Dans ce quatrième et dernier volet de cette saga électrique, on passe en revue une liste, loin d’être exhaustive, des échecs qui ont jalonné le plan instauré par Gebrane Bassil en 2010 – et qui s’est terminé par l’effondrement total de l’édifice.
Le plan du ministre de l’Énergie Gebrane Bassil et de ses successeurs devait inclure l’augmentation de la production, par un financement public ou avec des entrepreneurs privés. Mais, à l’instar des autres pans du plan, presque rien n’a fonctionné comme il fallait. Pour des raisons évidentes de mauvaise gestion, d’irrégularité, de suspicion de corruption – et de conflit politique, qui méritent une petite explication.
C’est que Gebrane Bassil, commandant en chef du territoire électrique durant toute une décennie, a ce talent particulier de se mettre tout le monde à dos, alors qu’un plan de cette envergure aurait eu besoin d’un large appui. Nabih Berri, en particulier, s’est révélé être un farouche opposant sur toute la durée – avant et après que Gebrane Bassil l’a qualifié de «voyou».
Une série d’évènements, ci-dessous listés, en plus de ceux relatés dans nos épisodes passés, explique comment l’édifice électrique s’est écroulé.
1- En 2013, un consortium germano-danois remporte le projet de construire deux nouvelles centrales à Zouk et à Jiyé pour 348 millions de dollars. Les nouvelles centrales devaient être livrées en 2014. Cependant, le projet s’éternise et les travaux sont arrêtés plusieurs fois, le ministère des Finances suspectant des malversations devant le refus du ministre de l'Énergie de soumettre le contrat à la Cour des comptes. Un retard qui amène le consortium à réclamer des millions de dollars de pénalités.
2- Une fois ces deux nouvelles centrales terminées, un nouvel appel d’offres est lancé en août 2015 pour l’opération et la maintenance. En janvier 2016, l’EDL signe un contrat de 121 millions de dollars avec le vainqueur, un consortium composé de la société libanaise Middle East Power (MEP) et deux sociétés indiennes. Mais le ministère des Finances refuse de débloquer les crédits car il considère que les prix sont trop élevés. Un bras de fer qui dure jusqu’en 2016. Ce blocage n’est qu’une étape d'une longue série, ce qui émousse sensiblement l’intérêt des sociétés. Les dates limites s’allongent, les retards ou les défauts de paiement se succèdent, les conflits s’éternisent. Mais le comble du cafouillage est illustré par le cas épique de Deir Ammar.
3a- En 2012, le ministère de l’Énergie lance un appel d’offres pour la construction d’une nouvelle centrale de 500 MW à Deir Ammar. Une société espagnole, Abener, remporte l’appel d’offres avec la société libanaise Butec. Mais, problème, son prix est de 662 millions de dollars, alors que le budget alloué à ce projet n’est que de 502 millions. Gebrane Bassil propose alors de relancer l’appel d’offres. Devant cette option, des opposants politiques accusent Bassil de vouloir placer ses protégés. Il n’en reste pas moins que l’appel d’offres est annulé, et, après un nouvel appel d’offres, la société grecque Avax l’emporte en présentant un prix sensiblement inférieur, donnant lieu à une économie de 96 millions de dollars, selon Gebrane Bassil. Abener menace alors de recourir à un tribunal international. Surtout que, selon des experts, le devis que propose Avax est trompeur, car il prévoit une réduction artificielle du volume des travaux qu’il faudra refaire plus tard de toute façon. Quant à Butec, le message est très clair: «Notre société n’acceptera plus aucun projet au Liban». Butec dépose alors une plainte auprès du Conseil d’État. L’ambassadrice d’Espagne est également consternée. Une source proche du dossier assure que l’Espagne est en droit de demander un dédommagement au Liban, en vertu du traité bilatéral qui protège les investissements des deux pays. Le ministère de l’Énergie vient d’enfoncer un peu plus la réputation du pays dans la boue.
3b- À peine les travaux ont-ils commencé que surgit, en mai 2016, une affaire inattendue: le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, considère qu’il y a une TVA de 50 millions de dollars à payer. EDL rétorque que la TVA est tacitement comprise dans le prix fixé. Un malentendu qui va bloquer le projet pendant des années. Gebrane Bassil n’osera pas incommoder Nabih Berri, de peur de réduire les chances de Michel Aoun d’accéder à la présidence. Il accuse «certaines parties de vouloir saboter la construction de la centrale Deir Ammar 2».
3c- En mai 2018, un accord est conclu avec Avax et d’autres partenaires pour transformer le contrat en un projet BOT sur 20 ans. Mais d’autres sources de conflit empêcheront la poursuite des travaux encore une fois.
