Le Mont-Liban chrétien, la ville sunnite de Tripoli ou encore les quartiers arméniens de Beyrouth: trois fiefs des plus puissantes communautés libanaises, trois circonscriptions où le Hezbollah, le puissant parti pro iranien, pourrait progresser lors des législatives du 15 mai prochain. Mais jusqu’à quel point? C’est toute la question de ce scrutin où se joue l’avenir du Liban et où les chiites, alliés au président de la République Michel Aoun semblent faire la course en tête.
Voici le premier volet de notre série sur les échéances électorales décisives que traverse le Liban: les législatives dimanche prochain et la présidentielle cet automne.
Ce qui était une simple milice armée tolérée au nom de la Résistance contre le voisin israélien est en train de devenir la force politique dominante au Liban à quelques jours des élections du 15 mai
Malgré une terrible guerre civile et des occupations successives des Syriens et des Israéliens, le Liban d’hier était parvenu, notamment dans les années Hariri, à devenir un havre de prospérité dans un Moyen-Orient instable. L’alliance des bourgeoisies chrétienne et sunnite, avec l’appui de quelques potentats chiites, avait construit un paradis fiscal prospère pour toutes les couches de la société, imprégnée peu ou prou par une culture démocratique. Sous réserve de quelques sérieuses entorses à la transparence financière et aux équilibres communautaires, qui avaient largement marginalisé une grande majorité des chiites.
Balayé par un tsunami financier déclenché voici deux ans, ce fragile édifice risque demain de s’effondrer. La montée en puissance du Hezbollah, le parti chiite radical, pourrait faire du Liban une province de la République iranienne. Or les partisans du très redoutable Hassan Nasrallah sont en train de prendre l’avantage sur les autres forces politiques du pays, y compris ces indépendants et adeptes d’un «dégagisme» général, mais dont les nombreuses listes présentes aux élections ont du mal à percer.
L’enjeu des élections législative qui devraient se tenir ce 15 mai dans un pays en état de choc social est la suprématie possible du parti pro-iranien. Ce qui se dessine en effet est une victoire électorale des chiites du Hezbollah et de ses alliés du mouvement Amal qui, portés par une loi électorale inique, semblent devoir dominer les résultats du scrutin de dimanche.
A la conquête du Mont Liban
Pour la première fois de l’histoire du Liban, un député du Hezbollah devrait être élu au coeur du Mont-Liban, le sanctuaire de la communauté maronite où se trouve le patriarcat de Bkerké.
En s’éloignant de Beyrouth par cette route en lacets qui gagne les montagnes enneigées, le voyageur pénètre au coeur du sanctuaire chrétien. Le Mont-Liban abrite à la fois le patriarcat maronite, né voici quatorze siècles et le seul casino du Moyen-Orient. Les villages sont accrochés au flanc de la montagne, les terrasses cultivées comme autant de jardins suspendus, les rixes fréquentes et les églises très fréquentées. À la façon des Corses! Sauf que l’identité du Mont-Liban est marquée par un fort communautarisme, mais aussi par l’ouverture au vaste monde où vit une diaspora nombreuse, active et solidaire de la mère patrie.
À l’entrée du village de Kartaba, le Dr Farès Souhaid accueille au seuil de sa vielle demeure familiale les amis et voisins venus apporter leur soutien à la liste qu’il conduira le 15 mai prochain: huit sièges à pourvoir, sept chrétiens et un chiite, en raison de la présence d’une minorité musulmane.
Petit fils d’un médecin apothicaire formé à Paris en 1909, Farès Souhaid est connu pour son combat contre l’occupation syrienne en 2005 et pour son engagement aujourd’hui contre les milices armées chiites. Les voitures balisées des militants du Hezbollah rôdent parfois, comme ces jours-ci, jusque dans le village chrétien; menace discrète d’un mouvement capable d’assassinats ciblés contre ses opposants. «Nous nous battons au Mont-Liban sur le front culturel pour défendre notre mode de vie occidental, les plages, l’alcool ou le festival international de Byblos». « pour la première fois dans l’histoire de notre région, prévient-il inquiet, le Hezbollah devrait remporter un des huit sièges en jeu. Leur candidat qui réside dans la banlieue-sud de Beyrouth n’a rien à voir avec sa région d’origine». «Tout était en notre faveur au Liban; nous possédions un joyau, explique une de ses soeurs présentes ce dimanche, mais cela s’est effondré».
