©«Jalousie» - Tableau d'Edvard Munch (1895)
La jalousie dans le couple ou, si l’on veut, la jalousie amoureuse, nous l’avons vu, a offert à l’art un de ses thèmes de prédilection. En littérature, au cinéma et en peinture notamment. Dans ce dernier domaine, E. Munch, qui ambitionnait de capturer les secrets de l’âme humaine, nous a laissé non moins de onze tableaux sur ce sujet, témoins de ses hantises. Je vous invite à regarder celui qui illustre ce texte.
On y voit, au premier plan, sur un fond verdâtre, le visage d’un homme, celui de Munch lui-même semble-t-il, qui vécut des amours tumultueuses, notamment avec une femme qui fut attirée par un autre homme. Cette destitution déclencha chez le peintre l’enfer hallucinatoire de la jalousie. Dans ce visage blanchâtre, fantomatique, l’expression du regard est celle d’un être hagard, hypnotisé par les images fantasmées qui apparaissent dans toute leur crudité en arrière-plan. Munch se représente une femme au manteau rouge-passion, offrant son corps nu à un autre homme au désir aiguillonné comme aussi au spectateur-voyeur. La main droite de la femme convoite le fruit défendu d’un pommier, claire allusion au péché de la concupiscence, à la tentation de goûter au fruit interdit du paradis dès lors à jamais perdu.
Qu’y a-t-il dans le regard exorbité de l’homme au premier plan? Comme dans les autres œuvres de Munch sur la jalousie, ses yeux nous renvoient aux représentations crues obsédant son esprit tourmenté, familières à tout jaloux, à tel point qu’on ne peut s’empêcher de se demander s’ils n’éprouvent pas, lui et son semblable, une certaine jouissance morbide dans cette évocation.
Qu’attend-on de la vie amoureuse dans le couple? Parmi les nombreuses réponses que l’on peut énumérer éventuellement, il y a le désir inconscient de vouloir échapper au manque qui transperce l’être humain de part en part, ainsi qu’à l’angoisse de l’indigence, du délaissement et de la solitude. Le lien amoureux aspire à colmater les blessures narcissiques, les souffrances et les désillusions, voire les traumatismes vécus dans le passé. On attend de l’autre une cautérisation des lésions narcissiques, sinon leur total effacement. Cette idéalisation de l’amour ne peut aboutir qu’au désenchantement et à l’émergence des ressentiments, accompagnés parfois de vindicte et de mesures de rétorsion. Lorsque la désidéalisation ne peut être élaborée, réfléchie, dialoguée, elle mène à l’aveuglement pulsionnel, à la peur sans cesse renouvelée de perdre l’autre, ainsi que le lien d’attachement qui relie le couple, offrant à la jalousie un terrain privilégié à son déploiement.
Le jaloux pathologique dans le couple considère l’autre comme lui appartenant. C’est un objet de possession exclusive qui ne peut avoir d’attachement que pour lui. Il ne peut l’imaginer avoir d’autre intérêt qu’orienté vers lui. Il est intrusif («À quoi, à qui penses-tu?», «À qui parles-tu?» «À qui envoies-tu ce message?», etc.). Son emprise doit être entière. Tout intérêt pour une activité est suspect. Il/elle est dans un désir de fusion, cherchant inconsciemment à recréer la relation symbiotique du nourrisson avec sa mère. Si l’autre montre un intérêt en dehors de lui, il se sent dénarcissisé, rejeté. Il a le sentiment d’être insuffisant, incomplet, alors que son fantasme est d’être l’objet de jouissance de l’autre. Se vivant comme dépourvu de consistance, il devient la proie de conflits pulsionnels incontrôlables qui épuisent le couple. Désemparé, doutant de lui-même et de l’autre, il perd tout le plaisir qu’il trouvait auparavant dans ses occupations ou dans sa vie habituelle, il n’est plus que plaintes, suspicions et douleur. Se sentant au supplice comme il pouvait l’être dans son enfance, il peut se montrer odieux, tyrannique, harcelant voire violent.
Parlant de la jalousie amoureuse, S. Freud la qualifie de «jalousie projective». Elle désigne un sujet qui nie ses propres désirs d’infidélité pour les attribuer à l’autre («c’est l’autre qui est infidèle ou qui tend vers l’infidélité, ce n’est pas moi»). S’installera alors un processus fait, pour l’un, de suspicions, d’accusations et d’animosités, d’affirmation vaine de son innocence pour l’autre. Le film L’enfer de C. Chabrol dépeint cette situation dans laquelle se retrouvent prisonniers le mari et l’épouse, l’un transformé en inquisiteur pourchassant une impossible preuve de l’infidélité, et l’épouse en victime impuissante à faire admettre l’absurdité du réquisitoire.
Il existe également une autre forme de jalousie, d’allure délirante, toujours dans un fantasme d’infidélité mais relative à un objet de même sexe, d’orientation homosexuelle.
On retrouve parfois, chez certains hommes un sentiment de jalousie envers leur femme enceinte, craignant de la voir leur préférer le nouveau-né, revivant inconsciemment leurs propres peurs vécues à la naissance d’un nouveau membre de la fratrie.
La jalousie est un symptôme, comme préalablement mentionné. Et comme tout symptôme, c’est une parole qui cache une souffrance, une douloureuse angoisse. Si cette parole qu’est le symptôme, ce «dire», s’exprime dans le cabinet d’un psychanalyste, le sujet en proie à la jalousie pourrait entreprendre une traversée thérapeutique qui le conduirait alors à faire le deuil du sentiment de possessivité et de la toute-puissance, à accepter la précarité et les ambivalences de toute relation affective, pour parvenir à l’amour véritable qui n’existe que dans la relativité, dans l’altérité et dans le manque.
