La sotériologie dans l’architecture profane.
La fleur de lys
Le thème le plus lié à la trifora, ou triple baie, des maisons libanaises reste incontestablement la fleur de lys suspendue ou redressée. Elle orne les arcades, parfois même les chapiteaux de multitudes d’édifices sacrés ou profanes à travers le Liban. Lorsqu’elle ne figure pas dans la pierre, elle se répète inlassablement dans les menuiseries d’inspiration gothique typiques de l’architecture libanaise. Elle survécut dans ces boiseries jusqu’au début du XXe siècle où elle s’effaça dans les ondulations de l’Art nouveau, puis dans l’épuration de l’Art déco. Si la trifora, avec ses trois arcades, incarne «la lumière unique de la Sainte-Trinité», il convient de partir à la découverte du sens de ses fleurs de lys.
Trifora à fleurs de lys sur l’arcade centrale.
Boiseries gothiques à fleurs de lys.
Le tapis arménien dit Gorzi
La fleur redressée figure sur le cadre d’un tapis arménien, connu sous le nom de Gorzi, au musée de Berlin. Il est d’un grand intérêt pour l’interprétation des éléments de l’architecture libanaise puisqu’il constitue une synthèse de la porte du paradis symbolisée par la triple baie de la Trinité.
Ce tapis porte une bande de lys et une inscription arménienne qui l’identifie comme une dédicace de 1651 à sainte Hripsimé. Il contient donc, non seulement les arcs et les lys, mais aussi la preuve écrite de son appartenance chrétienne et sacrée. Pour Volkmar Gantzhorn, qui s’intéresse à l’identité et au sens de ce motif, «il s’agit très clairement ici de lys de l’espèce Lilium Candidum, le lys blanc, une plante cultivée déjà dans l’antiquité et d’origine libanaise. Symbole de la grâce divine, elle représente ici la grâce de Dieu au jugement dernier». Elle semble avoir tenu une place aussi prépondérante que le Cedrus Libani dans le répertoire cananéen, puis chrétien.
Le Tapis Gorzi, tapis arménien de 1651 dédié à sainte Hripsimé.
Le tapis Gorzi présente trois arcades, mais portées par un système de colonnes jumelées. D’après Jules Leroy, ce dédoublement des colonnes, comme dans les triples baies des manuscrits syriaques, est une évocation symbolique de la perspective. Il s’agit donc de la représentation d’une église à trois nefs qui n’est autre que l’accès vers le paradis. Cette porte est alors ornée de lys, fleur de la grâce divine. Volkmar Gantzhorn résume alors le message de ce tapis : «L’église est la porte de l’au-delà et du paradis. On y parvient par l’arc de triomphe de la foi avec l’aide de la grâce de Dieu au jugement dernier.»
Fleurs de lys d’un palais démoli à Beyrouth. ©Amine Jules Iskandar
Le palais de Amshit
Un palais à Amshit rassemble toutes ces composantes à la fois. Ici, l’architecte a curieusement reproduit les techniques symboliques des représentations bidimensionnelles, propres aux manuscrits et aux tapis, dans un art tridimensionnel qu’est l’architecture. Il dédoubla ainsi les colonnes de la triple baie en s’inspirant clairement des motifs de la peinture iconographique. Il enrichit également les trois arcades d’une série de fleurs de lys. La façade de ce palais présente ainsi la trifora dans toute l’étendue de son message sotériologique, c’est-à-dire la théologie du salut. Car les colonnes dédoublées sont celles de la nef de l’église, qui est la porte de l’au-delà. La triple baie est la lumière de la Sainte-Trinité qui mène au paradis. Et la fleur de lys représente la grâce divine qui nous rend dignes de cet accès.
Palais de Amshit avec triple baie, fleurs de lys et dédoublement des colonnes. ©Amine Jules Iskandar
Les serpents de Hadat-Gebbé
Une autre maison à Hadat-Gebbé, enrichit la composition de sa triple baie par une colombe du Saint-Esprit, des fleurs de lys et des serpents sur les chapiteaux des colonnes. Les serpents sont deux, car ils représentent la science du bien et du mal. Ils ont déchu Adam du paradis.