Cardiologue de formation et brillant intellectuel, Farès Antoun Souhaid s’est engagé en 2005 comme coordinateur du secrétariat général de l’alliance du 14 Mars, le mouvement qui exigea, avec succès, la fin de l’occupation syrienne du Liban en 2005.
Dans les villages du Mont-Liban blottis autour de leurs églises, le sentiment d’encerclement par les forces hostiles chiites est palpable. Des routes sont construites qui traversent désormais la montagne chrétienne pour relier la région de la Békaa, fief du Hezbollah, à la mer. Ce que certains fantasment comme la volonté de Téhéran d’ouvrir, via ses alliés libanais, des couloirs jusqu’à la Méditerranée.
Autre sujet d’inquiétude pour les populations chrétiennes, le cadastre, créé sous le protectorat français en 1926, a laissé un tiers des terres sans bornage, à l’exception des ruisseaux et autres arbres fruitiers qui créent un réel sentiment d’insécurité. D’où des conflits permanents entre chrétiens et musulmans. La bataille cadastrale, comme l’appelle Farès Souhaid, est devenue prioritaire dans sa campagne. «L’heure de la Reconquista a sonné pour les chiites, explique le candidat, leur tour est venu puisque les chrétiens auraient été favorisés par le patriarcat». Et de dénoncer «ces deux cent millions de mètres carrés qui auraient été volés dans les villages d’Oura, Akqa ou Lassa». «La stabilité cadastrale, insiste-t-il, est aussi essentielle que la stabilité financière».
Le Hezbollah prend pied à Tripoli
Poursuivons notre carnet de route par Tripoli, capitale du sunnisme libanais et deuxième ville du pays, où onze listes sont en concurrence le 15 mai prochain. Tripoli a toujours été la chasse gardée de la Syrie, avant leur départ voici une quinzaine d’années, et de l’Arabie Saoudite. L’ambassadeur saoudien est venu encore en avril dernier partager sur place une rupture du jeûne, même si le royaume wahabite, déçu par le recul des sunnites libanais, est désormais très en retrait sur la scène politique libanaise.
Or la surprise, la voici: Tripoli est désormais courtisée par le Hezbollah chiite. Et cela avec un certain succès!
À la tête de la liste où sont représentées toutes les facettes de l’islamisme sunnite, l’héritier d’une grande famille de Tripoli, Fayçal Karamé, allié au Hezbollah, devrait arriver en tête par le nombre d’élus. La liste qui est créditée du plus grand nombre d’élus à Tripoli, entre trois et quatre sur onze, est parrainée à distance par le Hezbollah qui déverse des fonds humanitaires dans les banlieues de la ville. À la tête de ce rassemblement, se trouve Fayçal Karamé, héritier d’une grande famille sunnite de la ville, tout comme l’actuel chef de gouvernement libanais et une des plus grandes fortunes du pays, Nagib Mikati.
Fayçal Karamé jouit d’une solide réputation. Fils de l’ancien Premier ministre Omar Karamé, il a été ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement Mikati en 2011.
Sauf que Karamé ratisse large désormais pour imposer sa liste. Parmi ses colistiers figure pourtant toute une palette de responsables islamistes, plus ou moins recommandables. Ahmed el-Amine, salafiste notoire aux prêches enflammés, est l’un d’eux. Son propre fils a été accusé de faire partie des groupes armés de Daech (voir ci dessous son portrait et plus bas son enseignement coranique totalement rétrograde).
La surprise à Tripoli, la voici: Fayçal Karamé a noué, via cette liste improbable, une alliance assumée avec le Hezbollah et ses alliés syriens et iraniens. C’est lui qui se rend dans la banlieue-sud de Beyrouth, où se trouve le fief du Hezbollah, et qu’il rencontre régulièrement le chef du renseignement du parti chiite Wafic Safa. Du moins quand il ne voyage pas à Damas pour prendre les consignes, comme à la belle époque où la sodatesque syrienne occupait le Liban.
Pourquoi un notable sunnite se livre, armes et bagages aux alaouites syriens et aux chiites du Hezbollah? Comment la capitale du sunnisme libanais en arrive-t-elle à préférer les alliés des chiites à la liste du général Achraf Rifi, l’ex-patron des FSI (Forces de sécurité intérieure) à la retraite qui était récemment à Paris pour être consulté par les Français et les Saoudiens en raison de sa bonne réputation? Or ce gradé ne devrait obtenir tout au plus, d’après les experts de la géographie électorale locale, qu’un seul élu.
