Selon des informations obtenues par Ici Beyrouth, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, chercherait à se rapprocher des Forces libanaises dans l’espoir d’accéder à la présidence de la République en octobre prochain. Cet homme s’avère être du même acabit que le fondateur du CPL, le général Michel Aoun, qui, rappelle-t-on, avait fait volte-face en 2005 pour pouvoir accéder à la présidence de la République, ce qu’il a réussi à obtenir en 2016, grâce au Hezbollah. Ne dit-on pas que la fin justifie les moyens? Même si c’est au détriment de principes défendus et de slogans longtemps brandis par Aoun et Bassil.

Parmi les exemples les plus récents de ce "pragmatisme" devenu la marque de fabrique de Michel Aoun et de son poulain Gebran Bassil, la querelle qui a opposé ce dernier à Mme Guila Fakhoury, fille de Amer Fakhoury, ancien responsable au camp de détention de Khiam pendant la période de l’occupation israélienne au sud du Liban, retourné au Liban au début de 2020, où il a été arrêté puis libéré, avant de rentrer aux États-Unis, étant citoyen américain, et d’y mourir des suites de son cancer.

Dans une interview donnée à la presse, la fille de M. Fakhoury a déclaré que le président Michel Aoun et Gebran Bassil avaient rencontré son père aux États-Unis, et s’étaient adressés à lui en déclarant qu’il était "la fierté des chrétiens". Après la diffusion de l’interview à Beyrouth, Gebran Bassil s’est empressé de "démentir catégoriquement" la rencontre avec cette dame.

Guila Fakhoury, qui réside aux États-Unis, a aussi rapporté que "lors de sa dernière visite aux États-Unis, en 2019, Gebran Bassil avait contacté des parties du lobby juif afin de faciliter des entretiens avec des membres du Congrès, vu qu’aucun des responsables américains ne l’avait reçu."

À la question de savoir qui a dit à Amer Fakhoury qu’il était la fierté des chrétiens, Guila Fakhoury a répondu: "Gebran Bassil… D’ailleurs, il s’est adressé à d’autres anciens de l’armée du Sud-Liban dans les mêmes termes".

Il est très embarrassant pour Gebran Bassil qu’une personne lui rappelle aujourd’hui le temps où, comme pour Michel Aoun, il pactisait avec les ennemis du Hezbollah, devenu un allié solide du chef du Courant patriotique libre, sans lequel Michel Aoun n’aurait pas pu accéder au palais de Baabda. Surtout que l’"accord de Mar Mikhaël", signé entre le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et Michel Aoun en février 2006 est devenu l’un des accords politiques les plus célèbres au Liban seize ans après sa signature. M. Bassil espère toujours que cet accord lui permettra de réaliser son rêve d’accéder à la magistrature suprême, comme ce fut le cas pour son beau-père auparavant.

Dans son livre "Choc et résilience", publié en 2009, l’avocat Karim Pakradouni a révélé, documents et détails à l’appui, les raisons qui avaient permis au général Aoun, en exil en France, de rentrer au Liban, au premier rang desquelles la reconnaissance de l’influence du Hezbollah. M. Pakradouni raconte comment "l’initiative pour le retour du général Michel Aoun" est née au début de 2005, avant l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février de la même année. À la page 373 de son ouvrage, M. Pakradouni rapporte avoir "remis le texte de l’initiative à Émile Lahoud, fils du président Emile Lahoud (ce dernier était à l’époque encore président de la République), qui l’a porté à Damas, à son ami Maher al-Assad, lequel s’est enquis sur les tenants et aboutissants avant de le soumettre à son frère, à son retour de l’étranger. Ensuite, avant même que le député Emile Lahoud n’arrive à Beyrouth, Maher al-Assad l’a appelé pour l’informer que le président Bachar al-Assad avait accepté l’initiative "à condition que le Hezbollah soit partenaire de l’opération et qu’elle se déroule sous la supervision directe du président Lahoud".

En réalité, Gebran Bassil a cherché très tôt à se rapprocher de Hassan Nasrallah, qui s’intéresse encore à ce jour à cet allié qui dirige le deuxième bloc parlementaire chrétien après celui des Forces libanaises. Dans la dernière interview réalisée par la chaîne Al-Mayadeen, proche du Hezbollah, Ghassan ben Jeddo avait interrogé Hassan Nasrallah sur sa relation avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, et le chef du Mouvement Marada, Sleiman Frangieh. A quoi le chef du Hezbollah avait répondu: "Concrètement, s’agissant de candidats maronites, ils font partie de nos alliés incontestés".

Les tentatives de Gebran Bassil de se rapprocher de Hassan Nasrallah ont été révélées le 20 février 2019 par le responsable de l’Unité de liaison et de coordination du parti de Dieu, Wafiq Safa, lors d’une interview publiée sur le site Internet Al-Ahed du parti, à l’occasion de l’anniversaire de la signature de "l’accord de Mar Mikhaël". À cette occasion, M. Safa a rappelé la solide relation d’amitié qui lie Gebran Bassil à Hassan Nasrallah. Et, lorsque Wafiq Safa a révélé que M. Bassil considérait M. Nasrallah comme l’un des "saints", il a expliqué que l’on ne peut dissocier Gebran Bassil du président Michel Aoun pour ce qui est des sentiments forts qu’ils vouent à Hassan Nasrallah. D’ailleurs, "la lueur qui brille dans les yeux du président Aoun à chaque rencontre avec Hassan Nasrallah n’échappe à personne", se plait-il à noter.

Entre le récit sur la relation avec le lobby juif et la relation avec le Hezbollah, Bassil marche sur une corde raide, semblable à celles qu’on voit au cirque sur lesquelles évoluent les saltimbanques pour impressionner le public. Gebran Bassil joue, lui aussi, à l’équilibriste au cirque politique libanais en essayant d’impressionner qui de droit. Un jeu dangereux dans lequel il ne peut se défaire de son histoire et se muer en une personne qu’il n’est pas en réalité.