Boiseries gothiques à fleurs de lys, à Hadat-Gebbé. ©Amine Jules Iskandar
L’Homme-Adam a donc recours à la Sainte-Trinité (la trifora), à sa lumière, à la grâce de Dieu (le lys) et au Saint-Esprit (la colombe) afin de se racheter. Ces deux serpents sont les mêmes que nous retrouvons sur l’épigraphe de l’église maronite de Notre-Dame-des-Semences (Zrou’) à Kphiphén. Ils sont le fruit du mal, opposé aux fruits de la vie, représenté sur l’église par le corps et le sang du Christ rédempteur.
Maison à Hadat-Gebbé, avec colombe du Sain- Esprit, fleurs de lys, et chapiteaux à serpents. ©Amine Jules Iskandar
L’épigraphe de Notre-Dame de Mayphouq
Au monastère de Mayphouq, un phénomène démontre que cette approche sotériologique était consciente et nullement fortuite. Sur l’écoinçon de sa trifora, datée de 1904, se trouve une inscription syriaque qui traite de la théologie du salut:
«Lo purqono élo ba slivo, w lo hayé élo béh»
«Il n’y a de salut que par la croix, et de vie que par elle»
L’écoinçon de la trifora de Notre-Dame de Mayphouq avec son inscription sotériologique. ©Amine Jules Iskandar
La triple baie parle ici explicitement du salut. Ailleurs, elle l’évoque par la lumière de la Sainte-Trinité et par la fleur de la grâce divine confrontée aux serpents. L’épigraphe vient donc appuyer les symboles dans la transmission du message sotériologique.
Un autre témoignage vient encore confirmer l’attribution d’un sens à chacun des éléments et des motifs. Il s’agit d’une photo du XIXe siècle qui montre le chantier d’une maison dans le Mont-Liban. En y regardant de plus près, nous y reconnaissons un architecte supervisant les travaux. Il s’agit d’un prêtre. Car l’Église, maronite, grecque ou arménienne, fut toujours, comme en Occident, l’école, l’université et l’hôpital. Elle initiait les arts et l’identité en même temps qu’elle formait la liturgie et la spiritualité. Comme leur Église, les Libanais furent profondément imprégnés par la valeur sotériologique qu’ils exprimèrent à la fois dans leurs architectures profane et sacrée.
Chantier d’une maison au 19e siècle avec le prêtre supervisant les travaux.
La fleur de lys
Le thème le plus lié à la trifora, ou triple baie, des maisons libanaises reste incontestablement la fleur de lys suspendue ou redressée. Elle orne les arcades, parfois même les chapiteaux de multitudes d’édifices sacrés ou profanes à travers le Liban. Lorsqu’elle ne figure pas dans la pierre, elle se répète inlassablement dans les menuiseries d’inspiration gothique typiques de l’architecture libanaise. Elle survécut dans ces boiseries jusqu’au début du XXe siècle où elle s’effaça dans les ondulations de l’Art nouveau, puis dans l’épuration de l’Art déco. Si la trifora, avec ses trois arcades, incarne «la lumière unique de la Sainte-Trinité», il convient de partir à la découverte du sens de ses fleurs de lys.
Trifora à fleurs de lys sur l’arcade centrale.
Boiseries gothiques à fleurs de lys.
Le tapis arménien dit Gorzi
La fleur redressée figure sur le cadre d’un tapis arménien, connu sous le nom de Gorzi, au musée de Berlin. Il est d’un grand intérêt pour l’interprétation des éléments de l’architecture libanaise puisqu’il constitue une synthèse de la porte du paradis symbolisée par la triple baie de la Trinité.
Ce tapis porte une bande de lys et une inscription arménienne qui l’identifie comme une dédicace de 1651 à sainte Hripsimé. Il contient donc, non seulement les arcs et les lys, mais aussi la preuve écrite de son appartenance chrétienne et sacrée. Pour Volkmar Gantzhorn, qui s’intéresse à l’identité et au sens de ce motif, «il s’agit très clairement ici de lys de l’espèce Lilium Candidum, le lys blanc, une plante cultivée déjà dans l’antiquité et d’origine libanaise. Symbole de la grâce divine, elle représente ici la grâce de Dieu au jugement dernier». Elle semble avoir tenu une place aussi prépondérante que le Cedrus Libani dans le répertoire cananéen, puis chrétien.
Le Tapis Gorzi, tapis arménien de 1651 dédié à sainte Hripsimé.