Pour s’imposer à Tripoli, les chiites de Hassan Narallah sont prêts à faire une alliance avec le diable islamiste, qu’ils ont toujours combattu. Et ils l’ont fait notamment grâce aux fonds dont le mouvement chiite dispose grâce à ses liens avec l’Iran et grâce aux multiples trafics qu’il organise via son contrôle de la Sûreté générale (ports, frontières et aéroports). «Pour comprendre une telle situation, il faut comprendre que la plupart des électeurs à Tripoli vivent une situation économique dramatique. Le matin, tu rencontres quelqu’un qui vote pour un candidat et le soir pour un autre. L’explication, c’est l’argent qui permet d’acheter les votes», commente un notable de la ville. Et d’ajouter: «Les élections sont devenues un business. Un vote vaut entre 100 et 500 dollars, soit une fortune lorsque le dollar s’échange contre 25.000 livres libanaises, alors qu’il en valait 1.500 voici trois ans encore».
Ces Arméniens acquis à Damas
Les Arméniens de Beyrouth se mobilisent, le 9 octobre 2020, dans leur quartier de Bourj Hammoud pour affirmer leur solidarité avec le Haut Karabach attaqué par les Azéris
Après le Mont-Liban et la ville de Tripoli, Mondafrique a sondé les électeurs des quartiers arméniens de Beyrouth qui enverront six représentants dans un Parlement de 128 élus. Ce qui n’est pas négligeable.
La Fédération arménienne révolutionnaire, plus communément baptisée «Tachnag», implantée au Liban depuis les années 1920, après l’arrivée massive d’Arméniens fuyant le génocide en Turquie, est aujourd’hui le parti arménien le plus influent sur la scène libanaise. Trois des six députés sortants sont affiliés à ce mouvement. Or depuis 2005, le Tachnag a rejoint le camp syro-iranien et conclu une alliance avec le Hezbollah et son allié, le Courant patriotique (CPL) libre du gendre du président Aoun, Gebran Bassil.
Seulement voilà, ces trois élus ont été discrètement approchés par certains de leurs amis du camp opposé au Hezbollah. Des palabres ont eu lieu dans un restaurant huppé du centre de Beyrouth. L’Arabie Saoudite a envoyé des émissaires à Beyrouth pour les rencontrer. Ils ont fait valoir à leurs interlocuteurs que dans le conflit qui avait éclaté au Haut Karabach à l’automne dernier, le prince héritier Mohammed ben Salmane avait, pour la première fois, soutenu l’Arménie contre l’Azerbaïdjan.
L’oukaze des Syriens
En janvier dernier, la volte-face des trois élus arméniens était annoncée comme imminente. Le secrétaire général du parti Tachnag, Hagop Pakradounian, était prêt à rompre avec le Courant patriotique libre de Gebran Bassil et donc avec ses alliés du Hezbollah. Du moins jusqu’à la convocation par le président syrien Bachar el-Assad des dirigeants du parti arménien à Damas où on les somma de maintenir une alliance privilégiée avec le camp présidentiel. «Les clés étaient à Damas, explique un proche du Tachnag. La Syrie a mis fin à tout rapprochement avec les adversaires du Hezbollah».
Les bras de fer entre «parrains» régionaux du Liban, qu’il s’agisse des Syriens ou des Saoudiens, a tourné en faveur de Damas. Une grande partie du vote arménien est désormais une chasse gardée du Hezbollah. La force du mouvement chiite est d’avoir su cultiver des liens avec la plupart des communautés religieuses libanaises. Autant d’alliances souples et sophistiquées qui ont fait désormais du mouvement de Hassan Nasrallah l’épicentre du système politique libanais.
Le Hezbollah en tête des partis
Un sondage, commandé par la fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) et réalisé par la société Statistics Lebanon, permet d’avoir un aperçu des intentions de vote pour les législatives prévues le 15 mai. Il avait été publié au début du mois (1). Première indication intéressante, 25,7% des personnes interrogées disent vouloir voter pour une liste indépendante en mai.
Parmi les partis politiques en place, le Hezbollah arrive en tête avec 14,7% des intentions de vote, suivi par les groupes représentant la contestation populaire du 17 octobre 2019, avec 12,3%. Viennent ensuite les Forces libanaises (chrétiennes anti-Hezbollah) avec 11,5% et le Courant patriotique libre (chrétien pro-Hezbollah) avec 6,8% des intentions de vote.
