«Et il est arrivé à la ville de Batroun au pays de Phénicie et y a accompli son martyre. Et c’est lui l’intercesseur pour les maladies des yeux, et c’est pour cela que les Syriaques l’ont appelé en leur langue Nohra, c’est-à-dire Lumière. Et c’est aussi la signification de son nom Lucius.» (Synaxaire syriaque maronite)
Au printemps 1860, Ernest Renan avait relevé une inscription syriaque médiévale sur l’église Mar-Nohra de Smar-Jbeil. Plusieurs visites sur le site, durant les années 1990, nous ont été nécessaires pour pouvoir retrouver cette inscription qui semblait avoir disparu.
En avril 1860, Ernest Renan, accompagné du docteur et cartographe Charles Gaillardot, du journaliste photographe Edouard Lockroy et de l’architecte Thobois, parcourait les montagnes du Liban après avoir visité et fouillé les cités phéniciennes du littoral. Accompagné de soldats de l’armée de Napoléon III pour les besoins des fouilles, il s’était élancé vers les hauteurs de Byblos et de l’Adonis pour atteindre les hauts lieux du panthéon phénicien tels que le temple d’Astarté à Afqa ou celui d’Adonis à Machnaqa.
Smar-Jbeil
Arrivé à Smar-Jbeil, l’auteur français s’était particulièrement attardé sur les deux églises de Notre-Dame, remontant au VIe siècle, et de Mar-Nohra (Saint-Lucius), reconstruite à l’époque franque. Toutes deux se trouvent en contrebas du château fort de Smar-Jbeil où Saint Nohra aurait été martyrisé et jeté au fond d’un puits. Encore aujourd’hui, l’empreinte de ses doigts apparaît gravée dans la pierre de la margelle à laquelle il s’était cramponné pour résister aux soldats romains qui le précipitaient dans l’abîme.
La citadelle est réputée pour avoir toujours résisté aux envahisseurs, notamment au VIIIe siècle sous Saint Jean Maron. Son nom en cananéen, Shmar Gbal, signifie la gardienne de Byblos. Le savant maronite Assemani en prononce le nom dans sa Bibliothèque orientale et semble l’identifier avec Palae-Byblos, nous dit Ernest Renan. Et c’est justement là, à Byblos, que Renan s’était rendu à la recherche d’informations concernant Saint Nohra. Il y a trouvé une chapelle qui lui est dédiée et qui renferme un synaxaire rédigé en syriaque et en garshouné. Notre orientaliste français y a recopié la page relative à Saint Nohra.
Le Synaxaire de Byblos
La vie de Mar Nohra dans le Synaxaire de Byblos publié dans «Mission de Phénicie».
On y lit en garshouné: «Et en ce jour aussi, (nous célébrons) le combat du martyr Lucius. Celui-ci était de la ville de Menhour, du pays de Perse; et il est parti prêcher la foi du Christ. Et il est arrivé à la ville de Batroun au pays de Phénicie et y a accompli son martyre. Et c’est lui l’intercesseur pour les maladies des yeux, et c’est pour cela que les Syriaques l’ont appelé en leur langue Nohra, c’est-à-dire Lumière. Et c’est aussi la signification de son nom Lucius.»
À l’intérieur de l’église Mar-Nohra de Smar-Jbeil, se trouvent deux fûts de colonnes antiques encastrés dans la paroi. Comme l’église voisine de Notre-Dame, ils sont truffés de symboles paléochrétiens, parfois aussi d’inscriptions grecques. La légende raconte que Saint Nohra, ou Lucius, aurait été enterré entre ces deux fûts de colonnes. Mais le plus intéressant demeure l’inscription relevée en 1860 par Ernest Renan car, durant une première campagne épigraphique en 1991, elle nous était restée longtemps introuvable.
Dessin de l’inscription de Mar-Nohra relevée par l’équipe d’Ernest Renan. ©«Mission de Phénicie».
Et pourtant, Renan nous en avait laissé un dessin très précis dans sa Mission de Phénicie publiée en 1864. Nous pouvons interpréter son texte syriaque par: «En ce jour de Dieu, le prêtre illustre repose ici, où il mourut.» Qui est donc ce Kohno Zahyo, ce prêtre illustre, mentionné dans cette épigraphe qui pourrait remonter au VIIIe siècle si l’on s’en tient à son style graphique? Pourrait-il s’agir de Saint Nohra?
À la recherche de l’inscription
Nous avons repris les recherches lors d’un second voyage au Liban en 1992, mais toujours sans succès. La façade nord, restaurée au XIXe siècle, ne pouvait pas conserver l’inscription. Elle a été dotée d’un portail monumental orné d’une chaîne monolithique, œuvre d’un légendaire tailleur de pierres. La façade ouest, protégée par une galerie voutée, conserve encore des sculptures phéniciennes païennes et des croix d’époque byzantine, mais sans traces d’inscriptions syriaques. Les façades sud et est ont par contre gardé leur appareillage médiéval hétérogène, témoin de siècles d’histoire et caractéristique de la maçonnerie de l’époque des croisades. C’est là qu’il convenait de chercher encore, lors d’un troisième voyage au Liban en 1993. Toutes les imperfections des pierres ont donc été minutieusement photographiées, même les cavités naturelles. Avant les images numériques, ces photos ont été développées et examinées une à une, à la loupe, à Paris, jusqu’à ce qu’une écriture ait daigné faire son apparition sur l’un des clichés de la façade est, à droite de l’abside. Le mystère était enfin élucidé.
