pierre deux coups et sauverait la face de l’Iran: une pause dans les combats serait un beau prétexte que les US fourniraient à Téhéran lui permettant de mettre un terme à l’escalade militaire, comme de se disculper aux yeux de l’axe de la récalcitrance (al-moumana’a). Car il faut bien admettre que les masses chauffées à blanc par la rhétorique des ayatollahs commencent à se poser des questions. Elles se demandent pourquoi ce sont uniquement des Arabes (du Yémen, de Syrie, d’Irak, de Palestine et du Liban) qui figurent sur la liste des martyrs, alors que le grand frère iranien est à l’arrière dans sa «comfort zone» à appeler au jihad en farsi!
Reprenons: si Antony Blinken, secrétaire d’État, qui procède à un forcing diplomatique en proposant des solutions «créatives» arrive à imposer son point de vue, il aura réussi un coup de force, car ni Benjamin Netanyahou ni Yahya Sinwar ne veulent d’une pause dans les combats dans la bande de Gaza5. En revanche, si les négociations venaient à échouer, rien ne laisse pressentir, contrairement à ce que certains affirment, qu’une guerre régionale éclaterait entre l’Iran et l’État hébreu6.
En revanche, pour ce qui est du Liban et de sa bande frontalière, on doit s’attendre à la poursuite d’une guerre d’attrition, oscillant entre basse et haute intensité, ponctuée d’assassinats ciblés, de frappes chirurgicales ou de bombardements indiscriminés. Les flots des déplacés du Liban-Sud pourraient atteindre la capitale syrienne, Damas, ou même les rives de l’Oronte. Il faut bien repeupler les zones évacuées, mais là, c’est une autre histoire!
Alors, ne perdons pas pied au Liban: notre peuple est en train de crever à petit feu depuis 1975, même si la question d’Orient lui a magnanimement accordé certains répits. Les Libanais ne voient pas le bout du tunnel. De quoi leur faire souhaiter une grande déflagration afin qu’ils sachent enfin de quoi sera faite la solution finale!
Youssef Mouawad
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1- «L’Iran subira des conséquences “cataclysmiques” en cas d’attaque contre Israël, alerte un haut responsable américain», Le Figaro, 16 août 2024.
2- Oded Yaron, “The Ring of Fire around Israel: A Look at the Arsenals of Iran, Hezbollah and the Houthis”, Haaretz, 7 août 2024.
3- Amir Taheri, “Iran: A Grin and Bear it Game?”, https://english.aawsat.com/, 9 août 2024.
4- Ibidem.
5- Jason Burke, “Both Israel and Hamas’s leaders believe there is more to gain by fighting on”, The Observer, 17 août 2024.
6- Marc Henry, «Cessez-le-feu à Gaza: les États-Unis accentuent la pression sur Israël et le Hamas», Le Figaro, 18 août 2024.
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