Durant le ramadan en avril, on a assisté à une scène inédite. Les deux frères ennemis du camp chrétien, Gebran Bassil et Sleiman Frangié, candidats concurrents aux fonctions de président réservées à un membre de leur communauté, ont été reçus par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, pour un «iftar». Histoire de calmer le jeu et d’organiser l’avenir du pays.
C’est désormais le Hezbollah qui semble être le faiseur de rois au Liban. Sous réserve d’une situation sécuritaire qui reste stable malgré un contexte régional en pleine ébullition. Et à moins d’une mobilisation de dernière minute chez les adversaires du parti chiite qui restent malgré tout, d’après les sondages, la majorité de la population.
Il faudrait encore qu’un véritable front se dessine entre les éléments les moins gangrenés du système politique actuel et les forces nées des grandes mobilisations populaires de ces dernières années. Michel Moawad, qui avait démissionné, comme quelques autres, de son mandat de député très peu de jours après l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, avait plaidé pour une telle alliance. «Il s’agissait par ma démission, dit-il, de lancer un triple message: un message éthique et d’empathie pour le peuple libanais atteint par la catastrophe; une remise en cause et un aveu d’échec de mon choix politique aux côtés de Michel Aoun sur la base duquel j’ai été élu en 2018; enfin un message de mobilisation pour participer à structurer l’opposition et les forces du changement.(2)»
Un activiste de la société civile, Malek, très embrigadé dans les mobilisations des dernières années et aujourd’hui engagé dans le soutien aux listes dites «indépendantes», ne dit pas autre chose: «Le 17 octobre 2019 a marqué le début d’une nouvelle ère politique au Liban. Mais la gestation sera longue, il faut laisser l’enfant grandir».
(https://mondafrique.com/serie-liban-1-le-hezbollah-grand-favori-des-elections-du-15-mai/)
1 Ce sondage a été réalisé sur une période s’étendant entre les 10 et 15 décembre 2021, auprès d’un échantillon de 1.200 Libanais de plus de 21 ans, équitablement répartis par genre, région, confession, classe sociale et niveau d’éducation.
(2) Entretien avec Mondafrique
Dans un deuxième article de cette série consacrée au Liban appelé aux urnes dimanche 15 mai, Mondafrique reviendra sur les élections au sud du pays, devenu une forteresse chiite imprenable.
Voici le premier volet de notre série sur les échéances électorales décisives que traverse le Liban: les législatives dimanche prochain et la présidentielle cet automne.
Ce qui était une simple milice armée tolérée au nom de la Résistance contre le voisin israélien est en train de devenir la force politique dominante au Liban à quelques jours des élections du 15 mai
Malgré une terrible guerre civile et des occupations successives des Syriens et des Israéliens, le Liban d’hier était parvenu, notamment dans les années Hariri, à devenir un havre de prospérité dans un Moyen-Orient instable. L’alliance des bourgeoisies chrétienne et sunnite, avec l’appui de quelques potentats chiites, avait construit un paradis fiscal prospère pour toutes les couches de la société, imprégnée peu ou prou par une culture démocratique. Sous réserve de quelques sérieuses entorses à la transparence financière et aux équilibres communautaires, qui avaient largement marginalisé une grande majorité des chiites.
Balayé par un tsunami financier déclenché voici deux ans, ce fragile édifice risque demain de s’effondrer. La montée en puissance du Hezbollah, le parti chiite radical, pourrait faire du Liban une province de la République iranienne. Or les partisans du très redoutable Hassan Nasrallah sont en train de prendre l’avantage sur les autres forces politiques du pays, y compris ces indépendants et adeptes d’un «dégagisme» général, mais dont les nombreuses listes présentes aux élections ont du mal à percer.
L’enjeu des élections législative qui devraient se tenir ce 15 mai dans un pays en état de choc social est la suprématie possible du parti pro-iranien. Ce qui se dessine en effet est une victoire électorale des chiites du Hezbollah et de ses alliés du mouvement Amal qui, portés par une loi électorale inique, semblent devoir dominer les résultats du scrutin de dimanche.
A la conquête du Mont Liban
Pour la première fois de l’histoire du Liban, un député du Hezbollah devrait être élu au coeur du Mont-Liban, le sanctuaire de la communauté maronite où se trouve le patriarcat de Bkerké.
