Rêver… (2) Le rêve a-t-il un sens ?
L’intérêt de Freud pour le rêve précède de loin la théorisation qu’il en a faite plus tard. Très tôt dans son existence, il note ses rêves et cette préoccupation culminera avec la parution de L’interprétation du rêve, datée symboliquement de 1900. Au fur et à mesure de ses réflexions et de ses découvertes, il y ajoutera de nombreux développements.

Il n’est pas exagéré de dire que l’approche freudienne du rêve a constitué une révolution dans la compréhension des productions oniriques, non seulement par l’originalité de son approche, mais aussi parce qu’elle suscite chez un sujet des interrogations essentielles sur les origines et les significations inconscientes de ses sentiments, de ses émotions, de ses pensées, de sa conduite et in fine, du devenir de son désir. Dans le rêve, c’est le rêveur lui-même qui parle et qui organise son théâtre intime en mettant à contribution des lieux et des personnages, tout un ensemble de détails symboliques. Mais, bizarrement, à son réveil, il ne comprend pas le sens des paroles ni celui des scènes qui se sont jouées. Ce que Freud va affirmer, c’est qu’il y a en chaque sujet un savoir singulier sur lui-même qui lui est inaccessible, mais que l’interprétation du rêve en révélerait quelques fragments. Autrement dit, avec la découverte de l’inconscient dynamique freudien, apparaît cette constatation étrange: il existe une part de notre psychisme qui nous est inconnue en tant que sujet conscient. Le rêve fait partie des multiples manifestations de l’inconscient qui nous révèlent que nous sommes étrangers à cet autre univers fantasmatique qui est le nôtre et, pourtant, qui nous détermine à notre insu. «La réalité psychique est une forme d’existence particulière qui ne doit pas être confondue avec la réalité matérielle» (Freud). La découverte du sens caché du rêve induit une réflexion sur les arcanes de notre vie psychique, une interrogation sur la provenance et les mobiles inavouables de nos désirs les plus secrets, ceux que nous n’osons pas reconnaître, encore moins accepter, loin de tout jugement ou d’une quelconque attitude moralisatrice. Au fond, ce que le rêve nous oblige à reconnaître, ce n’est pas seulement qu’il a un sens, c’est surtout qu’il est porteur de la vérité enfouie du sujet à l’intérieur duquel se poursuit une lutte permanente entre les pulsions de vie et les pulsions de mort.

D’emblée, Freud s’inscrit en faux contre les croyances qui voulaient que le rêve soit porteur de messages sataniques ou divins. L’énigme que constitue un rêve n’a pas une origine extérieure surnaturelle ni ne prévoit le futur. Il affirme également sa totale opposition aux commentaires des scientifiques de l’époque pour qui, comme encore pour ceux d’aujourd’hui, le rêve n’est qu’un galimatias insensé provoqué par des causes physiques ou physiologiques.


Avec la recommandation faite aux patients de dire spontanément ce qui vient à leur esprit durant la cure, ceux-ci se mettent à raconter leurs rêves, dénudant des pans de leur histoire subjective et de ses errements, enfouie dans leur inconscient. Ce déchiffrement éclaircit l’origine même du rêve. D’où l’affirmation suivante: «L’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient de la vie psychique». Avec son corollaire: dans le rêve s’accomplit de manière dissimulée un désir d’origine infantile refoulé. La thérapie psychanalytique devient alors un voyage extraordinaire pour un sujet explorateur de ses contrées psychiques inconnues. Toutes les productions inconscientes ou insensées d’un être humain parlant ont une signification. C’est parce que nous sommes des êtres de langage que de tout acte, de toute pensée, de tout sentiment émane un sens, «que l’on soit l’être le plus normal ou le plus fou» (F. Dolto).

La conception du rêve chez Freud connaîtra une évolution à la suite des traumatismes provoqués par la Première Guerre mondiale. Les militaires disent qu’ils revoient répétitivement dans leurs rêves les scènes traumatiques. C’est, en effet, une observation constante qui revient lors de tout événement traumatique et les Libanais(es) n’y échappent pas depuis de nombreuses années, particulièrement après l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Dans ces rêves, c’est la répétition de l’effroi ressenti et des bouleversements psychosomatiques qu’il a causés qui resurgissent. Il ne s’agit naturellement plus de la manifestation d’un désir infantile refoulé. Quelle est alors la fonction de ces rêves? On peut l’envisager comme un double message de l’inconscient: d’une part la répétition a pour but de rendre les effets traumatiques plus familiers pour le sujet afin qu’il puisse apprivoiser leur sauvagerie, lui donnant la possibilité de les mettre en mots et ainsi de les symboliser et, d’autre part, de lui rappeler qu’il y a encore en lui une souffrance intérieure qu’il ignore et à laquelle il lui faut trouver une solution.

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