L’État aux cancéreux: sauve qui peut!
Le secteur pharmaceutique agonise. Comme si la pénurie des traitements oncologiques ne suffisait pas, une nouvelle crise de médicaments vient aujourd’hui secouer les patients cancéreux au Liban, celle de la pénurie des substances morphiniques.

«Vous avez condamné à mort les patients cancéreux, laissez-les au moins mourir sans douleur», lance à brûle-pourpoint Hani Nassar, président de l’association Barbara Nassar pour le soutien psychologique et financier des cancéreux au Liban. Cette déclaration déconcertante survient à la suite de la pénurie de la majorité des morphiniques sur le marché libanais (c’est-à-dire la morphine et les substances apparentées à cet opioïde), des antalgiques dits de palier III préconisés pour le traitement des douleurs intenses ou non soulagées par les autres analgésiques, notamment en oncologie. Une nouvelle pénurie qui advient alors qu’une crise de médicaments sans précédent ébranle, depuis des mois, le secteur pharmaceutique.

Un mal atroce


Jean, un sexagénaire atteint d’un glioblastome (cancer du cerveau), raconte pour Ici Beyrouth le calvaire quotidien des patients cancéreux pour se procurer d’une part leurs médicaments anticancéreux et d’autre part leurs morphiniques: «L’État nous a privés de notre dignité en nous abandonnant à notre triste sort», s’insurge-t-il. «Depuis le début de la crise des médicaments, le cycle normal de notre traitement a été saccadé, et aujourd’hui on nous inflige un mal encore plus atroce, celui de supporter nos effroyables douleurs avec la rupture de la morphine. Il semble que même mourir en paix est de trop dans ce pays.» En effet, depuis plusieurs mois, les opioïdes oraux demeurent des substances pharmaceutiques rares, presqu’introuvables dans les pharmacies au Liban. En revanche, les opioïdes injectables, tels que le chlorhydrate de morphine, l’oxycodone et le fentanyl, restent disponibles, pour le moment, dans les hôpitaux.

Pénurie et court-circuit illicite?


Afin de faire le point sur cette situation alarmante, Ici Beyrouth a contacté dix pharmacies de renom à Beyrouth, au Mont-Liban, au Liban-Nord et au Liban-Sud, parmi les soixante-six autorisées par le ministère de la Santé à dispenser des médicaments narcotiques, et leur a demandé si la MST (sigle anglais de morphine slow release tablet), une morphine orale à libération lente, dosée à 100 mg est disponible. Les pharmaciens gérants ont unanimement affirmé n’en avoir reçu aucune boîte depuis trois mois pour certains, cinq, voire huit mois pour d’autres. Toutefois, un patient révèle à notre site qu’une pharmacie, située à Beyrouth, avait répondu par l’affirmative à sa demande en proposant de lui procurer ce médicament, par le biais des importations parallèles illicites, pour un prix de 188 dollars la boîte. Ce même opioïde coûterait 371.000 livres libanaises sur le marché libanais, soit 15,39 dollars selon le taux de change de 24.100 livres en vigueur au marché noir, d’après la nouvelle liste tarifaire du ministère de la Santé, mise à jour le 8 avril. Ici Beyrouth est entré en contact avec ladite pharmacie qui a nié ces propos en précisant qu’elle «n’a jamais importé et ne peut pas importer ce genre de médicament».

Une crise dans l’ombre


Pour une fois, toutes les parties impliquées dans le système de santé (ou presque) semblent d’accord: «Nous ne sommes pas au courant d’une telle pénurie», ont-ils tous affirmé à Ici Beyrouth, préférant ne pas se prononcer sur ce sujet. Le président du syndicat des importateurs de médicaments, Karim Jebara, précise toutefois que le problème qui entrave l’importation des opioïdes et des autres médicaments, tels que les traitements anticancéreux et les médicaments des maladies chroniques, est le même: le manque de liquidité en devises étrangères. Parallèlement, une source autorisée a expliqué, pour notre site, que le ministère de la Santé avait donné, depuis plusieurs mois déjà, son approbation pour l’importation de ces substances, mais que la «nonchalance et le manque de réactivité» de la Banque centrale ont mené le système de santé à toucher le fond de l’abîme.


«Afin de répondre au besoin crucial de ce médicament, le ministère a contacté l’importateur et un accord a été conclu pour l’importer sans attendre l’approbation de la Banque centrale», a souligné, vendredi soir, le bureau de presse du ministre de la Santé. «Par conséquent, ce médicament devrait être disponible sur le marché dans un délai n’excédant pas une semaine, ajoute-t-il. Le ministère déploie tous les efforts nécessaires pour accélérer le processus d’importation des médicaments et réclame aux concernés d’accorder à ce sujet la plus haute priorité humanitaire, en particulier en ce qui concerne les médicaments des maladies cancéreuses et incurables, étant donné que les patients souffrant de ces dernières ne peuvent tolérer aucun retard dans leur traitement.»

Des quantités insuffisantes


Malgré la décision optimiste et pragmatique prise par le ministère de la Santé pour accélérer l’importation des opioïdes oraux, Hani Nassar semble pessimiste quant à la résolution de ce problème qu’il qualifie de «massacre collectif». Selon lui, le feu vert a uniquement été donné pour «l’importation d’une vingtaine de boîtes, alors que le nombre de patients nécessitant un traitement par opioïdes dépasse la centaine».

Il convient finalement de se poser quelques questions: jusqu’à quand l’État poursuivra-t-il son «génocide de sang-froid perpétré par nonchalance», comme nous l’avions dénoncé le 1er janvier dernier? Jusqu’à quand le Liban demeurera-t-il le pays des solutions provisoires en demi-teinte? Jusqu’à quand les patients en général et les cancéreux en particulier devront-ils mendier leur droit à la vie? «Je compte les heures et les minutes en priant le bon Dieu de mettre fin à mes douleurs... et à mes jours», déclare Nicole, une jeune femme de 32 ans, atteinte d’un cancer du sein métastatique. À bon entendeur?

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