En s’éloignant de Beyrouth par cette route en lacets qui gagne les montagnes enneigées, le voyageur pénètre au coeur du sanctuaire chrétien. Le Mont-Liban abrite à la fois le patriarcat maronite, né voici quatorze siècles et le seul casino du Moyen-Orient. Les villages sont accrochés au flanc de la montagne, les terrasses cultivées comme autant de jardins suspendus, les rixes fréquentes et les églises très fréquentées. À la façon des Corses! Sauf que l’identité du Mont-Liban est marquée par un fort communautarisme, mais aussi par l’ouverture au vaste monde où vit une diaspora nombreuse, active et solidaire de la mère patrie.
À l’entrée du village de Kartaba, le Dr Farès Souhaid accueille au seuil de sa vielle demeure familiale les amis et voisins venus apporter leur soutien à la liste qu’il conduira le 15 mai prochain: huit sièges à pourvoir, sept chrétiens et un chiite, en raison de la présence d’une minorité musulmane.
Petit fils d’un médecin apothicaire formé à Paris en 1909, Farès Souhaid est connu pour son combat contre l’occupation syrienne en 2005 et pour son engagement aujourd’hui contre les milices armées chiites. Les voitures balisées des militants du Hezbollah rôdent parfois, comme ces jours-ci, jusque dans le village chrétien; menace discrète d’un mouvement capable d’assassinats ciblés contre ses opposants. «Nous nous battons au Mont-Liban sur le front culturel pour défendre notre mode de vie occidental, les plages, l’alcool ou le festival international de Byblos». « pour la première fois dans l’histoire de notre région, prévient-il inquiet, le Hezbollah devrait remporter un des huit sièges en jeu. Leur candidat qui réside dans la banlieue-sud de Beyrouth n’a rien à voir avec sa région d’origine». «Tout était en notre faveur au Liban; nous possédions un joyau, explique une de ses soeurs présentes ce dimanche, mais cela s’est effondré».
Cardiologue de formation et brillant intellectuel, Farès Antoun Souhaid s’est engagé en 2005 comme coordinateur du secrétariat général de l’alliance du 14 Mars, le mouvement qui exigea, avec succès, la fin de l’occupation syrienne du Liban en 2005.
Dans les villages du Mont-Liban blottis autour de leurs églises, le sentiment d’encerclement par les forces hostiles chiites est palpable. Des routes sont construites qui traversent désormais la montagne chrétienne pour relier la région de la Békaa, fief du Hezbollah, à la mer. Ce que certains fantasment comme la volonté de Téhéran d’ouvrir, via ses alliés libanais, des couloirs jusqu’à la Méditerranée.
Autre sujet d’inquiétude pour les populations chrétiennes, le cadastre, créé sous le protectorat français en 1926, a laissé un tiers des terres sans bornage, à l’exception des ruisseaux et autres arbres fruitiers qui créent un réel sentiment d’insécurité. D’où des conflits permanents entre chrétiens et musulmans. La bataille cadastrale, comme l’appelle Farès Souhaid, est devenue prioritaire dans sa campagne. «L’heure de la Reconquista a sonné pour les chiites, explique le candidat, leur tour est venu puisque les chrétiens auraient été favorisés par le patriarcat». Et de dénoncer «ces deux cent millions de mètres carrés qui auraient été volés dans les villages d’Oura, Akqa ou Lassa». «La stabilité cadastrale, insiste-t-il, est aussi essentielle que la stabilité financière».
Le Hezbollah prend pied à Tripoli
Poursuivons notre carnet de route par Tripoli, capitale du sunnisme libanais et deuxième ville du pays, où onze listes sont en concurrence le 15 mai prochain. Tripoli a toujours été la chasse gardée de la Syrie, avant leur départ voici une quinzaine d’années, et de l’Arabie Saoudite. L’ambassadeur saoudien est venu encore en avril dernier partager sur place une rupture du jeûne, même si le royaume wahabite, déçu par le recul des sunnites libanais, est désormais très en retrait sur la scène politique libanaise.
Or la surprise, la voici: Tripoli est désormais courtisée par le Hezbollah chiite. Et cela avec un certain succès!
