Beyrouth: Plus rien ne fonctionne. Même pas la vie. Les persiennes sont closes chez nous et nous attendons la fin. La fin de quoi, on ne sait pas. On respire, à peine, et puis c’est tout. D’aussi loin que je nous observe, après les multiples guerres, privations, frustrations, rêves tués, blessures et brisures, comme une acceptation licite de notre sort. Comme si nous étions responsables de ce qui nous arrivait. Comme si nous devions expier les quelques moments de pur bonheur que la terre généreuse de notre pays nous donne parfois. Comme si, aussi et surtout, nous étions de vrais masochistes. Dans la définition du masochisme il est question d’humiliation, de laquelle on tire du plaisir, du comportement de quelqu’un qui semble rechercher les situations où il souffrira, sera mal, en difficulté. Dans la grande tambouille qu’est devenu le pays, on est là, flasques et léthargiques, mous et résignés, hagards et impuissants. La colère nous a désertés, l’acceptation l’a remplacée. On fait la queue, on encaisse les coups et les misérables salaires, on tâtonne dans le noir, on ne va plus au restaurant, on achète des marques inconnues, on ne mange plus ce qu’on aimait manger, on ne prend plus la peine de se faire beau, propre, élégant, soigné. Notre vie actuelle (enfin juste l’acte de respirer) ne ressemble plus en rien à celle d’avant. On ne dit rien pourtant.
Rien. On pense qu’on est quand même mieux loti que d’autres, que le voisin qui ne peut plus payer sa dialyse, que la tante qui a le cancer et pas d’accès aux soins, que le cousin qui ne peut plus payer les études de ses enfants. Bref on se dit résilients et courageux. En réalité on est masos. Totalement masos. On accepte l’insensé et on redéfinit le bon sens. On avale des boas constrictors presque sans peine. On regarde tous les jours les affiches électorales de nos bourreaux qui se proclament «amis du peuple» et on ne les déchire même pas. On écoute jusqu’à l’écœurement des «tocs shows» où les pires bêtises nous sont assénées sans honte et on se contente de soupirer. On attend chaque conseil des ministres ou assemblée nationale pour voir à quelle sauce on va être mangés. Même nos agresseurs sont surpris de notre soumission. Sommes-nous nés peuple maso ou est-ce le résultat de 47 ans d’humiliation non-stop? Avons-nous été si longtemps les enfants mal-aimés et battus d’une nation violée qu’on ne sait plus où est le chemin de la dignité? Et pourtant, parfois on redresse la tête, on dépoussière le drapeau et on descend dans la rue chercher la clé pour sortir du schéma sado-maso qu’on perpétue depuis si longtemps. Mais, étrangement, et alors qu’on est presque sur le point de faire tomber la cathédrale sadique, on recule, on baisse la tête et on range le drapeau. Mais masochisme rime aussi avec schisme et il serait grand temps qu’on les laisse partir, ces sados machos de qui, cela va de soi, nous ne serons plus les masos. Votons donc. Votons véto
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