Consultations non contraignantes: Mikati pour la continuité, Bassil coopératif
Le maintien de la configuration du cabinet d’expédition des affaires courantes ainsi que la reconduction de Najib Mikati conviendraient à une période de « containment » régional qui se confirme entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Les signes se sont multipliés dans ce sens lundi et mardi à la Place de l’Étoile, à deux mois du début de l’échéance de la présidentielle.   

Les consultations parlementaires non contraignantes menées par le Premier ministre désigné Najib Mikati sur deux jours pour former un gouvernement se sont achevées mardi sur une déclaration de ce dernier en faveur d’un cabinet de continuité. Après avoir « recueilli les avis des différents groupes qui sont tous soucieux de l’intérêt public », il a préconisé « un cabinet capable de poursuivre ce que les précédents gouvernements ont entamé », surtout en ce qui concerne les négociations avec le Fonds Monétaire International.

Le maintien de la configuration du cabinet d’expédition des affaires courantes, tout comme la reconduction de Najib Mikati conviendraient à une période de « containment » régional qui se confirme entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Les signes se sont multipliés dans ce sens lundi et mardi à la Place de l’Étoile, à deux mois du début de l’échéance de la présidentielle, en septembre.

Le limogeage du gouverneur de la BDL

La principale attente portait sur la position du bloc du Courant patriotique libre (CPL), de Gebran Bassil, gendre du président de la République, Michel Aoun, qui contresigne avec le Premier ministre le décret de formation du cabinet. Une prérogative que le chef de l’État utilise comme moyen de bloquer toute mouture qui n’aurait pas l’aval de son gendre. Ce dernier, qui s’était abstenu de désigner Najib Mikati, n’a évoqué que partiellement les conditions qu’il poserait à la formation du cabinet, à savoir le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, une revendication qu’il a dit avoir réitéré à son interlocuteur. « A priori, nous n’avons nulle envie de participer, mais cette question est en cours de débat et dépend de plusieurs facteurs parmi lesquels la configuration du gouvernement et son programme, c’est-à-dire ce à quoi il doit s’engager (…). Parmi les choses impératives, le poste de gouverneur de la Banque du Liban ».

«Pas d’entrave au niveau de l’Énergie»

Du reste, Gebran Bassil a paru démentir ce que des médias, citant des sources de son camp, lui attribuent en termes de conditions de participation au cabinet, notamment sa volonté d’accaparer les portefeuilles de l’Énergie, des Affaires étrangères et de l’Environnement. « Nous avons le souhait d’une rotation globale et partielle des portefeuilles, et qu’aucun portefeuille ne reste aux mains d’une communauté ou confession ou partie politique. Cela s’applique à tous (allusion notamment à Amal qui s’attache aux Finances même si cela n’est pas au cœur du débat actuel, ndlr) », a-t-il déclaré.

Gebran Bassil a en outre préconisé « une formation rapide » d’un nouveau cabinet, en rejetant toutefois l’approche qui veut que «faute de temps il faut maintenir le gouvernement tel quel avec quelques remaniements». «C’est un faux pari, que le temps ne permet pas, a-t-il affirmé. Nous sommes certainement contre le maintien du gouvernement tel quel, c’est-à-dire sans prérogatives », a souligné Gebran Bassil. Il s’est en même temps défendu de toute volonté, pourtant attribuée à Michel Aoun, de former un cabinet en prévision d’une vacance présidentielle. Et d’ajouter : « Nous refusons la vacance présidentielle et ferons de notre mieux pour qu’il n’y ait pas de vacance présidentielle ».

Interrogé par Ici Beyrouth, son collègue du même bloc, Alain Aoun n’écarte pas la possibilité d’un cabinet similaire au cabinet sortant, y compris au niveau des personnes. Il confirme ainsi implicitement la participation du CPL au prochain cabinet, en révélant que son bloc a « exprimé toute sa volonté pour qu’un gouvernement soit formé, y compris en ce qui concerne le portefeuille de l’Énergie ». Le député confirme en outre la volonté du Premier ministre de maintenir la configuration du cabinet actuel.

Tout doit encore se jouer à Baabda

Le député Mohammad Raad, qui s’exprimait au nom du bloc du Hezbollah à l’issue de sa rencontre avec Najib Mikati lundi, a critiqué ceux qui boycottent la formation du cabinet. Ce que des observateurs ont estimé comme visant le CPL, à l’heure où le parti chiite aurait intérêt à maintenir la configuration du cabinet sortant, apprend-on de sources concordantes. Selon une source du bloc berryste, allié du Hezbollah, interrogée par Ici Beyrouth, le Hezbollah a entendu ainsi éviter que certaines factions ne se dérobent à leurs responsabilités face à l’effondrement économique du pays.

« Les choses sont positives à ce stade mais tout doit encore se jouer à Baabda », se sont accordés à dire à Ici Beyrouth des parlementaires du bloc aouniste.