4- En avril 2014, une loi (288) est votée permettant à l’exécutif d'octroyer des licences de production au secteur privé. Ces partenariats public-privé passent par la création de producteurs indépendants (Independent Power Producers, IPP), c’est-à-dire des entreprises qui financent, construisent et opèrent sur une durée de 20 ans des sites de production, quitte à vendre l’électricité à l’EDL. La loi a été prorogée depuis, sans qu’aucune autorisation ne soit donnée, malgré la multiplicité des demandes. Certaines entreprises proposent aussi de reproduire l’expérience réussie de l’EDZ (Électricité de Zahlé) dans leur ville (Byblos, Tripoli…), mais n’obtiennent pas d’autorisation. Une des raisons invoquées est que ces investisseurs privés doivent avoir l’autorisation de l’Autorité de régulation – une entité qui n’a jamais existé.
5- En juillet 2017, suite à un appel d’offres, trois sociétés sont choisies pour produire de l’énergie éolienne dans la région de Akkar. Une première étape dans la marche vers une énergie plus verte, selon les engagements libanais au sommet de Copenhague. Mais des différends juridiques freinent le projet, rattrapé plus tard par la crise financière, de sorte que les études de faisabilité doivent être revues à la lumière de la nouvelle situation. L’État ne semble pas intéressé à poursuivre le projet.
6- En janvier 2017, le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil, lance un appel pour l'installation d’un certain nombre de parcs d'énergie solaire dans chaque région. Quelque 265 sociétés libanaises et internationales répondent à l'appel. Des requêtes sont même lancées pour élargir les limites du projet, vu le nombre impressionnant des intéressés, mais en vain. Tout aussi vain est tout ce branle-bas, car, une fois les offres déposées, le projet est gelé, sans aucune explication.
7- En 2012, trois sociétés remportent l’appel d’offres pour assurer sur une durée de quatre ans les services de distribution d’électricité, d’entretien, et d’installation de compteurs intelligents: BUS (groupe Butec), KVA (Khatib and Alami), et NEUC (Debbas). Le contrat a été, depuis, prorogé deux fois, avec des résultats mitigés en termes de maintenance, mais sans l’installation des compteurs intelligents, clés de voûte du projet, qui permettent un contrôle précis du gaspillage technique et non technique. Ils devaient être installés dès 2013. Neuf ans plus tard, à peine quelques milliers l’ont été, sur 1,4 million d’abonnés. Les retards de paiement, les grèves politisées des employés, l’explosion du port et les pressions politiques ont bloqué le processus.
Même intentionnellement, il serait difficile d’atteindre un tel niveau d’échec généralisé.
Le plan du ministre de l’Énergie Gebrane Bassil et de ses successeurs devait inclure l’augmentation de la production, par un financement public ou avec des entrepreneurs privés. Mais, à l’instar des autres pans du plan, presque rien n’a fonctionné comme il fallait. Pour des raisons évidentes de mauvaise gestion, d’irrégularité, de suspicion de corruption – et de conflit politique, qui méritent une petite explication.
C’est que Gebrane Bassil, commandant en chef du territoire électrique durant toute une décennie, a ce talent particulier de se mettre tout le monde à dos, alors qu’un plan de cette envergure aurait eu besoin d’un large appui. Nabih Berri, en particulier, s’est révélé être un farouche opposant sur toute la durée – avant et après que Gebrane Bassil l’a qualifié de «voyou».
Une série d’évènements, ci-dessous listés, en plus de ceux relatés dans nos épisodes passés, explique comment l’édifice électrique s’est écroulé.
1- En 2013, un consortium germano-danois remporte le projet de construire deux nouvelles centrales à Zouk et à Jiyé pour 348 millions de dollars. Les nouvelles centrales devaient être livrées en 2014. Cependant, le projet s’éternise et les travaux sont arrêtés plusieurs fois, le ministère des Finances suspectant des malversations devant le refus du ministre de l'Énergie de soumettre le contrat à la Cour des comptes. Un retard qui amène le consortium à réclamer des millions de dollars de pénalités.
2- Une fois ces deux nouvelles centrales terminées, un nouvel appel d’offres est lancé en août 2015 pour l’opération et la maintenance. En janvier 2016, l’EDL signe un contrat de 121 millions de dollars avec le vainqueur, un consortium composé de la société libanaise Middle East Power (MEP) et deux sociétés indiennes. Mais le ministère des Finances refuse de débloquer les crédits car il considère que les prix sont trop élevés. Un bras de fer qui dure jusqu’en 2016. Ce blocage n’est qu’une étape d'une longue série, ce qui émousse sensiblement l’intérêt des sociétés. Les dates limites s’allongent, les retards ou les défauts de paiement se succèdent, les conflits s’éternisent. Mais le comble du cafouillage est illustré par le cas épique de Deir Ammar.