On y voit, au premier plan, sur un fond verdâtre, le visage d’un homme, celui de Munch lui-même semble-t-il, qui vécut des amours tumultueuses, notamment avec une femme qui fut attirée par un autre homme. Cette destitution déclencha chez le peintre l’enfer hallucinatoire de la jalousie. Dans ce visage blanchâtre, fantomatique, l’expression du regard est celle d’un être hagard, hypnotisé par les images fantasmées qui apparaissent dans toute leur crudité en arrière-plan. Munch se représente une femme au manteau rouge-passion, offrant son corps nu à un autre homme au désir aiguillonné comme aussi au spectateur-voyeur. La main droite de la femme convoite le fruit défendu d’un pommier, claire allusion au péché de la concupiscence, à la tentation de goûter au fruit interdit du paradis dès lors à jamais perdu.
Qu’y a-t-il dans le regard exorbité de l’homme au premier plan? Comme dans les autres œuvres de Munch sur la jalousie, ses yeux nous renvoient aux représentations crues obsédant son esprit tourmenté, familières à tout jaloux, à tel point qu’on ne peut s’empêcher de se demander s’ils n’éprouvent pas, lui et son semblable, une certaine jouissance morbide dans cette évocation.
Qu’attend-on de la vie amoureuse dans le couple? Parmi les nombreuses réponses que l’on peut énumérer éventuellement, il y a le désir inconscient de vouloir échapper au manque qui transperce l’être humain de part en part, ainsi qu’à l’angoisse de l’indigence, du délaissement et de la solitude. Le lien amoureux aspire à colmater les blessures narcissiques, les souffrances et les désillusions, voire les traumatismes vécus dans le passé. On attend de l’autre une cautérisation des lésions narcissiques, sinon leur total effacement. Cette idéalisation de l’amour ne peut aboutir qu’au désenchantement et à l’émergence des ressentiments, accompagnés parfois de vindicte et de mesures de rétorsion. Lorsque la désidéalisation ne peut être élaborée, réfléchie, dialoguée, elle mène à l’aveuglement pulsionnel, à la peur sans cesse renouvelée de perdre l’autre, ainsi que le lien d’attachement qui relie le couple, offrant à la jalousie un terrain privilégié à son déploiement.
Le jaloux pathologique dans le couple considère l’autre comme lui appartenant. C’est un objet de possession exclusive qui ne peut avoir d’attachement que pour lui. Il ne peut l’imaginer avoir d’autre intérêt qu’orienté vers lui. Il est intrusif («À quoi, à qui penses-tu?», «À qui parles-tu?» «À qui envoies-tu ce message?», etc.). Son emprise doit être entière. Tout intérêt pour une activité est suspect. Il/elle est dans un désir de fusion, cherchant inconsciemment à recréer la relation symbiotique du nourrisson avec sa mère. Si l’autre montre un intérêt en dehors de lui, il se sent dénarcissisé, rejeté. Il a le sentiment d’être insuffisant, incomplet, alors que son fantasme est d’être l’objet de jouissance de l’autre. Se vivant comme dépourvu de consistance, il devient la proie de conflits pulsionnels incontrôlables qui épuisent le couple. Désemparé, doutant de lui-même et de l’autre, il perd tout le plaisir qu’il trouvait auparavant dans ses occupations ou dans sa vie habituelle, il n’est plus que plaintes, suspicions et douleur. Se sentant au supplice comme il pouvait l’être dans son enfance, il peut se montrer odieux, tyrannique, harcelant voire violent.
Parlant de la jalousie amoureuse, S. Freud la qualifie de «jalousie projective». Elle désigne un sujet qui nie ses propres désirs d’infidélité pour les attribuer à l’autre («c’est l’autre qui est infidèle ou qui tend vers l’infidélité, ce n’est pas moi»). S’installera alors un processus fait, pour l’un, de suspicions, d’accusations et d’animosités, d’affirmation vaine de son innocence pour l’autre. Le film L’enfer de C. Chabrol dépeint cette situation dans laquelle se retrouvent prisonniers le mari et l’épouse, l’un transformé en inquisiteur pourchassant une impossible preuve de l’infidélité, et l’épouse en victime impuissante à faire admettre l’absurdité du réquisitoire.
Il existe également une autre forme de jalousie, d’allure délirante, toujours dans un fantasme d’infidélité mais relative à un objet de même sexe, d’orientation homosexuelle.
On retrouve parfois, chez certains hommes un sentiment de jalousie envers leur femme enceinte, craignant de la voir leur préférer le nouveau-né, revivant inconsciemment leurs propres peurs vécues à la naissance d’un nouveau membre de la fratrie.
La jalousie est un symptôme, comme préalablement mentionné. Et comme tout symptôme, c’est une parole qui cache une souffrance, une douloureuse angoisse. Si cette parole qu’est le symptôme, ce «dire», s’exprime dans le cabinet d’un psychanalyste, le sujet en proie à la jalousie pourrait entreprendre une traversée thérapeutique qui le conduirait alors à faire le deuil du sentiment de possessivité et de la toute-puissance, à accepter la précarité et les ambivalences de toute relation affective, pour parvenir à l’amour véritable qui n’existe que dans la relativité, dans l’altérité et dans le manque.
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