L’inscription de Mar-Nohra aujourd’hui. © Amine Jules Iskandar
Une écriture verticale
Le syriaque s’écrit aussi bien à l’horizontal qu’à la verticale. Or l’inscription présentée horizontalement par Ernest Renan dans Mission de Phénicie, était en réalité gravée verticalement. De plus, des cinq lignes d’écritures relevées par le dessinateur de l’équipe française, il n’en reste plus que deux, toute la partie gauche de la pierre ayant disparu par effritement. Dans les années 1990, les voitures se garaient encore contre les façades de l’église et cette épigraphe se trouve justement à la hauteur de leurs pots d’échappement dont les gaz la rongent. Depuis, un trottoir a été aménagé et la place a été dallée et pavée. Mais le mal était déjà fait. Durant trois années, nous cherchions un texte horizontal à cinq lignes, alors qu’il s’agissait d’une inscription verticale, désormais à deux lignes.
En 1994, il nous a été possible de revenir sur place pour une dernière vérification de cette épigraphe mystère. Un saut par la Bibliothèque orientale des pères jésuites nous a également appris qu’en 1901, Pierre Chébli avait déjà mentionné la disparition d’une partie du texte de cette pierre. Plus tard, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne de 1939, Leclercq notait que les deux premières lignes étaient devenues indéchiffrables.
Ernest Renan, qui a dû interrompre prématurément ses fouilles au Liban, n’a pas pu procéder à la vérification de tous ses relevés. C’est ainsi qu’il a omis de mentionner le sens vertical de l’inscription de Mar-Nohra, de même qu’il ne précisait pas que celle de Mar-Méma de Ehden se trouvait à l’envers. Ailleurs ses indications étaient tellement rares qu’elles ne nous ont pas permis de retrouver les inscriptions de Notre-Dame de Ramet (à Kfifén) et de Saints-Pierre-et-Paul de Aqoura, éventuellement disparues.
À Smar-Jbeil, nous pouvons encore lire ce reste d’inscription de 22 cm de hauteur pour à peine 7 cm de largeur: Kohno zahyo, horko da ‘nad (le prêtre illustre, ici où il mourut). Ce modeste fragment est une précieuse relique d’un trésor épigraphique qui habite les humbles chapelles, les hameaux et les lieux les plus reculés des montagnes du Liban.
Au printemps 1860, Ernest Renan avait relevé une inscription syriaque médiévale sur l’église Mar-Nohra de Smar-Jbeil. Plusieurs visites sur le site, durant les années 1990, nous ont été nécessaires pour pouvoir retrouver cette inscription qui semblait avoir disparu.
En avril 1860, Ernest Renan, accompagné du docteur et cartographe Charles Gaillardot, du journaliste photographe Edouard Lockroy et de l’architecte Thobois, parcourait les montagnes du Liban après avoir visité et fouillé les cités phéniciennes du littoral. Accompagné de soldats de l’armée de Napoléon III pour les besoins des fouilles, il s’était élancé vers les hauteurs de Byblos et de l’Adonis pour atteindre les hauts lieux du panthéon phénicien tels que le temple d’Astarté à Afqa ou celui d’Adonis à Machnaqa.
Smar-Jbeil
Arrivé à Smar-Jbeil, l’auteur français s’était particulièrement attardé sur les deux églises de Notre-Dame, remontant au VIe siècle, et de Mar-Nohra (Saint-Lucius), reconstruite à l’époque franque. Toutes deux se trouvent en contrebas du château fort de Smar-Jbeil où Saint Nohra aurait été martyrisé et jeté au fond d’un puits. Encore aujourd’hui, l’empreinte de ses doigts apparaît gravée dans la pierre de la margelle à laquelle il s’était cramponné pour résister aux soldats romains qui le précipitaient dans l’abîme.
La citadelle est réputée pour avoir toujours résisté aux envahisseurs, notamment au VIIIe siècle sous Saint Jean Maron. Son nom en cananéen, Shmar Gbal, signifie la gardienne de Byblos. Le savant maronite Assemani en prononce le nom dans sa Bibliothèque orientale et semble l’identifier avec Palae-Byblos, nous dit Ernest Renan. Et c’est justement là, à Byblos, que Renan s’était rendu à la recherche d’informations concernant Saint Nohra. Il y a trouvé une chapelle qui lui est dédiée et qui renferme un synaxaire rédigé en syriaque et en garshouné. Notre orientaliste français y a recopié la page relative à Saint Nohra.
Le Synaxaire de Byblos
La vie de Mar Nohra dans le Synaxaire de Byblos publié dans «Mission de Phénicie».