Le tapis Gorzi présente trois arcades, mais portées par un système de colonnes jumelées. D’après Jules Leroy, ce dédoublement des colonnes, comme dans les triples baies des manuscrits syriaques, est une évocation symbolique de la perspective. Il s’agit donc de la représentation d’une église à trois nefs qui n’est autre que l’accès vers le paradis. Cette porte est alors ornée de lys, fleur de la grâce divine. Volkmar Gantzhorn résume alors le message de ce tapis : «L’église est la porte de l’au-delà et du paradis. On y parvient par l’arc de triomphe de la foi avec l’aide de la grâce de Dieu au jugement dernier.»
Fleurs de lys d’un palais démoli à Beyrouth. ©Amine Jules Iskandar
Le palais de Amshit
Un palais à Amshit rassemble toutes ces composantes à la fois. Ici, l’architecte a curieusement reproduit les techniques symboliques des représentations bidimensionnelles, propres aux manuscrits et aux tapis, dans un art tridimensionnel qu’est l’architecture. Il dédoubla ainsi les colonnes de la triple baie en s’inspirant clairement des motifs de la peinture iconographique. Il enrichit également les trois arcades d’une série de fleurs de lys. La façade de ce palais présente ainsi la trifora dans toute l’étendue de son message sotériologique, c’est-à-dire la théologie du salut. Car les colonnes dédoublées sont celles de la nef de l’église, qui est la porte de l’au-delà. La triple baie est la lumière de la Sainte-Trinité qui mène au paradis. Et la fleur de lys représente la grâce divine qui nous rend dignes de cet accès.
Palais de Amshit avec triple baie, fleurs de lys et dédoublement des colonnes. ©Amine Jules Iskandar
Les serpents de Hadat-Gebbé
Une autre maison à Hadat-Gebbé, enrichit la composition de sa triple baie par une colombe du Saint-Esprit, des fleurs de lys et des serpents sur les chapiteaux des colonnes. Les serpents sont deux, car ils représentent la science du bien et du mal. Ils ont déchu Adam du paradis.
Boiseries gothiques à fleurs de lys, à Hadat-Gebbé. ©Amine Jules Iskandar
L’Homme-Adam a donc recours à la Sainte-Trinité (la trifora), à sa lumière, à la grâce de Dieu (le lys) et au Saint-Esprit (la colombe) afin de se racheter. Ces deux serpents sont les mêmes que nous retrouvons sur l’épigraphe de l’église maronite de Notre-Dame-des-Semences (Zrou’) à Kphiphén. Ils sont le fruit du mal, opposé aux fruits de la vie, représenté sur l’église par le corps et le sang du Christ rédempteur.
Maison à Hadat-Gebbé, avec colombe du Sain- Esprit, fleurs de lys, et chapiteaux à serpents. ©Amine Jules Iskandar
L’épigraphe de Notre-Dame de Mayphouq
Au monastère de Mayphouq, un phénomène démontre que cette approche sotériologique était consciente et nullement fortuite. Sur l’écoinçon de sa trifora, datée de 1904, se trouve une inscription syriaque qui traite de la théologie du salut:
«Lo purqono élo ba slivo, w lo hayé élo béh»
«Il n’y a de salut que par la croix, et de vie que par elle»
L’écoinçon de la trifora de Notre-Dame de Mayphouq avec son inscription sotériologique. ©Amine Jules Iskandar
La triple baie parle ici explicitement du salut. Ailleurs, elle l’évoque par la lumière de la Sainte-Trinité et par la fleur de la grâce divine confrontée aux serpents. L’épigraphe vient donc appuyer les symboles dans la transmission du message sotériologique.
Un autre témoignage vient encore confirmer l’attribution d’un sens à chacun des éléments et des motifs. Il s’agit d’une photo du XIXe siècle qui montre le chantier d’une maison dans le Mont-Liban. En y regardant de plus près, nous y reconnaissons un architecte supervisant les travaux. Il s’agit d’un prêtre. Car l’Église, maronite, grecque ou arménienne, fut toujours, comme en Occident, l’école, l’université et l’hôpital. Elle initiait les arts et l’identité en même temps qu’elle formait la liturgie et la spiritualité. Comme leur Église, les Libanais furent profondément imprégnés par la valeur sotériologique qu’ils exprimèrent à la fois dans leurs architectures profane et sacrée.
Chantier d’une maison au 19e siècle avec le prêtre supervisant les travaux.
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