Une semaine au plus pour former un gouvernement

Mohammad Yehya, député indépendant proche du bloc aouniste, a reconnu la « difficulté » de la mission de Najib Mikati.

Dans ce contexte, Jean Talouzian, député indépendant d’Achrafieh, favorable à un cabinet restreint, a rappelé que le gouvernement est formé en vertu d’une entente entre le Premier ministre désigné et le chef de l’Etat, et il a invité le premier à faire part en toute sincérité des entraves à la formation du gouvernement si celle-ci durera plus d’une semaine. Selon l’agence al-Markazia, Najib Mikati devrait se rendre vendredi à Baabda pour examiner la mouture du cabinet avec le président de la République.


Vers une représentation de députés sunnites indépendants ?

En parallèle, une dynamique commune à des députés sunnites ayant défilé à l’occasion des consultations a paru prendre forme. Le député de Zahlé Bilal Hocheimi, réputé proche de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora, a fait état aux journalistes d’efforts de créer un groupe élargi dont le noyau serait sunnite et qui inclurait notamment le bloc de la Modération nationale, apparenté au courant du Futur, sans répondre forcément de son leader en retrait politique, Saad Hariri. La veille, les blocs sunnites consultés avaient été les seuls à formuler des requêtes concrètes en termes du nombre de portefeuilles. Dans une conversation à bâtons rompus mardi avec les journalistes, le député de Beyrouth II, Bilal Badr a prévu « le maintien de la configuration du cabinet actuel avec quelques remaniements » et exprimé son intérêt pour la Santé.

Mais par-delà ces revendications, qui pourraient n’être que théoriques, les députés sunnites ayant désigné Mikati lui ont fait part de leur entière solidarité. Bilal Badr l’a appelé à former un gouvernement au plus vite sans céder aux conditions imposées par les partis politiques.

« Ce n’est pas un cabinet qui est là pour satisfaire les grandes revendications », a renchéri pour sa part Abdel Karim Kabbara.

«L’erreur de boycotter le cabinet»

En outre, Bilal Hocheimi a stigmatisé « l’erreur » du boycottage du cabinet par des groupes parlementaires, dans ce qui a paru être une allusion aux Forces libanaises. « Les législatives étaient vouées à nous sortir de l’axe de l’enfer (l’axe dit de la moumanaa irano-syrienne, ndlr) », a-t-il dit.

Par ailleurs, le député pro-Damas Hassan Mrad a appelé à réincorporer à la formation du cabinet un portefeuille du Plan et plaidé pour « un cabinet d’union nationale », une demande contestée par l’opposition et que peu ont en tout cas défendue ouvertement. Pour Jihad Samad, député de Denniyé, il est au contraire nécessaire de « renflouer le gouvernement d’expédition des affaires courantes ou, à défaut, d’élargir la notion d’expédition des affaires courantes ». Ihab Matar est resté dans les généralités en préconisant la mise sur pied d’une équipe ministérielle compétente et le respect du cadre constitutionnel et des échéances.

«Expédition des affaires courantes ou partage du gâteau» 

Pour ce qui est des quelques députés sunnites n’ayant pas désigné Najib Mikati, Fouad Makhzoumi  s’est contenté de poser une série de questions sur la position du prochain cabinet, notamment à l’égard du triptyque armée-peuple-résistance, et s’est demandé si « celui qui a désigné Mikati lui permettra de former un gouvernement ? ». Oussama Saad a quant à lui déploré l’alternative qui se présente : « Le maintien de l’expédition des affaires courantes, et donc le vide et la paralysie, ou un gouvernement de partage du gâteau ». La perspective d’une aggravation de la crise force « un dialogue national au sein du Parlement et à l’extérieur », selon lui. Abdel Rahman Bizri a souhaité que la prochaine étape ne soit pas seulement transitoire mais porteuse de solutions.

Achraf Rifi, député souverainiste de Tripoli, qui a boycotté la désignation du Premier ministre, a également boycotté les consultations, à l’instar du député pro-Damas Jamil Sayyed. Michel Daher s’en est pour sa part absenté.

Du reste, le bloc des députés arméniens a appelé par la voix de Hagop Pakradounian, à accélérer la formation du gouvernement sans parier sur la présidentielle. Il a par ailleurs fait part de la volonté du groupe des parlementaires arméniens d’être représenté au sein du prochain cabinet.

Charbel Massaad, député de Jezzine, a appelé à « la formation d’un gouvernement aux prérogatives exceptionnelles, composé de ministres spécialisés et indépendants », un appel similaire à celui lancé la veille par le groupe des députés de la contestation.

Firas Salloum a appelé à une meilleure représentation de la communauté alaouite, y compris au sein du cabinet.

Enfin, chose inhabituelle, une délégation du Conseil économique et social, emmenée par son président Charles Arbid, a été invitée à prendre part aux consultations, au même titre que les groupes parlementaires. Une manière pour le Premier ministre désigné de signaler l’urgence de répondre aux impératifs de la crise, au-delà de toute autre considération.

Commentaires
  • Aucun commentaire