On y lit en garshouné: «Et en ce jour aussi, (nous célébrons) le combat du martyr Lucius. Celui-ci était de la ville de Menhour, du pays de Perse; et il est parti prêcher la foi du Christ. Et il est arrivé à la ville de Batroun au pays de Phénicie et y a accompli son martyre. Et c’est lui l’intercesseur pour les maladies des yeux, et c’est pour cela que les Syriaques l’ont appelé en leur langue Nohra, c’est-à-dire Lumière. Et c’est aussi la signification de son nom Lucius.»
À l’intérieur de l’église Mar-Nohra de Smar-Jbeil, se trouvent deux fûts de colonnes antiques encastrés dans la paroi. Comme l’église voisine de Notre-Dame, ils sont truffés de symboles paléochrétiens, parfois aussi d’inscriptions grecques. La légende raconte que Saint Nohra, ou Lucius, aurait été enterré entre ces deux fûts de colonnes. Mais le plus intéressant demeure l’inscription relevée en 1860 par Ernest Renan car, durant une première campagne épigraphique en 1991, elle nous était restée longtemps introuvable.
Dessin de l’inscription de Mar-Nohra relevée par l’équipe d’Ernest Renan. ©«Mission de Phénicie».
Et pourtant, Renan nous en avait laissé un dessin très précis dans sa Mission de Phénicie publiée en 1864. Nous pouvons interpréter son texte syriaque par: «En ce jour de Dieu, le prêtre illustre repose ici, où il mourut.» Qui est donc ce Kohno Zahyo, ce prêtre illustre, mentionné dans cette épigraphe qui pourrait remonter au VIIIe siècle si l’on s’en tient à son style graphique? Pourrait-il s’agir de Saint Nohra?
À la recherche de l’inscription
Nous avons repris les recherches lors d’un second voyage au Liban en 1992, mais toujours sans succès. La façade nord, restaurée au XIXe siècle, ne pouvait pas conserver l’inscription. Elle a été dotée d’un portail monumental orné d’une chaîne monolithique, œuvre d’un légendaire tailleur de pierres. La façade ouest, protégée par une galerie voutée, conserve encore des sculptures phéniciennes païennes et des croix d’époque byzantine, mais sans traces d’inscriptions syriaques. Les façades sud et est ont par contre gardé leur appareillage médiéval hétérogène, témoin de siècles d’histoire et caractéristique de la maçonnerie de l’époque des croisades. C’est là qu’il convenait de chercher encore, lors d’un troisième voyage au Liban en 1993. Toutes les imperfections des pierres ont donc été minutieusement photographiées, même les cavités naturelles. Avant les images numériques, ces photos ont été développées et examinées une à une, à la loupe, à Paris, jusqu’à ce qu’une écriture ait daigné faire son apparition sur l’un des clichés de la façade est, à droite de l’abside. Le mystère était enfin élucidé.
L’inscription de Mar-Nohra aujourd’hui. © Amine Jules Iskandar
Une écriture verticale
Le syriaque s’écrit aussi bien à l’horizontal qu’à la verticale. Or l’inscription présentée horizontalement par Ernest Renan dans Mission de Phénicie, était en réalité gravée verticalement. De plus, des cinq lignes d’écritures relevées par le dessinateur de l’équipe française, il n’en reste plus que deux, toute la partie gauche de la pierre ayant disparu par effritement. Dans les années 1990, les voitures se garaient encore contre les façades de l’église et cette épigraphe se trouve justement à la hauteur de leurs pots d’échappement dont les gaz la rongent. Depuis, un trottoir a été aménagé et la place a été dallée et pavée. Mais le mal était déjà fait. Durant trois années, nous cherchions un texte horizontal à cinq lignes, alors qu’il s’agissait d’une inscription verticale, désormais à deux lignes.
En 1994, il nous a été possible de revenir sur place pour une dernière vérification de cette épigraphe mystère. Un saut par la Bibliothèque orientale des pères jésuites nous a également appris qu’en 1901, Pierre Chébli avait déjà mentionné la disparition d’une partie du texte de cette pierre. Plus tard, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne de 1939, Leclercq notait que les deux premières lignes étaient devenues indéchiffrables.
Ernest Renan, qui a dû interrompre prématurément ses fouilles au Liban, n’a pas pu procéder à la vérification de tous ses relevés. C’est ainsi qu’il a omis de mentionner le sens vertical de l’inscription de Mar-Nohra, de même qu’il ne précisait pas que celle de Mar-Méma de Ehden se trouvait à l’envers. Ailleurs ses indications étaient tellement rares qu’elles ne nous ont pas permis de retrouver les inscriptions de Notre-Dame de Ramet (à Kfifén) et de Saints-Pierre-et-Paul de Aqoura, éventuellement disparues.
À Smar-Jbeil, nous pouvons encore lire ce reste d’inscription de 22 cm de hauteur pour à peine 7 cm de largeur: Kohno zahyo, horko da ‘nad (le prêtre illustre, ici où il mourut). Ce modeste fragment est une précieuse relique d’un trésor épigraphique qui habite les humbles chapelles, les hameaux et les lieux les plus reculés des montagnes du Liban.
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