3a- En 2012, le ministère de l’Énergie lance un appel d’offres pour la construction d’une nouvelle centrale de 500 MW à Deir Ammar. Une société espagnole, Abener, remporte l’appel d’offres avec la société libanaise Butec. Mais, problème, son prix est de 662 millions de dollars, alors que le budget alloué à ce projet n’est que de 502 millions. Gebrane Bassil propose alors de relancer l’appel d’offres. Devant cette option, des opposants politiques accusent Bassil de vouloir placer ses protégés. Il n’en reste pas moins que l’appel d’offres est annulé, et, après un nouvel appel d’offres, la société grecque Avax l’emporte en présentant un prix sensiblement inférieur, donnant lieu à une économie de 96 millions de dollars, selon Gebrane Bassil. Abener menace alors de recourir à un tribunal international. Surtout que, selon des experts, le devis que propose Avax est trompeur, car il prévoit une réduction artificielle du volume des travaux qu’il faudra refaire plus tard de toute façon. Quant à Butec, le message est très clair: «Notre société n’acceptera plus aucun projet au Liban». Butec dépose alors une plainte auprès du Conseil d’État. L’ambassadrice d’Espagne est également consternée. Une source proche du dossier assure que l’Espagne est en droit de demander un dédommagement au Liban, en vertu du traité bilatéral qui protège les investissements des deux pays. Le ministère de l’Énergie vient d’enfoncer un peu plus la réputation du pays dans la boue.
3b- À peine les travaux ont-ils commencé que surgit, en mai 2016, une affaire inattendue: le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, considère qu’il y a une TVA de 50 millions de dollars à payer. EDL rétorque que la TVA est tacitement comprise dans le prix fixé. Un malentendu qui va bloquer le projet pendant des années. Gebrane Bassil n’osera pas incommoder Nabih Berri, de peur de réduire les chances de Michel Aoun d’accéder à la présidence. Il accuse «certaines parties de vouloir saboter la construction de la centrale Deir Ammar 2».
3c- En mai 2018, un accord est conclu avec Avax et d’autres partenaires pour transformer le contrat en un projet BOT sur 20 ans. Mais d’autres sources de conflit empêcheront la poursuite des travaux encore une fois.
4- En avril 2014, une loi (288) est votée permettant à l’exécutif d'octroyer des licences de production au secteur privé. Ces partenariats public-privé passent par la création de producteurs indépendants (Independent Power Producers, IPP), c’est-à-dire des entreprises qui financent, construisent et opèrent sur une durée de 20 ans des sites de production, quitte à vendre l’électricité à l’EDL. La loi a été prorogée depuis, sans qu’aucune autorisation ne soit donnée, malgré la multiplicité des demandes. Certaines entreprises proposent aussi de reproduire l’expérience réussie de l’EDZ (Électricité de Zahlé) dans leur ville (Byblos, Tripoli…), mais n’obtiennent pas d’autorisation. Une des raisons invoquées est que ces investisseurs privés doivent avoir l’autorisation de l’Autorité de régulation – une entité qui n’a jamais existé.
5- En juillet 2017, suite à un appel d’offres, trois sociétés sont choisies pour produire de l’énergie éolienne dans la région de Akkar. Une première étape dans la marche vers une énergie plus verte, selon les engagements libanais au sommet de Copenhague. Mais des différends juridiques freinent le projet, rattrapé plus tard par la crise financière, de sorte que les études de faisabilité doivent être revues à la lumière de la nouvelle situation. L’État ne semble pas intéressé à poursuivre le projet.
6- En janvier 2017, le ministre de l’Énergie, César Abi Khalil, lance un appel pour l'installation d’un certain nombre de parcs d'énergie solaire dans chaque région. Quelque 265 sociétés libanaises et internationales répondent à l'appel. Des requêtes sont même lancées pour élargir les limites du projet, vu le nombre impressionnant des intéressés, mais en vain. Tout aussi vain est tout ce branle-bas, car, une fois les offres déposées, le projet est gelé, sans aucune explication.
7- En 2012, trois sociétés remportent l’appel d’offres pour assurer sur une durée de quatre ans les services de distribution d’électricité, d’entretien, et d’installation de compteurs intelligents: BUS (groupe Butec), KVA (Khatib and Alami), et NEUC (Debbas). Le contrat a été, depuis, prorogé deux fois, avec des résultats mitigés en termes de maintenance, mais sans l’installation des compteurs intelligents, clés de voûte du projet, qui permettent un contrôle précis du gaspillage technique et non technique. Ils devaient être installés dès 2013. Neuf ans plus tard, à peine quelques milliers l’ont été, sur 1,4 million d’abonnés. Les retards de paiement, les grèves politisées des employés, l’explosion du port et les pressions politiques ont bloqué le processus.
Même intentionnellement, il serait difficile d’atteindre un tel niveau d’échec généralisé.
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