À la tête de la liste où sont représentées toutes les facettes de l’islamisme sunnite, l’héritier d’une grande famille de Tripoli, Fayçal Karamé, allié au Hezbollah, devrait arriver en tête par le nombre d’élus. La liste qui est créditée du plus grand nombre d’élus à Tripoli, entre trois et quatre sur onze, est parrainée à distance par le Hezbollah qui déverse des fonds humanitaires dans les banlieues de la ville. À la tête de ce rassemblement, se trouve Fayçal Karamé, héritier d’une grande famille sunnite de la ville, tout comme l’actuel chef de gouvernement libanais et une des plus grandes fortunes du pays, Nagib Mikati.
Fayçal Karamé jouit d’une solide réputation. Fils de l’ancien Premier ministre Omar Karamé, il a été ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement Mikati en 2011.
Sauf que Karamé ratisse large désormais pour imposer sa liste. Parmi ses colistiers figure pourtant toute une palette de responsables islamistes, plus ou moins recommandables. Ahmed el-Amine, salafiste notoire aux prêches enflammés, est l’un d’eux. Son propre fils a été accusé de faire partie des groupes armés de Daech (voir ci dessous son portrait et plus bas son enseignement coranique totalement rétrograde).
La surprise à Tripoli, la voici: Fayçal Karamé a noué, via cette liste improbable, une alliance assumée avec le Hezbollah et ses alliés syriens et iraniens. C’est lui qui se rend dans la banlieue-sud de Beyrouth, où se trouve le fief du Hezbollah, et qu’il rencontre régulièrement le chef du renseignement du parti chiite Wafic Safa. Du moins quand il ne voyage pas à Damas pour prendre les consignes, comme à la belle époque où la sodatesque syrienne occupait le Liban.
Pourquoi un notable sunnite se livre, armes et bagages aux alaouites syriens et aux chiites du Hezbollah? Comment la capitale du sunnisme libanais en arrive-t-elle à préférer les alliés des chiites à la liste du général Achraf Rifi, l’ex-patron des FSI (Forces de sécurité intérieure) à la retraite qui était récemment à Paris pour être consulté par les Français et les Saoudiens en raison de sa bonne réputation? Or ce gradé ne devrait obtenir tout au plus, d’après les experts de la géographie électorale locale, qu’un seul élu.
Pour s’imposer à Tripoli, les chiites de Hassan Narallah sont prêts à faire une alliance avec le diable islamiste, qu’ils ont toujours combattu. Et ils l’ont fait notamment grâce aux fonds dont le mouvement chiite dispose grâce à ses liens avec l’Iran et grâce aux multiples trafics qu’il organise via son contrôle de la Sûreté générale (ports, frontières et aéroports). «Pour comprendre une telle situation, il faut comprendre que la plupart des électeurs à Tripoli vivent une situation économique dramatique. Le matin, tu rencontres quelqu’un qui vote pour un candidat et le soir pour un autre. L’explication, c’est l’argent qui permet d’acheter les votes», commente un notable de la ville. Et d’ajouter: «Les élections sont devenues un business. Un vote vaut entre 100 et 500 dollars, soit une fortune lorsque le dollar s’échange contre 25.000 livres libanaises, alors qu’il en valait 1.500 voici trois ans encore».
Ces Arméniens acquis à Damas
Les Arméniens de Beyrouth se mobilisent, le 9 octobre 2020, dans leur quartier de Bourj Hammoud pour affirmer leur solidarité avec le Haut Karabach attaqué par les Azéris
Après le Mont-Liban et la ville de Tripoli, Mondafrique a sondé les électeurs des quartiers arméniens de Beyrouth qui enverront six représentants dans un Parlement de 128 élus. Ce qui n’est pas négligeable.
La Fédération arménienne révolutionnaire, plus communément baptisée «Tachnag», implantée au Liban depuis les années 1920, après l’arrivée massive d’Arméniens fuyant le génocide en Turquie, est aujourd’hui le parti arménien le plus influent sur la scène libanaise. Trois des six députés sortants sont affiliés à ce mouvement. Or depuis 2005, le Tachnag a rejoint le camp syro-iranien et conclu une alliance avec le Hezbollah et son allié, le Courant patriotique (CPL) libre du gendre du président Aoun, Gebran Bassil.
Seulement voilà, ces trois élus ont été discrètement approchés par certains de leurs amis du camp opposé au Hezbollah. Des palabres ont eu lieu dans un restaurant huppé du centre de Beyrouth. L’Arabie Saoudite a envoyé des émissaires à Beyrouth pour les rencontrer. Ils ont fait valoir à leurs interlocuteurs que dans le conflit qui avait éclaté au Haut Karabach à l’automne dernier, le prince héritier Mohammed ben Salmane avait, pour la première fois, soutenu l’Arménie contre l’Azerbaïdjan.
