Saint-Georges, protège Beyrouth
Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, il y a comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de nous reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots de récupérer notre territoire.

Mar Gerios, Jiryis, Khodr, al-Khadir… autant d’appellations pour désigner le chevalier de Beyrouth, le saint protecteur de la ville, le patron des marins et l’annonciateur du printemps. C’est que Georges, prince de Cappadoce, symbolise tant de choses, mais surtout la lutte incessante entre le bien et ce mal qui avait longtemps mis toute une ville à genoux. En ce 23 avril, date où l’on célèbre sa fête, mais qui est aussi l’anniversaire de sa mort, survenue en 303, la symbolique de la légende revêt tout son sens en ces temps obscurs où le mal a craché son venin sur tout un peuple exsangue.

Il y a comme une envie donc de se rappeler les principales qualités de ce vaillant guerrier qui, un jour lointain, n’a pas hésité à mettre sa vie en danger pour affronter un dragon, synonyme du mal, mais aussi de l’invincibilité. Bravoure, courage, grandeur d’âme, héroïsme, tant de qualités qui ont comme disparu dans le brouillard malsain des luttes de pouvoir, mais dont se souviennent les pierres et les images d’un pays qui voue, en toute connaissance de cause, un véritable culte à Saint Georges.

On ne compte plus les églises vouées au saint martyr qui a sauvé Beyrouth d’un monstre qui dévorait ses enfants. C’est en Cappadoce que Georges de Sébaste voit le jour vers 275. À la mort de son père, sa mère, convertie au christianisme, retourna dans sa patrie, la Palestine. C’est là que Georges grandit et qu’il décide de rejoindre l’armée romaine. Il se distingue vite par sa bravoure, notamment lors de batailles en Angleterre, et il est rapidement élevé au garde de tribun de la garde impériale. Il se convertit au christianisme et distribue ses biens aux pauvres. Il sera emprisonné sous le règne de l’empereur Dioclétien et subira des tortures atroces durant plusieurs années sans jamais renier sa foi. Il sera finalement décapité le 23 avril 303 à Lydda, en Palestine, où se trouve sa tombe. La baie de Beyrouth porte aujourd’hui le nom de ce saint patron des marins, vénéré au Liban par les chrétiens comme par les musulmans qui lui donnent le nom de Khodr, qui veut dire vert en arabe, ou de khadir, symbole du renouveau de la nature à chaque printemps.



Mais au-delà de l’histoire il y a la légende. Ce serait bien sur les rives du fleuve de Beryte que s’est déroulé le combat héroïque. Venu de l’enfer et surgissant d’un puits (un des nombreux que compte Beyrouth) un dragon terrorisait les habitants de la ville et imposait sa loi. Le monstre exigea un jour qu’on livrât à son appétit démesuré la fille du roi. Mais au moment où la malheureuse allait être dévorée, surgit sur son cheval blanc, lance à la main, Georges, prince de Cappadoce. Il lutta durant des heures contre le dragon, mais son courage et sa force finirent par triompher du mal incarné et il délivra Beyrouth de son affreux cauchemar. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été promu protecteur de la ville.


Les habitants reconnaissants élevèrent sur le lieu du combat une chapelle où, raconte-t-on, une colonne en marbre déposée par Sainte Hélène aurait des vertus miraculeuses. C’est en 1661 que la chapelle devint la mosquée al-Khodr et la légende est vite rattrapée par l’histoire puisqu’en janvier 1928, l’historien et archéologue Robert du Mesnil du Buisson affirme, suite à ses travaux et recherches, que le lieu du combat de Saint Georges et du dragon se situerait là où se dresse aujourd’hui la mosquée, laquelle a d’ailleurs donné son nom au quartier.

Et il ne sera pas le seul à l’affirmer puisque tout au long des siècles, les pèlerins, visiteurs et historiens ont laissé divers témoignages.

«À deux petits milles de la cité est l’endroit où saint Georges tua le dragon, délivrant de ses attaques une vierge, fille du roi, et tout un peuple. Là se dresse, seule dans la campagne, une église auprès de laquelle nous avons vu les antres et les cavernes qu’habita ce dragon, dans le voisinage du château du roi, dont les fondations sont encore visibles aujourd’hui…» Anselme Adorno (1470): Anselmi Adournes itinerarium Terrae Sanctae.

«Barut était célèbre par la légende de Saint Georges, car c’est là que demeurait le roi dont la fille fut délivrée par le pieux guerrier. On montrait encore, en ville, les ruines de son palais; on montrait aussi, dans les environs, les marécages qui servaient de repaire au hideux dragon…» Josse van Ghistele (1481-1485): Le voyage en Orient.

La mosquée Khodr a été visitée par l’évêque anglican Richard Pococke le 1er juillet 1737. Voici ce qu’il en dit:  «Nous sommes parvenus au lieu où saint Georges tua le dragon. Dans cette mosquée j’ai assisté à une extraordinaire cérémonie accomplie par un des turcs qui m’accompagnaient; assis par terre, le religieux en charge de la mosquée détacha un petit morceau de marbre d’une colonne réputée pour ses extraordinaires vertus curatives et le promena longuement sur le dos du Turc.»

Saint Martyr, l’église a fait de saint Georges un saint universel. Il est le saint patron de l’Angleterre et son combat est représenté sur bon nombre d’icônes et de tableaux. Les églises vouées à son culte ont essaimé partout dans le monde. Beyrouth s’est naturellement approprié Mar Gerios, peut-être parce que chez nous les dragons sont légion, à toutes les époques et dans tous les temps. Insatiables et continuant à dévorer les fils et filles de la ville. Le mal est parmi nous encore et toujours. Alors, saint Georges, symbole de la lutte contre les forces du mal, mais aussi et surtout allégorie de notre éternel combat contre nos propres démons et notre malheureuse destinée?

 
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