L’oukaze des Syriens
En janvier dernier, la volte-face des trois élus arméniens était annoncée comme imminente. Le secrétaire général du parti Tachnag, Hagop Pakradounian, était prêt à rompre avec le Courant patriotique libre de Gebran Bassil et donc avec ses alliés du Hezbollah. Du moins jusqu’à la convocation par le président syrien Bachar el-Assad des dirigeants du parti arménien à Damas où on les somma de maintenir une alliance privilégiée avec le camp présidentiel. «Les clés étaient à Damas, explique un proche du Tachnag. La Syrie a mis fin à tout rapprochement avec les adversaires du Hezbollah».
Les bras de fer entre «parrains» régionaux du Liban, qu’il s’agisse des Syriens ou des Saoudiens, a tourné en faveur de Damas. Une grande partie du vote arménien est désormais une chasse gardée du Hezbollah. La force du mouvement chiite est d’avoir su cultiver des liens avec la plupart des communautés religieuses libanaises. Autant d’alliances souples et sophistiquées qui ont fait désormais du mouvement de Hassan Nasrallah l’épicentre du système politique libanais.
Le Hezbollah en tête des partis
Un sondage, commandé par la fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) et réalisé par la société Statistics Lebanon, permet d’avoir un aperçu des intentions de vote pour les législatives prévues le 15 mai. Il avait été publié au début du mois (1). Première indication intéressante, 25,7% des personnes interrogées disent vouloir voter pour une liste indépendante en mai.
Parmi les partis politiques en place, le Hezbollah arrive en tête avec 14,7% des intentions de vote, suivi par les groupes représentant la contestation populaire du 17 octobre 2019, avec 12,3%. Viennent ensuite les Forces libanaises (chrétiennes anti-Hezbollah) avec 11,5% et le Courant patriotique libre (chrétien pro-Hezbollah) avec 6,8% des intentions de vote.
Durant le ramadan en avril, on a assisté à une scène inédite. Les deux frères ennemis du camp chrétien, Gebran Bassil et Sleiman Frangié, candidats concurrents aux fonctions de président réservées à un membre de leur communauté, ont été reçus par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, pour un «iftar». Histoire de calmer le jeu et d’organiser l’avenir du pays.
C’est désormais le Hezbollah qui semble être le faiseur de rois au Liban. Sous réserve d’une situation sécuritaire qui reste stable malgré un contexte régional en pleine ébullition. Et à moins d’une mobilisation de dernière minute chez les adversaires du parti chiite qui restent malgré tout, d’après les sondages, la majorité de la population.
Il faudrait encore qu’un véritable front se dessine entre les éléments les moins gangrenés du système politique actuel et les forces nées des grandes mobilisations populaires de ces dernières années. Michel Moawad, qui avait démissionné, comme quelques autres, de son mandat de député très peu de jours après l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, avait plaidé pour une telle alliance. «Il s’agissait par ma démission, dit-il, de lancer un triple message: un message éthique et d’empathie pour le peuple libanais atteint par la catastrophe; une remise en cause et un aveu d’échec de mon choix politique aux côtés de Michel Aoun sur la base duquel j’ai été élu en 2018; enfin un message de mobilisation pour participer à structurer l’opposition et les forces du changement.(2)»
Un activiste de la société civile, Malek, très embrigadé dans les mobilisations des dernières années et aujourd’hui engagé dans le soutien aux listes dites «indépendantes», ne dit pas autre chose: «Le 17 octobre 2019 a marqué le début d’une nouvelle ère politique au Liban. Mais la gestation sera longue, il faut laisser l’enfant grandir».
(https://mondafrique.com/serie-liban-1-le-hezbollah-grand-favori-des-elections-du-15-mai/)
1 Ce sondage a été réalisé sur une période s’étendant entre les 10 et 15 décembre 2021, auprès d’un échantillon de 1.200 Libanais de plus de 21 ans, équitablement répartis par genre, région, confession, classe sociale et niveau d’éducation.
(2) Entretien avec Mondafrique
Dans un deuxième article de cette série consacrée au Liban appelé aux urnes dimanche 15 mai, Mondafrique reviendra sur les élections au sud du pays, devenu une forteresse chiite imprenable.
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